Chapitre 16

1887 Words
Chapitre 16 : Sous la même nuit LE POINT DE VUE d’Isabella L’air de Rome avait ce parfum unique de nuit tiède et d’orage contenu. Nous étions sortis du café sans vraiment savoir comment. Ni lui, ni moi ne parlions. Nos pas résonnaient sur les pavés, rythmés par un silence étrange ni gêné, ni tranquille, mais plein de tout ce qu’on n’avait pas encore osé dire. Sa voiture était garée un peu plus loin, sous un lampadaire qui grésillait. La lumière jaune dessinait sur son visage des ombres douces, presque irréelles. Je m’appuyai contre la portière, les bras croisés, essayant de reprendre une contenance. Mais à chaque fois que je croisais son regard, mon cœur battait à tout rompre. Leonardo s’approcha, les mains dans les poches, un sourire tranquille au coin des lèvres. — Tu sembles ailleurs, dit-il doucement. — J’essaie juste de comprendre ce qui vient de se passer, répondis-je en évitant son regard. Il rit bas, ce rire à moitié moqueur, à moitié tendre. — Moi aussi, pour être honnête. Le silence revint, ponctué par le bruit lointain d’une sirène. Puis il ajouta, un peu plus bas : — Tu sais, je pensais que tu allais me résister plus longtemps. Je relevai la tête, piquée dans mon orgueil. — Ah oui ? — Oui, souffla-t-il. — Isabella Romano, la fille arrogante, indomptable, glaciale. Celle qui ne cède jamais. Il marqua une pause, son regard plongé dans le mien. — Et pourtant, ce soir… tu m’as laissé entrevoir autre chose. Je sentis mes joues chauffer malgré moi. Je tentai de détourner la conversation. — Peut-être que je t’ai juste laissé gagner une bataille. Pas la guerre. Il sourit encore, cette fois sans arrogance. — Peut-être. Il s’approcha, jusqu’à n’être plus qu’à un souffle. — Mais dis-moi la vérité, Isabella… pourquoi ? Pourquoi ce soir ? Pourquoi moi ? Je restai un instant silencieuse. Les mots restaient coincés dans ma gorge, parce qu’ils me faisaient peur. Je n’étais pas censée ressentir ça. Pas pour lui. — Je n’en sais rien, finis-je par dire. — Peut-être parce que… tu ne me regardes pas comme les autres. Je baissai les yeux, cherchant mes mots. — Les hommes, d’habitude, me voient comme un trophée ou un problème. Toi, tu me regardes comme si j’étais une énigme que tu veux résoudre. Il hocha lentement la tête, son sourire s’adoucissant. — Et tu n’aimes pas ça ? — Si. C’est bien ça, le problème. Il éclata d’un rire bas, sincère. Et, malgré moi, je souris aussi. Je relevai la tête vers lui. — Et toi, Leonardo ? Pourquoi tu fais tout ça ? Pourquoi moi ? — Parce que tu es la seule personne qui me dise “non” sans trembler. Ses yeux se perdirent un instant dans les miens. — Et parce que, quand tu souris, j’oublie que ton père veut ma mort. Mon souffle se coupa un instant. C’était dit avec tant de calme, tant de vérité, que ça me désarma. Je voulus répondre, mais il posa doucement sa main sur la portière, juste à côté de la mienne. Pas un geste de possession. Un geste d’assurance. De présence. — Tu devrais rentrer, murmura-t-il. Je hochai la tête, sans bouger pour autant. — Et toi ? — Moi ? Je vais faire comme toujours. Un sourire furtif étira ses lèvres. — Penser à toi et prétendre que ce n’est pas dangereux. Je soufflai, un peu troublée. — Ce que tu fais est fou. — Peut-être. Mais je crois que toi et moi, on est faits pour le danger. Je le regardai une dernière fois, cherchant à retrouver mon masque, mon arrogance, ma distance. Mais il était trop tard. Je sentais encore la chaleur du moment, et le poids de ce qu’on venait d’ouvrir sans le vouloir. Alors je répondis simplement, d’une voix douce : — Ne t’y habitue pas, De Luca. Ce soir, j’ai juste oublié de me méfier. L’air autour de nous vibrait encore, chargé de quelque chose d’invisible mais bien réel. Ce n’était plus seulement une attirance, ni une provocation. C’était… une frontière qu’on venait de franchir sans même s’en rendre compte. Je m’étais attendue à des remords, à ce pincement familier que je ressens chaque fois que je désobéis. Mais non. Il n’y avait rien de tout ça. Juste une étrange paix, et ce regard qu’il posait sur moi comme s’il voyait au-delà de tout ce que j’avais toujours caché. Je croisai les bras, cherchant une contenance. — Et maintenant ? Leonardo fronça légèrement les sourcils. — Maintenant ? — Oui, dis-je en le fixant. — Maintenant qu’on a décidé de… sortir ensemble. Il esquissa un sourire amusé. — Tu le dis comme si c’était une signature de contrat. — Pour moi, c’en est un, répondis-je sans ciller. — Parce que tout ce que je fais finit par avoir des conséquences. Il se redressa, son expression plus sérieuse. — Et lesquelles, selon toi ? Je soupirai, détournant le regard vers la rue vide. — Mon père. Il resta silencieux un instant, comme s’il pesait mes mots. Je repris, plus doucement : — Tu sais très bien qu’il ne tolérera jamais ça. — Il ne supporte déjà pas que tu existes. Alors imagine quand il apprendra que je t’aime. Je regrettai aussitôt mes mots. C’était sorti tout seul. Je voulus les reprendre, mais c’était trop tard. Il eut ce petit sourire, calme, presque attendri. — Tu m’aimes, hein ? Je roulai des yeux, tentant de masquer la panique. — Figure de style, De Luca. Ne te fais pas d’illusions. Il rit bas, et la tension redescendit d’un cran. Mais pas dans ma poitrine. Là, elle continuait de battre fort, incontrôlable. Je me tournai de nouveau vers lui. — Sérieusement, Leonardo. — Si on continue ça… qu’est-ce que ça deviendra ? Je pris une inspiration. — Mon père ne me laissera jamais te voir. Et le tien… enfin, ton nom et le sien se haïssent depuis des générations. — Ce qu’on fait là, c’est marcher sur un champ de mines. Il s’approcha un peu plus, son regard grave. — Tu veux que j’aie peur, Isabella ? — Non. Je secouai la tête. — Je veux juste comprendre. — Qu’est-ce que tu cherches dans tout ça ? De la vengeance ? De la distraction ? — Rien de tout ça. — Alors quoi ? dis-je, ma voix un peu trop tremblante à mon goût. Il prit une seconde avant de répondre. Ses yeux ne fuyaient pas les miens, et ce qu’il dit ensuite me désarma complètement. — Je veux la seule chose qu’aucun empire n’a jamais pu m’offrir. — Et c’est quoi ? — Quelqu’un qui ne ment pas quand elle me regarde. Je restai là, incapable de parler. Ses mots avaient traversé toutes mes défenses. C’était simple. Déroutant. Vrai. Je détournai le regard, parce que le tenir me donnait l’impression de tomber dans quelque chose dont je ne sortirais jamais. — Leonardo… soufflai-je. — On ne peut pas faire ça. Tu le sais aussi bien que moi. — Peut-être, répondit-il calmement. — Mais ça ne m’empêchera pas d’essayer. Je le fixai de nouveau, cherchant dans ses yeux un signe de doute. Il n’y en avait pas. Et c’est ça qui me fit peur. Je souris malgré moi, un sourire presque triste. — Tu es complètement fou. — Non. Juste déterminé. Je croisai les bras pour cacher le tremblement de mes mains. — Et quand ton monde et le mien finiront par s’entrechoquer ? Il haussa les épaules, comme si c’était déjà prévu. — Alors on verra qui des deux est assez fort pour survivre. Son ton était calme, mais ses yeux… eux brûlaient d’une intensité que je ne pouvais plus ignorer. Je restai là, un instant, à le regarder. Et sans vraiment le vouloir, je sus que j’étais déjà trop loin pour reculer. Je voulais m’éloigner, vraiment. Mais Leonardo s’était avancé d’un pas. Puis d’un autre. Et sans que je ne comprenne comment, il était à nouveau là, tout près. Son regard me traversa calme, sûr, comme s’il lisait chaque pensée que j’essayais d’enterrer. Et moi, j’en avais assez de lutter. Je levai les yeux vers lui, prête à lui dire bonne nuit ou reste à ta place, mais aucun mot ne vint. Il s’inclina, tout doucement, et le monde s’effaça une fois de plus. Il m'embrassa à nouveau. C'est fou comme j'aime quand ces lèvres se posent sur les miennes Ce n’était pas un geste brusque ni une conquête. C’était une promesse silencieuse, presque un adieu avant l'heure. Un b****r qui disait plus que tout ce qu’on aurait pu formuler. Quand je rouvris les yeux, mon cœur battait trop fort pour prétendre que rien ne s’était passé. Je tentai pourtant de retrouver mon ton de glace. — Tu deviens vraiment insupportable, De Luca. Il eut ce sourire en coin, celui qui désarme tout. — Peut-être. Mais tu viens d’avouer que tu m’aimes, non ? Je le fixai, faussement indignée. — Quoi ? J’ai dit ça, moi ? — Oui. Et je t’assure, je retiens bien ce genre de choses. Je secouai la tête, essayant de masquer le trouble dans ma voix. — Tu entends ce que tu veux entendre. — Peut-être, admit-il, amusé. Puis il ajouta, plus bas, son ton devenant presque tendre : — Mais au moins, je sais une chose. — Laquelle ? Il se pencha légèrement, son regard ancré dans le mien. — Que ce soir, tu iras dormir en pensant à moi. Et ça, Isabella, c’est déjà une victoire. Je restai sans voix. Un éclat de rire nerveux m’échappa, malgré moi. — Tu as vraiment une haute opinion de toi, De Luca. — Non. Juste la certitude que tu n’oublies pas facilement ce qui te trouble. Je soupirai, ouvrant la portière de ma voiture pour me cacher derrière un geste banal. — Tu sais, je n’ai pas pour habitude de rêver des hommes que mon père déteste. — Alors fais une exception, répondit-il calmement. Je levai les yeux vers lui, un sourire ironique au coin des lèvres. — Fais attention, Leonardo. On ne joue pas avec moi. — Qui te dit que je joue ? Je n’eus rien à répliquer. Mon cœur battait trop fort, et ses mots flottaient encore entre nous, pleins d’une promesse qu’aucun de nous ne pouvait tenir. Je mis le contact, le moteur ronronna doucement. Avant de fermer la portière, il s’approcha une dernière fois, s’appuya contre le rebord et dit, d’un ton léger : — Fais attention sur la route, principessa. Je ne voudrais pas que la fille de mon ennemi disparaisse avant notre deuxième rendez-vous. Je haussai un sourcil. — Qui t’a dit qu’il y en aurait un ? Il sourit, impassible. — Ton regard. Je levai les yeux au ciel pour masquer le frisson qui me parcourut. Puis, sans ajouter un mot, je refermai la portière. En avançant lentement sur la route déserte, les lumières de Rome glissaient sur mon pare-brise comme des éclats de souvenirs. Je soufflai, un sourire invisible aux lèvres. — Arrogant… mais peut-être pas totalement idiot. Et, malgré moi, je savais qu’il avait raison. Ce soir-là, Leonardo De Luca aurait une place dans mes pensées. Une victoire, oui. Mais aussi le début d’un problème que je n’étais plus sûre de vouloir éviter.
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