- ....Bien! Envoyez un mail à Greg pour lui confirmer le dossier.
- D'accord monsieur.
- Ce sera tout alors.
Je fermai la chemise dossier pleine à craquer de papiers et le remit à la jeune femme devant moi qui me faisait office de secrétaire. Elle n'attendit pas plus pour s'éclipser de mon bureau et me laisser souffler.
J'étais rentré de Madrid hier seulement et me revoilà plongé dans la paperasse et les affaires. Le siège social de CARTER HOUSE étant à Los Angeles, je n'avais eu d'autres choix même si Madrid était une belle ville. J'avais quand même passée quelques jours là bas histoire de faire les derniers réglages pour notre nouvelle filiale.
Je me levai de mon fauteuil et m'étirai comme un chat. La fatigue brillait sur moi comme de l'or au soleil. Je me souvenais à peine de quand remontaient les dernières vacances que je m'étais accordé. Diriger une société telle que CARTER HOUSE demandait énormément d'énergie. Spécialisés dans l'immobilier, nous recevons de plus en plus de commandes de la part de clients voulant acquérir une nouvelle construction. Aujourd'hui, tout le monde préférerait être chez soi ou carrément dans un cadre de vie paradisiaque. Suivant les désirs de la clientèle, nous survolons le globe à la recherche de portions de terre non occupées mais bien positionnées pour nos projets ou de villas en vente qui valent le coup d'être rénovées. Nous sommes en collaboration avec plusieurs fournisseurs de renommée pour le bon déroulement des travaux et la garantie d'une satisfaction totale de la part de nos clients. En théorie, cela avait l'air facile mais dans la pratique, c'était très loin d'être une mince affaire.
J'avais hérité de CARTER HOUSE de mon défunt père étant donné que j'étais son fils aîné. Mon objectif depuis lors fut de faire de l'entreprise, une incontournable dans le secteur de l'immobilier. Je me suis donné corps et âme dans sa gestion ; Dieu même sait. Depuis sept ans que je suis assis dans ce fauteuil managérial, j'ai besoin de répit aujourd'hui...
Le téléphone de service de mit à sonner, me ramenant à moi-même. Dans un soupir, je m'emparai du combiné, décrochant par ce fait l'appel.
- Jason Carter, fis-je neutre.
- Monsieur, vous avez de la visite, m'annonça la voix fluette de la réceptionniste.
- Qui donc est-ce ?
- Il s'agit de Mlle Luna Jenner, monsieur. Elle demande à vous voir d'urgence.
Mon cœur fit un bond dans ma poitrine à l'entente du nom de la jeune femme. J'étais vraiment surpris qu'elle se soit déplacée jusqu'ici. Ce devrait être important comme le dit la réceptionniste.
- Faites-la venir!
- Bien monsieur.
Je raccrochai en reposant le combiné à sa place et je repris place dans mon fauteuil. L'histoire d'amour entre ce dernier et mon derrière était très sérieuse dis-donc ! Je pris mon téléphone portable et l'écran tactile de ce dernier me renvoya l'image d'un homme aux cheveux couleur miel et aux yeux gris ; rien de particulier. Je grimaçai devant mon propre reflet et appuyai sur la touche d'allumage du téléphone. Je restai là à farfouiller un peu partout dans mes messages afin de répondre aux plus importants. J'affichai de petits sourires en voyant les messages étranges que m'envoyaient des abonnés sur le réseaux sociaux. Si ce n'étaient pas des messages de drague, c'étaient de petits rigolos qui me demandaient de l'argent. Ils croyaient que le fait de se voir attribué le titre de milliardaire par FORBES voulait dire qu'on était sensé partager des liasses de billets dans les rues.
N'importe quoi !
Quelques coups portés à la porte du bureau me firent relever la tête. Je savais d'office qui allait entrer dans la pièce et étrangement, cela m'excitait.
- Oui! dis-je d'une voix forte.
La porte s'ouvrit et la première chose que je remarquai fut du blanc. Luna fit son entrée dans mon bureau élégamment vêtue d'un ensemble costume pour femmes de couleur blanche qui lui allait à ravir. Des Louboutin escarpin gris argent moulaient ses pieds et une fine chevillère brillait à son pied droit. Mon regard remonta le long de sa silhouette pour s'arrêter sur son visage dégagé. En lieu et place du chignon noir de tresses que je lui connaissais se trouvait un chignon haut qui se terminait en une longue tresse qu'elle avait ramenée sur sa poitrine et qui s'arrêtait à sa taille. Mais le plus captivant était qu'elle avait coloré sa chevelure en blanc; coloration qui, combiné à son regard gris-bleu lui donnait un air indiscutable.
Elle s'approcha de la grande table de marbre noir à laquelle j'étais assis, toujours de sa démarche féline.
- Bien le bonjour Monsieur Carter. Vous passez une belle journée j'espère ? me salua t-elle froidement.
Déjà habitué à son ton glacé, je ne fus pas surpris de sa salutation.
- Bonjour à vous aussi Mlle Jenner. Je vous en prie, Asseyez-vous donc!
Son regard s'abaissa sur le siège en face d'elle et elle le toisai quelques secondes avant de s'y asseoir sans mot dire.
- Eh bien pour répondre à votre question, je passe une excellente journée bien que fatiguante.
- Tant mieux, répondit-elle simplement.
- Et vous alors ? Vous vous portez bien ? Je savais pas que vous avez un mariage à célébrer aujourd'hui, ajoutai-je avec ironie.
Nullement atteinte, elle balaya mes paroles d'un revers de la main et se pencha en avant dans son siège pour bien me frigorifier de son regard.
-Avez-vous réfléchi à ma proposition ? me demanda t-elle subitement d'une voix froide.
Tiens, aujourd'hui on est direct..., chuchota ma conscience.
Je savais bien de quoi elle parlait. Elle m'avait bien prévenu qu'elle ne lâcherait pas l'affaire tant que je n'aurai pas déclaré forfait. Mais je feignis la confusion pour l'exaspérer. Je ne saurais l'expliquer mais elle éveillait beaucoup un esprit provocateur en moi.
- Je ne vois pas de quoi vous parlez, dis-je innocemment en déposant mon téléphone portable sur la table pour attaquer un dossier en attente.
- Bien sûr que si bon Dieu ! s'écria t-elle en levant les yeux au ciel, énervée.
Je souris intérieurement mais je n'en montrai rien physiquement. Je finis par fermer la chemise dossier que je venais d'ouvrir, déconcentré. J'accordai donc toute mon attention à mon interlocutrice. Je posai mes deux coudes sur la table et mon menton pût prendre appui sur mes deux mains jointes.
Le jeu est terminé...
- J'aimerais bien comprendre pourquoi vous m'interdissez d'acquérir TRUST HOLDINGS, fis-je curieux.
- Abandonnez juste cette idée et c'est tout.
- Non!
- Non? demanda t-elle outrée.
Je me levai une fois encore de mon fauteuil en passant une main dans ma courte chevelure.
- Mlle Jenner, comprenez que je ne peux tout simplement pas annuler cet achat sur un coup de tête. TRUST HOLDINGS me plaît vraiment sinon je n'aurai pas proposé une telle somme pour son achat. J'ai besoin d'arguments solides et de taille pour m’en éloigner. Nous sommes en affaires ma chère.
Elle me fixa un moment, toujours impassible avant de croiser les jambes dans son fauteuil et de joindre ses deux mains sur ses cuisses en s'adossant. Je me demandais parfois s'il lui arrivait d'exprimer des émotions. Je sais pas...rire pour de vrai ou même pleurer et couler des larmes...Son expression faciale était toujours figée comme si elle avait été forgée dans de la pierre. Très souvent, ce genre de personnes cachent au plus profond d'eux une souffrance non définie. Je me demandais si c'était son cas aussi.
- Et si je double votre prix? Abandonneriez-vous?
- Négatif ! Je doublerai le vôtre à mon tour. Sans me vanter, j'ai plus d'argent que vous. Je remporterai toujours face à vous sur le terrain financier et vous le savez.
Je vis sa poitrine se soulever comme pour contenir sa colère qui était son seul sentiment apparent. Je fis donc quelques pas vers elle et d'un geste de la main, je fis pivoter son siège dans ma direction. Nos regards s'affrontèrent sérieusement pendant de longues minutes avant qu'elle n'ouvre la bouche. Malheureusement pour elle, je l'interrompis.
- Je veux comprendre pourquoi est-ce que vous voulez à tout prix avoir TRUST HOLDINGS. Moi par exemple, je vous ai donné ma raison : je compte relever cette entreprise encore plus haut qu'elle ne l'était avant. Alors ?
Elle inspira fortement en se mordant la lèvre inférieure.
- Karl Fauster et moi avons des choses à régler et ça concerne cette entreprise. J'ai trop attendu le moment où il se décidera à la vendre afin de m'interposer, répondit-elle avec dédain.
Un dédain non porté vers moi mais plutôt vers Karl Fauster.
D'un bond, elle se leva du fauteuil et vint à mon niveau. Il lui aurait fallu encore quelques centimètres de plus pour m'égaler en hauteur. Ses yeux gris-bleu me fixaient avec moins de froideur cette fois-ci, je crus même voir de la douleur y transparaître. Qu'avait bien t-il pu arriver à cette jeune femme par le passé ? Parce qu'il n'y avait pas de doute: un évènement très marquant avait dû l'affecter par le passé. Karl Fauster était-il mêlé à cela ?
Elle ferma les yeux un moment en se mordant la lèvre inférieure. Lorsqu'elle les rouvrit et relâcha sa lèvre, mon regard ne put quitter cette dernière qui avait virée au rose foncé. Mes sens déplacés s'éveillèrent aussitôt et je me vis plonger sur elle pour mordre moi aussi ses lèvres. Je dus me faire violence pour empêcher mes pieds de franchir les centimètres qui me séparaient de la jeune femme.
Sales traîtresses de jambes !
Je me raclai la gorge afin de me donner de la contenance.
- Il me faut TRUST HOLDINGS. Je vous le demande humblement, murmura t-elle.
Si seulement je mélangeais vie privée et vie professionnelle, j'aurai certainement succombé à son charme et aurait cédé à sa demande mais les affaires m'avaient éduqué et formé.
- Je n'en disconviens pas mais j'ai moi aussi besoin de cette entreprise. Je ne peux pas abandonner parce que vous me le demandez. Il en va de ma vie professionnelle. Je comprends que vous avez des raisons personnelles mais vous me voyez navré. Vous serez obligée de trouver une autre façon de les régler avec Karl, dis-je en retournant m'asseoir à mon bureau.
- Vous ne comprenez rien bon sang! s'exclama t-elle en portant une main à son front comme une enseignante devant un élève taré.
- Parce qu'il n'y simplement rien à comprendre, répliquai-je en haussant les épaules. Mettez-vous à ma place Mademoiselle.
Qu'elle remercie Dieu qu'il m'ait doté d'une grande patience. Serait-ce quelqu'un d'autre, il l'aurait déjà viré de son bureau depuis qu'elle passe son temps à retarder l'évolution de la conversation.
- Karl Fauster est mon père !
Gbish !
Mes lèvres s'entrouvrirent pour ne plus se refermer pendant quelques longues secondes. Je restai assis, choqué par ce que je venais d'entendre. La surprise érailla même le son de ma voix.
- C'est une blague ! m'exclamai-je ahuri.
- Non!
Je ravalai difficilement ma salive.
- Mais pourquoi...
- C'est celui de ma mère. J'ai pris son nom de famille quand j'ai eu ma majorité judiciaire, m'expliqua t-elle, ayant deviné la question que j'allais lui poser.
Ainsi donc, elle se nommait en vrai Luna Fauster mais elle avait abandonné ce nom de famille plus jeune. Je secouai la tête de gauche à droite pour bien réfléchir, toujours sous le choc.
- Je ne vois toujours pas le lien entre le fait qu'il soit votre géniteur et le fait que vous voulez à tout prix avoir son entreprise.
- Cela relève de ma vie personnelle en effet, répondit-elle ayant retrouvé son calme glacé.
- Peut-être que me le dire m'aiderait à vous comprendre.
- ABANDONNEZ l'espoir de comprendre maintenant ! rugit-elle en détachant ses mots.
Plus cachottière, tu meurs !
- Alors, vous me voyez navré de ne pouvoir vous aider.
Je repris le dossier que j'avais déposé tantôt pour lui signifier que je ne voulais plus discuter ; j'étais fatigué de tout ça.
- Vous prendrez donc ce p****n d'avion pour le Canada ? s'enquitt-elle durement.
- Oui, je prendrai «ce p****n d'avion» comme vous le dites, répondis-je plus déterminé que jamais.
- Très bien, capitula t-elle sur un ton défiant.
Elle rejeta sa longue queue de cheval tressée dans son dos avec majestie et vint poser ses deux mains à plat sur la table pour plonger son regard dans le mien.
Elle aimait ça dis-donc !
- Quel dommage ! chuchota t-elle avant de se retourner pour sortir.
Une fois qu'elle eût la main posée sur la poignée de la porte, elle pivota légèrement sa tête vers l'arrière donc moi et sourit; un sourire qui me fit froid dans le dos.
- Bon voyage très cher, me souhaita t-elle avant de disparaitre derrière la porte d'un clignement d'yeux.
Seigneur, qui est cette femme ?
Ma poitrine s'affaissa net dès son départ comme si j'avais retenu ma respiration tout le temps de notre conversation...