Chapitre 1
Max pouvait courir, renifler chaque coin d’herbe, pendant que sa maîtresse faisait son jogging quotidien
6h30. Le radioréveil s’anima. Égrenant dans un rythme frénétique, la dernière rengaine à la mode. Margaux le chercha à tâtons, l’éteignit puis ouvrit les yeux. Le soleil perçait à travers les volets. Une nouvelle journée de beau temps s’annonçait. « Debout paresseuse ! Il est temps de te lever », pensa-t-elle. «Max doit t’attendre, sa laisse entre les dents. » Elle entrebâillait les persiennes de sa chambre et découvrit Max qui la regardait. Assis en contrebas, le museau levé vers sa maitresse, le labrador noir se mit à japper de joie en l’apercevant. Margaux se vêtit à la hâte. Un pantalon souple, un tee-shirt, des tennis et la jeune femme fut prête pour la promenade matinale de son compagnon à quatre pattes. L’animal et sa patronne sortirent de l’hôtel particulier dans lequel ils résidaient désormais. Cette demeure, au cœur des remparts de la cité de Carcassonne, était une petite merveille. Et Louise, sa propriétaire une vieille dame adorable. Ses enfants vivaient loin d’elle, son fils aîné dans la région bordelaise, négociant en vins, et sa fille à Paris, mariée à un chirurgien renommé de la capitale. La belle maison semblait bien triste depuis leur départ. Heureusement, Margaux était arrivée ! Tout de suite conquise par le charme discret des lieux, une bâtisse du 18e possédant un grand jardin clos, la jeune femme s’était prise d’affection pour Louise. Elle lui rappelait tellement sa grand-mère disparue l’année précédente. Et pour Max, quelle aubaine ! Un jardin et la compagnie de Louise toute la journée pendant que Margaux travaillait.
Au-dehors, la cité s’animait tout doucement. En passant devant le bistrot des remparts, Margaux aperçu Philippe, préparant la terrasse. Il arrangeait les chaises et disposait des cendriers sur les tables. Avec ce beau temps, nombreux seraient les amateurs d’un crème ou d’un café à l’extérieur. Margaux agita la main en direction de Philippe qui lui souriait et lui cria : « à tout à l’heure ». Le chien sur ses talons, elle descendit rapidement la rue du Plo, bifurqua sur la gauche pour accéder aux lices, puis franchit la Porte Narbonnaise pour se diriger vers les vignes bordant la cité. Là, Max pouvait courir, renifler chaque coin d’herbe, pendant que sa maîtresse faisait son jogging quotidien, empruntant les chemins de terre. Ses pas la ramenaient inlassablement vers les lieux de sa vie passée. Le printemps était une saison propice aux promenades matinales. Les ruelles étroites de la vieille cité, les remparts, les lices et la campagne alentour, tout était à Max et Margaux. Les touristes n’étaient pas des lève-tôt. Une fois les remparts franchis, la nature était là. Accueillante et déserte. Margaux dirigea ses pas vers la droite. Elle préférait éviter de passer devant le portail de la ferme. Éviter de croiser ses occupants. Ceux qui avaient pris sa place. Tout en maintenant son allure, Margaux vérifia que Max était toujours près d’elle. Il avait quelquefois, des envies d’entrer dans la cour où il jouait quelques mois plutôt. Mais non. Elle le vit à quelques mètres derrière elle. Il courait pour la rattraper. Mais soudain, il s’arrêta et repartit en arrière. Margaux l’appela :
− Max ! Max, où vas-tu ? Viens.
Mais le labrador se précipita vers le portail grand ouvert menant à l’ancienne demeure de Margaux et de sa famille. Max avait senti une présence. La jeune fille aperçut Julien qui s’accroupissait dans l’allée, attendant l’animal qui courrait vers lui.
− eh, bon chien. Comment te portes-tu ? Comme je suis heureux de te voir. Puis, s’adressant à Margaux qui restait à une distance raisonnable.
− hello ! Bonjour !
La demoiselle se renfrogna et rappela son toutou sans répondre.
− allez, Max, il faut rentrer maintenant.
Puis, Margaux tourna les talons et repartit rapidement vers la cité. Son compagnon à quatre pattes la rejoignit bientôt, abandonnant à regret le jeune homme de la ferme. Tous deux se dirigèrent vers la demeure de Louise, empruntant à l’envers, le chemin initial.
− Max, tu es pénible. Tu m’agaces à faire des caresses à ce Julien. Si ça continue, je trouverai une autre route !
Le labrador leva des yeux suppliants vers sa maitresse. Il ne faisait rien de mal.
La balade était terminée pour aujourd’hui. À la maison, Louise avait dressé la table du petit déjeuner dans le jardin. Elle dégustait son café en attendant les joggeurs.
− Bonjour, Louise, comment allez-vous ce matin ? demanda Margaux.
− Très bien, merci ma belle. Et toi, ta promenade s’est-elle bien déroulée ?
Louise remarqua le visage fermé de sa locataire, mais se garda bien de faire des commentaires. Elle se doutait de ce qui avait pu contrarier la demoiselle.
− Et toi Max ? As-tu bien reniflé toutes les traces de tes congénères ? Allez, venez déjeuner. Un bol de café fumant pour Margaux et pour Max, un peu de lait et un biscuit.
La jeune femme et son hôtesse devisèrent tranquillement en sirotant leur noir breuvage.
− tu as croisé quelqu’un ?
− c’est sans intérêt Louise. J’ai du mal à accepter que grand-mère ne soit plus à la ferme. Ça passera.
Louise sourit et posa sa main sur le bras de Margaux.
− Le temps arrange bien des choses, fillette. Tu verras… Bon. Et quel est le programme pour aujourd’hui ?
− Comme d’habitude. Tout d'abord, seconder Philippe pour les petits déjeuners, puis je tâcherai d’avancer un peu mes histoires. Ensuite, ce sera le coup de feu de midi…
− Tu parviens à écrire ? Ce n’est pas trop bruyant ? Le bistrot ?
− Non, ça va. C’est très vivant, surtout l’après-midi. Mais les touristes préfèrent se mettre en terrasse. Moi j’ai ma petite table et mon ordinateur au fond de la salle. Je suis au calme. Et puis, quand j’écris, je ne vois plus rien, je n’entends plus rien. Je suis seule au monde. Et pour vous Louise, quel est le programme ?
− J’ai décidé de faire des confitures. Je vais commencer par aller cueillir des cerises au jardin. Elles sont bien mures. Max me tiendra compagnie. Ensuite, il faudra les dénoyauter. Je crois que c’est la partie la plus pénible. Après, je mettrai les fruits dans le sucre. Et au réfrigérateur. Et demain, je pourrai faire la confiture. Les enfants en emportent volontiers quand ils viennent me rendre visite. C’est toujours bien meilleur que ce qu’on peut trouver dans le commerce.
− Ça, c’est certain.
− Et je nous ferai un clafoutis pour le dessert. Tu aimes ça, le clafoutis ?
− J’adore ! Vous savez me prendre par les sentiments, Louise. Mais l’heure tourne. Je vais être en retard !
Margaux se précipita à l’étage, vers sa chambre avec salle d’eau attenante. Elle passa rapidement sous la douche et enfila un jean et un tee-shirt, chaussa des ballerines, avant de redescendre au jardin.
− Je pars, Louise. À plus tard.
Margaux déposa deux baisers sur les joues de Louise, caressa la tête de Max et sortit de la maison.
Elle se dirigea vers le bistrot des remparts. Philippe s’affairait, debout derrière le comptoir. Les premiers clients venaient avaler le petit noir du matin. Il n’y avait que des habitués. Des banquiers, des assureurs, des commerçants de la cité qui aimaient commencer leur journée dans le bar de Philippe. Ils se saluaient, discutaient cinq minutes. Histoire de se tenir au courant de l’actualité, de maintenir un lien entre autochtones. Quelques-uns repasseraient vers dix heures pour un autre café. Quelquefois avec un client. Certaines affaires se concluaient plus facilement au bistrot qu’au bureau. Puis, vers midi, ils reviendraient pour avaler une salade, un bourguignon ou une omelette avec une pression, avant de retourner bosser. C’est pour la pause déjeuné que Philippe avait le plus besoin de Margaux. Sa clientèle se composait essentiellement d’employés de la cité. Plus quelques commerçants qui ne fermaient pas leurs boutiques et auxquels il apportait le plat du jour et un café. Margaux assurait le service en terrasse, Philippe faisait les livraisons. En cuisine, le chef Pascal et son commis ne chômaient pas. Le rythme était soutenu jusqu’à 14h30. Puis, petit à petit, le calme revenait. L’après-midi, quelques touristes venaient prendre une consommation, café, thé ou pression, ou un sirop pour les enfants.
Comme chaque jour vers 9 heures, Victoire entra dans le bar. Elle salua Philippe qui feuilletait négligemment le quotidien local et lui lança un tonitruant
− Comme d’habitude patron !
Puis s’avança vers Margaux, assise devant son ordinateur portable, au fond de la salle.
− Hello, ma copine, ça roule ? Je suis à la bourre, comme toujours ! Heureusement que je couche avec le boss, sinon je me ferai virer ! Elle éclata d’un grand rire communicatif.
Margaux partagea sa bonne humeur.
− C’est toujours le grand amour avec Jean-François ?
− Oui, ça baigne. C’est l’homme de ma vie, tu sais.
− Oui, mais quelquefois, travailler et vivre avec la même personne, ce n’est pas forcément très simple.
− Non, pour nous, ça va. On se connait si bien. T'en rends-tu compte ? Nous sommes amis depuis le collège.
Une ombre passa dans les yeux de Margaux
− Oui, je sais.
La complicité de Margaux et de Victoire remontait à l’enfance. Elles avaient fréquenté la même école communale, près de la cité, à deux pas du pont vieux menant à la Bastide, la partie la plus récente de Carcassonne. Puis, au collège, elles avaient rencontré Jean-François et Stéphane. Au lycée, puis à la fac, leurs parcours scolaires s’étaient séparés. Mais ils étaient restés amis. Ils se voyaient les week-ends. Petit à petit, Victoire la rebelle, Victoire qui prétendait qu’elle ne se marierait jamais, qu’elle ne s’attacherait à aucun homme, Victoire qui brandissait sa liberté comme un étendard, était tombée amoureuse de Jean-François. Celui-ci avait dans l’idée de succéder à son père, à la tête de l’agence immobilière de la cité. Et tout naturellement, ses études terminées, son père lui avait cédé l’affaire. Il avait alors proposé à Victoire de partager sa vie et son boulot. Et Victoire avait dit oui. Et depuis deux ans, les deux amoureux ne se quittaient plus. Ils vivaient et travaillaient ensemble. La rebelle aurait bien abandonné davantage encore une liberté pourtant si précieuse la veille, en acceptant une demande en mariage, mais Jean-François ne semblait pas pressé. Ils avaient tout le temps. Ils étaient bien comme cela.
− Et toi lui dit Victoire, aucune nouvelle de
Stéphane ?
− Non, aucune. Mais la page est tournée. Il fait sa vie sans moi et je ferai la mienne sans lui. C’est comme ça.
Victoire avala le café que Philippe était venu lui apporter et se leva d’un bond.
− Ne t’inquiètes pas va. Tout finit toujours par s’arranger. Je suis persuadée que cet idiot s’apercevra bien vite qu’il ne peut pas vivre sans toi. Après tout, cela ne fait pas très longtemps qu’il est parti. Combien ? Six mois ?
− Huit.
− Six mois, huit mois, c’est pareil. Orgueilleux comme il est, c’était certain qu’il te laisserait mariner un peu. Mais il reviendra. C’est plié ! Allez va. On se voit tout à l’heure ? Je viendrai manger avec Jef ce midi.
− A toute Victoire. Je te réserve votre table, comme d’habitude.
Lorsque Victoire fut sortie, Philippe s'approcha pour récupérer la tasse vide.
− Toujours aussi belle ta copine ! Mais toujours aussi gaffeuse. Tout de même, quel besoin avait-elle de te parler de Stéphane ?
− C’est une chic fille. Elle s’inquiète pour moi. Elle espérait qu’il m’aurait appelée. Elle est sur un petit nuage avec son Jef. Elle aimerait que je sois heureuse également.
− Ouais. Mais quelquefois, les petits nuages grossissent et apportent de l’orage.
Margaux ne releva pas la remarque de Philippe. Elle seule connaissait son secret. Il ne lui avait rien dit. Elle n’avait posé aucune question. Ce n’était pas utile. Il suffisait de le voir faire semblant de lire le journal comme ce matin, alors qu’il guettait Victoire. Margaux avait intercepté quelques regards de Philippe, quand la belle venait déjeuner avec son amoureux. Regards noirs pour Jef et douloureux dès qu'ils rencontraient Victoire. Philippe ne faisait pas partie de leur groupe d’amis. Leur ainé de dix ans, il avait pris la gérance du bar où Margaux et ses copains s'attablaient pour boire une bière le samedi soir. C’était un peu leur quartier général. Il était situé dans cette cité qu’ils aimaient tant, mais dans un coin moins fréquenté par les touristes. Un peu à l’écart. Préservé. Dès qu’il avait vu Victoire, Philippe avait été subjugué. La belle avait une élégance naturelle, un charme qui attirait tous les regards. Elle était vive, spontanée, souriante. Avec un physique avantageux, ce qui ne gâchait rien. Rousse, elle arborait avec grâce une magnifique chevelure bouclée. Très féminine, elle portait le jean aussi bien que le tailleur Chanel.
Et Philippe en était tombé amoureux. Il espérait qu’un jour, elle se lasserait de Jean-François. Il attendait ce moment avec quelques fois des mouvements d’impatience que Margaux avait su reconnaitre.
Margaux sourit à Philippe.
− Tout va bien. Ne t’inquiète pas.
Mais en dépit de ce qu’elle avait dit à son patron, la blessure s’était rouverte. Huit mois ! Cela faisait huit mois que Stéphane était parti.
Margaux repensa à leur dernière soirée, huit mois plus tôt.
Ils habitaient ensemble. À la mort de sa grand-mère six mois auparavant, Margaux avait quitté la ferme pour s’installer chez Stéphane, dans un petit meublé trouvé par Jean-François. Tant que sa grand-mère avait vécu, Margaux avait préféré rester avec elle. Elle savait qu’elle ne serait pas éternelle. Elle voulait profiter de sa présence au maximum. Puis, grand-mère s’était éteinte…
Ce soir-là, Stéphane avait réservé une table dans un restaurant chic de la Bastide. Après avoir obtenu brillamment son diplôme d’expertise comptable, il avait actualisé son CV et l’avait adressé à plusieurs boites de Carcassonne, Narbonne et Toulouse. Et il venait de recevoir une proposition de travail plutôt alléchante. Il voulait annoncer la bonne nouvelle à Margaux et fêter l’évènement avec elle. Ils allaient pouvoir concrétiser leurs projets. Acheter une maison, se marier, faire des voyages. Margaux pourrait se consacrer à sa passion, l’écriture. Elle ne serait plus obligée de bosser. Son salaire suffirait à les faire vivre. Et puis des enfants. Pourquoi pas. Ils n’en avaient jamais parlé, mais Margaux voudrait surement des enfants. Toutes les femmes souhaitaient des enfants.
C’est ainsi que Stéphane lui avait présenté sa bonne nouvelle. Margaux, après l’avoir félicité et s’être réjouie avec lui, avait demandé davantage de détails.
− C’est quoi cette boite ?
− C’est le cabinet Compta-plus. Le siège est à Paris, mais ils ont des agences un peu partout sur le territoire. Toulouse, Clermont-Ferrand, Strasbourg, pour te citer les plus importantes.
− Et ils te proposent un poste à Toulouse, je suppose ?
− Non. Pas à Toulouse.
− Ah. C’est dommage. C’était le plus prêt, avait-elle dit en souriant. Où alors ? Clermont ?
− Strasbourg.
− Carrément !
− Oui.
− Et tu dois donner ta réponse quand ?
− Je l’ai déjà donnée.
− Ah.
− Margaux ! C’est le genre d’offre qui ne se refuse pas. Un job. Bien payé. Un logement. Et la possibilité de revenir dans le sud plus tard.
Margaux essayait de garder le sourire. Ce serait dur. Loin de Carca…
− Et tu commences quand ?
− La semaine prochaine. Je pensais y aller d’abord. Le temps que tu t’organises pour le chien. Que tu trouves à qui le donner.
− Donner Max ? Mais tu plaisantes j’espère. Je veux bien aller m’enterrer à l’autre bout de la France pour te suivre, mais il est hors de question que j’abandonne Max. il vient avec moi.
− Ce n’est pas possible Margaux. Le logement c’est un studio. Je ne suis pas censé arriver avec une compagne. Et encore moins un chien.
− Mais tu n’es pas sérieux là ?
− Si. Tout ce qu’il y a de plus sérieux. On part tous les deux. Max n’est pas du voyage.
− Et bien tu partiras tout seul.
− Margaux !
− Mais tu es d’un égoïsme ! Max c’est ma famille. Je n’ai plus personne à part lui !
− Tu m’as moi. C’est moi ta famille.
− non. Ce que tu proposes est impossible. Tu ne peux pas me demander d’abandonner mon chien.
Margaux essayait de contenir son chagrin, mais de grosses larmes coulaient sur ses joues.
− et en plus, tu me mets devant le fait accompli. On n’en a pas discuté avant. Je fais partie des meubles, c’est ça ? Je suis une fille. Mon avis ne t’intéresse pas ? Il s’agit de ma vie aussi. Et je n’aurai pas le choix ?
Margaux s’était levée brutalement, renversant sa chaise. Dans le restaurant, le silence s’était fait. Tous les regards étaient fixés sur la jeune femme visiblement bouleversée qui se tenait debout.
− tu n’avais pas le droit de me demander cela. Tu sais tout ce que Max représente pour moi. Il est tout ce qu’il me reste de ma vie d’avant. Je n’ai plus personne. Plus de père, plus de mère. Plus de grands-parents. Plus de maison. Je n’ai plus que lui. Tu n’avais pas le droit.
− Margaux. Je suis désolé. Mais on ne peut pas faire autrement. On n’a pas le choix !
− on a toujours le choix. Quand pars-tu ?
− Margaux, s’il te plait…
Désormais, le chagrin avait laissé la place à la colère froide. Margaux avait déjà traversé tant d’épreuves.
− je répète. Quand pars-tu ?
− dans trois jours.
− parfait. Nous sommes mercredi. Tu pars donc samedi. Tu n’auras qu’à mettre les clés de l’appart dans la boite aux lettres. En attendant, je vais aller récupérer Max et je demanderai à Philippe de me prêter son arrière-boutique. Il y a un canapé. Et une cour. Ça conviendra très bien pour trois nuits.
− je suis désolé Margaux. J’aurai dû t’en parler avant. On aurait pu discuter.
− ça n’aurait rien changé. Je ne partirai jamais sans mon chien.
− écoute. A mon arrivée à Strasbourg, je chercherai un autre logement. Tant pis.
− inutile. Je ne viendrai pas. Salut.
Margaux était sortie du restaurant calmement. Mais une fois dans la rue, elle avait éclaté en sanglots. C’était trop dur. La vie cesserait-elle un jour de lui flanquer de grandes claques ! Elle avait quitté la Bastide en courant, traversé le pont neuf, remonté la rue Trivalle. Puis, elle avait franchi la porte narbonnaise, pour entrer dans la cité. Elle avait rejoint leur appartement où Max l’attendait. Elle s’était jetée sur lui en pleurant à chaudes larmes.
− mon gros toutou. Je ne te laisserai jamais. Jamais, tu m’entends ? Viens, on s’en va.
Une fois dehors, elle avait cherché le numéro de téléphone de Philippe parmi les contacts de son portable. Il n’était que 21h30. À cette heure, Philippe devait encore s’activer dans le bar.
− allo, Philippe ?
− Margaux ? Que t’arrive-t-il ? Tu as oublié quelque chose ?
− non. J’ai un service à te demander. Je peux venir ?
− maintenant ? Oui, oui. Bien sûr. Je suis au bistrot. Je t’attends.
Cinq minutes plus tard, Margaux exposait sa requête à Philippe. Elle lui expliqua le départ de Stéphane. Leur dispute à propos de Max et lui fit part de son idée de s'installer dans le local attenant au bar.
− pour trois nuits. C’est tout. Le temps que l’appart soit libre.
Bien sûr, Philippe avait été d’accord.
− tu seras bien, tu sais. C’est calme. Et le canapé est confortable. Ça m’est arrivé quelques fois d’y dormir au début. Mais tu risques d’être réveillée de bonne heure. Je suis là vers 5 heures. Je tâcherai de ne pas faire trop de bruit.
− merci Philippe. Tu me sauves la vie. Et ne t’inquiète pas. Je suis une lève-tôt.
Stéphane n’avait pas essayé de la revoir avant de partir. Trois jours plus tard, Margaux était retournée à leur appartement. Elle avait rassemblé ses affaires et les avait emmenées au bistrot. Puis, elle s’était rendue à l’agence immobilière de Jean-François. Victoire était au courant. Margaux lui avait tout raconté dès le lendemain suivant sa rupture d’avec Stéphane. Seule, Margaux ne pouvait pas garder le meublé. Jusque-là, elle partageait le loyer avec Stéphane.
Margaux avait posé les deux jeux de clés sur le bureau de son amie.
− tiens. Tout est en ordre.
− tu vas rester au bistrot ?
− pour l’instant. En attendant de trouver mieux.
Mais dès qu’elle était entrée dans le bar, Philippe l’avait interpellée.
− Margaux, j’ai une bonne nouvelle pour toi. Tu connais Louise ? La vieille dame qui habite cette belle maison au bout de la rue ?
− oui, Louise Mysonnial. C’est ta tante non ?
− ma grand-tante par alliance. La femme du frère de ma grand-mère. Enfin bref. Tu sais qu’elle est veuve et qu’elle vit seule ?
− oui. Elle a une fille à Paris et son fils à Toulouse ?
− Bordeaux. C’est pareil. Et bien elle est passée tout à l’heure. Elle m’a apporté des photos de mes parents qu’elle a découvertes en rangeant une vieille malle au grenier.
− et alors ?
− Et bien elle a vu Max. elle m’a demandé si j’avais un chien à présent. Je lui ai expliqué que c’était le tien. Que je t’hébergeais, le temps que tu trouves autre chose. Alors elle m’a proposé que tu ailles vivre chez elle.
− mais pourquoi ferait-elle cela ? Je ne la connais pas plus que ça !
− mais Louise te connait, elle. Et elle connaissait bien ta grand-mère, également.
− oui. Je me souviens. Elle venait lui acheter des œufs frais pour ses enfants.
− elle m’a dit qu’elle serait ravie d’avoir de la compagnie. Elle se sent un peu seule depuis que Pierre et Véronique sont partis.
− je ne sais pas.
− de toute façon, elle a ajouté qu’elle repasserait tout à l’heure. Tu peux toujours essayer ! Ce serait plus confortable que l’arrière-salle du bistrot !
Louise était revenue. Et les deux femmes s’étaient tout de suite comprises. Margaux s’était trouvée en confiance. Louise lui avait parlé de grand-mère. Et de ses parents. De la ferme. Du temps de son bonheur. Et Max semblait l’apprécier. Il avait posé sa tête sur les genoux de la vieille dame et levé vers elle des yeux qui paraissaient l’interroger.
− hein Max. tu es d’accord toi ? Tu veux bien venir vivre chez Louise ? Tu sais, j'ai un grand jardin et je t’achèterai de bonnes croquettes.
Le chien avait aboyé comme s’il comprenait et qu’il acquiesçait.
− tu vois petite. Ton toutou est d’accord.
Margaux avait ri.
− OK. Merci beaucoup madame Mysonnial. Si vous pensez que nous n’allons pas vous déranger.
− Louise, s’il te plait. Pas de cérémonies entre nous. Je suis bien certaine que nous nous entendrons très bien.
C’est ainsi que Margaux et Max s’étaient installés chez la vieille dame, dans la belle bâtisse du 18e siècle.