Point de vue de Scarlett.
Je m'appelle Scarlet Williams, j’ai actuellement vingt et un ans et je vis dans un internat pour jeunes filles. C’est là que j’ai été abandonnée à la naissance, déposée dans une boîte devant la porte. Il est donc évident que je n’ai jamais connu la présence de mes parents dans ma vie.
J’ai été gardée à l’internat grâce à la bienveillance de certains parents d’élèves qui, en apprenant mon histoire tragique, ont accepté de financer mes études. Les “tantes” de l’établissement racontaient que j’avais été cruellement abandonnée sans aucune chance de survie si je n’avais pas été recueillie, histoire de susciter la pitié et obtenir leur aide.
J’ai reçu une excellente éducation avec des professeurs de qualité. Ma facilité à apprendre m’a beaucoup aidée ; c’est probablement pour cela que je me suis aussi bien débrouillée à l’école et dans les activités extra-scolaires.
En grandissant, mes camarades prenaient un malin plaisir à me rappeler que leurs parents payaient pour moi. J’avais honte de devoir dépendre de la pitié des autres, surtout de gens avec qui je n’avais aucun lien familial. Mais je savais que cette aide financière me permettait d’éviter bien pire : un orphelinat.
J’ai dû ravaler ma fierté pour survivre. Une camarade adoptée m’avait raconté à quel point les orphelinats pouvaient être terribles : enfants négligés, parfois même maltraités… Rien que d’y penser, j’en frissonne.
Si quelqu’un me demandait si mes parents me manquaient, je répondrais : comment peut-on ressentir le manque de quelque chose qu’on n’a jamais eu ? Petite, j’ai pourtant souvent fantasmé leur retour. J’imaginais qu’ils franchiraient la porte de l’école, m’enlaceront et diront que tout allait s’arranger, que c’était une erreur ou qu’ils regrettaient. Pour une enfant, des excuses suffisaient… tant qu’elle n’était plus seule. Aujourd’hui, ce genre d’illusions n’a plus sa place. Même s’ils revenaient, rien ne comblerait le vide laissé par leur absence.
Je ne peux pas être hypocrite non plus : j’ai reçu de l’amour. Beaucoup. Les tantes de l’internat étaient attentionnées et protectrices, surtout ta tante Maria, une vieille dame un peu folle, mais sans doute la meilleure cuisinière du monde.
C’est elle qui a choisi mon prénom. Et c’est aussi elle qui m’a aidée à choisir mon nom de famille parmi plusieurs possibilités. J’aimais la sonorité de “Williams”, alors je n’ai pas hésité.
J’avais dix-neuf ans lorsque je me suis transformée en louve pour la première fois. J’ai paniqué ce jour là. Découvrant ce que j’étais vraiment, sans savoir comment gérer ça… Il n’existe pas de manuel pour devenir loup-garou.
Il m’a fallu plusieurs jours pour m’adapter. Au début, je perdais complètement le contrôle de mes transformations, alors je me barricadais dans ma chambre sous prétexte d’être malade. J’ai tout appris seule. Aujourd’hui, je peux dire avec fierté que j’ai traversé cette épreuve avec une maturité rare. Là où d’autres auraient sombré, moi j’ai accepté ce destin, en me disant qu’un jour, j’en comprendrais peut-être la raison.
Ma louve s’appelle Luna. Elle est magnifique, avec un pelage blanc comme neige et des yeux bleus aussi clairs que le ciel. Elle a un tempérament très instable, mais je l’aime profondément. La seule personne au courant de mon secret est tante Maria. Elle a eu un petit choc au début, bien sûr, mais elle a fini par s’habituer. Je me souviens encore de ses questions après qu’elle se soit calmée :
— Tu ne vas pas sortir pour hurler à la lune, hein ? Ou manger de la viande crue et sanglante ? elle fit une grimace en prononçant ce dernier mot. Mon Dieu… tu vas entrer en chaleur ? et là, sa grimace vira à la panique alors qu’elle commençait à imaginer des plans pour que je puisse faire mes “petites escapades”, selon ses termes.
Un rêve ne m’a jamais quittée : je le fais depuis toute petite. Un homme magnifique me regarde dans ce rêve avec des yeux emplis de douceur, de force et de bienveillance. Il me regarde comme si j’étais précieuse à ses yeux. Ce regard me bouleversait chaque fois que je me trouvais face à lui dans le rêve.
Pendant longtemps, j’ai voulu croire que ce n’était qu’un rêve. Qu’un homme comme ça n’existait pas. Mais même sans l’avoir jamais rencontré, je n’ai jamais pu oublier cette sensation. Être regardée comme si j’étais importante.
Enfin… difficile de l’oublier, même maintenant.
Une autre grande passion dans ma vie : les voitures. J’ai commencé à les aimer le jour où la mère d’une amie nous a emmenées faire un tour dans la sienne. À partir de là, je savais que je devais apprendre à conduire dès que possible.
Ce que j’ai fait deux ans plus tard. Je m’échappais de l’internat pour prendre des leçons avec une femme pleine de piercings et de tatouages, que j’avais rencontrée alors que j’admirais des voitures participant à des courses illégales. Elle s’est porté volontaire de m’apprendre à conduire.
Au début, j’ai refusé. C’était une inconnue. Mais à force de l’observer, j’ai vu qu’elle était l’une des meilleures pilotes. Mon enthousiasme a fini par l’emporter. Elle s’appelait Clarissa.
Ce n’était pas aussi simple que je l’imaginais, mais avec le temps, j’ai acquis assez d’aisance pour avoir l’impression de pouvoir conduire les yeux fermés. Derrière le volant, je me sentais libre. C’est ainsi que j’ai participé à ma première course. Clarissa m’a prêté sa Mustang GT ultra puissante… et j’ai gagné. Ce fut la première d’une longue série.
En découvrant que je pouvais gagner de l’argent grâce à ça, j’ai saisi l’opportunité. J’ai enfin commencé à voler de mes propres ailes.
Et me voilà, vingt et un ans, avec un petit pécule en banque, prête à m’installer dans une ville appelée Black. Oui, le nom est étrange, mais… je suis une louve. Qu’est-ce qui pourrait être plus étrange que ça ?
J’ai choisi cette ville sans vraiment comprendre pourquoi. En regardant une carte, mes yeux s’y sont arrêtés, comme si ce lieu m’appelait. Comme si c’était là que je devais être. Alors demain, je pars.
Que cette ville se prépare.
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Le lendemain
Le réveil sonne. Je me retourne pour l’éteindre et me rendormir, épuisée d’une nuit presque blanche. Je ferme les yeux, commence à compter les moutons, quand je me redresse d’un coup : c’est aujourd’hui que je pars pour la nouvelle ville !
Je saute du lit, mais fidèle à moi-même, je me cogne contre une commode et lâche un juron lorsque le réveil me tombe sur le pied.
— Où est le voleur ?! Mon Dieu, ne lui faites pas de mal, prenez-moi à sa place ! Je suis vieille mais pure, jamais touchée par un homme, tout est bien conservé, je sais même faire du pole dance !
Imaginez une dame de presque soixante ans en chemise de nuit, avec des bigoudis dans les cheveux et un balai à la main, hurlant dans ma chambre contre un voleur imaginaire… bien sûr, elle avait encore oublié ses lunettes. J’éclate de rire, incapable de m’arrêter.
— Je n’imaginais pas qu’un voleur puisse avoir un rire aussi bruyant…
Je m’arrête net. Qu’insinue-t-elle, au juste ?
— Comment ça, mon rire est bruyant, tante Maria ? je boude en allumant la lumière alors qu’elle tente toujours de frapper le “malfaiteur” avec son balai. Elle n’a pas compris que le malfaiteur en question, c’était moi.
— Scarlet ? Tu m’as fait peur, idiote !
— dit-elle en essayant tout de même de m’assommer.
— Je ne voulais pas, tante. J’ai juste trébuché, le réveil est tombé, et voilà…
Je la remercie mentalement lorsqu’elle pose enfin son balai. Elle me dévisage avec des yeux plissés.
— Quelle maladroite tu fais… Allez, va te préparer. Je vais te faire quelque chose à manger. Je ne sais pas comment tu vas survivre sans moi… elle essaie de prendre un ton sévère, mais sa voix devient tremblante.
Je la serre dans mes bras. Je lui promets que dès que je serai installée, je viendrai la chercher.
Cette femme, c’est ma famille.
On se sépare après qu’elle m’ait embrassée sur le front et m’ait poussée vers la salle de bain. Je me prépare, enfile une robe bleue qui fait ressortir mes yeux ce que je n’aime pas ,, alors je mets des lentilles marron pour ne pas trop attirer l’attention.
Je prends un petit-déjeuner rapide, dis au revoir à toutes les personnes qui comptent pour moi. Je ne les oublierai jamais.
Mais dire au revoir à tante Maria… c’est ce qu’il y avait de plus dur. Les yeux embués, le cœur serré, je pars à la rencontre de mon destin.