Chapitre 1

925 Words
Chapitre 1« Alors, on fait quoi ? » Cette petite phrase résonne encore dans ma tête. Seule l’image tend à s’estomper. — On divorce, on vend la maison et chacun retourne à la case départ. C’est bien ce que tu voulais, non ? Vingt années de vie commune balayées en quelques mots. Un mariage trop tôt décidé et la routine installée ont eu raison de nous. À qui la faute ? À elle qui a fauté ou à moi qui n’ai pas su la retenir ? Aux deux probablement… L’égoïsme d’un couple sans enfants, rien de plus vicieux que ça. Je n’ai pas vu le coup venir, trop occupé par ce boulot de malade, les travaux de la maison et mes virées en moto entre potes. Elle et son collègue de bureau ont dû se foutre de moi pendant ces trois années où ils ont filé le parfait amour. Aujourd’hui, j’espère simplement qu’ils sont heureux. J’ai presque pardonné. Tout balayer d’une simple signature, comme le mot « fin » d’un ouvrage achevé. Je me souviens avoir esquissé un sourire quand le juge m’a tendu son stylo. Celle qui venait de devenir mon ex-femme n’avait pas laissé paraître la moindre émotion. Il faut dire qu’elle attendait cet instant depuis plus longtemps que moi. Quand j’ai découvert le pot aux roses, je suis resté étrangement calme. C’est plus tard que j’ai cédé à la colère. Je me souviens de cette scène comme si c’était hier, d’autant plus qu’elle venait clore une journée de m***e. Elle était à la maison et au téléphone avec son amant. J’ai entendu une partie de la conversation et, soudain, le sol s’est dérobé sous mes pieds. Un simple regard, je suis descendu au sous-sol, j’ai enfourché ma moto et roulé pendant des heures, vite, très vite. Elle n’a même pas cherché à me retenir… J’ai passé le reste de la nuit à mon bureau, mon second domicile, j’y ai passé presque plus de temps que chez moi, je m’y sens bien. Mon vieux burlingue avec ces posters de bécanes aux murs, ce fauteuil qui grince, cette vieille photo datant de l’école de police. Je suis flic, du moins j’étais, devrais-je dire. Enfin, disons que je n’ai pas vraiment lâché mon boulot au sens propre du terme. Simplement le destin m’a fait prendre une autre direction, probablement la bonne. Le lendemain de ce coup de massue, je suis venu chercher quelques fringues et j’ai filé chez mes parents. — Si tu m’avais écouté ! J’ai regardé mon père avec un air idiot, c’est vrai que mon ex n’avait jamais trouvé grâce à ses yeux. Trop personnelle pour être sincère, trop imbue de sa petite personne pour faire une bonne épouse. La preuve, elle ne voulait pas d’enfant. Moi non plus, d’ailleurs ! L’amant, j’ai suivi le conseil de mon chef de service, qui est aussi mon ami, et décidé de l’ignorer. Je n’avais rien à y gagner. Le plus dur a été cette première nuit dans ce trois pièces loué à un pote bossant dans l’immobilier. Déjà, ma maison vide m’avait foutu le cafard. C’est là que j’ai vraiment réalisé. Vingt ans… puis plus rien ! La froideur moite de la solitude, compagne bien oppressante de longues soirées en tête à tête avec soi-même, maintenant je sais ce que c’est… Alors je me suis lancé dans le boulot sans compter, les permanences, les heures sup’. Jamais je n’aurais pensé en arriver là. Je me suis éloigné d’elle sans m’en rendre compte. Une femme pareille, faut pas la lâcher, m’avait dit un jour un collègue divorcé lui aussi, comme bon nombre de flics. Pauvre c*n pourri de certitudes ! La douche froide m’a ramené à la dure réalité de la vie. C’est à partir de ce jour que j’ai enfin ouvert les yeux. Je vivais dans un monde bien à moi, occultant volontairement le réel pour me réfugier dans une petite vie bien hermétique, réglée à ma seule mesure. Celle qui n’est plus ma femme n’a jamais tiré la sonnette d’alarme, c’est sur ce point précis que je lui en ai voulu. Aujourd’hui j’en rigole, mais à l’époque ! Pour le boulot aussi, ça a commencé à foirer. Sans états d’âme, jamais je ne m’étais posé la moindre question. Je bossais, point à la ligne. Au rythme de l’écriture des procédures judiciaires, là aussi une vicieuse routine s’était installée, de celles qui vous détournent de ce que vous êtes vraiment. Outre le fait de diriger ma petite équipe composée de six fonctionnaires, je mettais aussi la main à la pâte : on m’amenait ou j’allais chercher sur le terrain des « crapauds » que j’auditionnais. Cela fait, j’appelais le proc’, qui ordonnait la sentence, que je signifiais au gus assis devant moi. Pas le moindre sentiment, juste la froide satisfaction d’avoir fait correctement mon boulot, qui était de lutter contre la délinquance. L’habitude aidant, je ne voyais même plus l’être humain qui se trouvait devant moi. C’était une guerre que je menais, souvent avec mes propres règles. Jusqu’au jour où un pauvre type, comme il en existe des milliers, avait eu le tort de se faire coincer par une patrouille Police Secours, après une nuit bien arrosée, au volant de sa voiture. Il a filé tout droit en garde à vue après que je lui ai signifié ses droits en qualité d’officier de police judiciaire de permanence. Je me souviens encore des larmes qui coulaient sur ses joues lors de son audition. Moi, je m’en foutais, je faisais juste mon boulot. Quand je lui ai appris qu’il venait de perdre son permis, parce qu’il avait commis l’erreur de percuter la voiture du maire et qu’en plus le proc’ avait décidé de faire un exemple en le faisant dormir dès ce soir en prison, le gars s’est effondré. Le retrait de permis c’était son travail, sa vie qu’il perdait. La prison, une honte insupportable pour le brave type qu’il était probablement. La faute à pas de chance, comme le résume la parole populaire. Le glaive de la justice venait de faire une victime : le gars s’est pendu quelques heures après son transfert en maison d’arrêt ! L’image que j’avais de moi à l’instant où j’ai appris la nouvelle n’était pas reluisante du tout. Juste la justice… Et moi…
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