Chapitre 9

2271 Words
C'est avec une main posée sous le menton que Bobbie se mit à remuer paresseusement son thé aux fruits rouges. Ses yeux étaient focalisés sur le petit tourbillon qu'occasionnait la petite cuillère qu'elle tournoyait dans la tasse en porcelaine. Finalement ennuyée par cette action peu divertissante, elle finit par lâcher le petit ustensile de table dont elle tenant la manche. Cette dernière heurta le bord de la tasse en créant un bruit disgracieux. Bobbie était irrité, fortement irrité. Mais triste aussi. Hakim était parti depuis au petit matin en la laissant peinée. Il était parti sans même la réveiller. Il n'avait laissé qu'un mot et son parfum sur l'oreiller. Son message disait : 《Chérie, ne m'en veux pas d'être parti comme un voleur. Tu dormais si bien que je ne voulais pas te réveiller. Je t'appelerai une fois à Melbourne. Hakim.》 C'est pour cette raison que depuis son réveil, elle fixait l'écran de son téléphone, impatiente qu'il tienne sa promesse. Ciel, elle devenait si dépendante de cet homme... Sur la table, reposaient ses pilules du lendemain qu'elle comptait avaler après son petit-déjeuner. Elle s'empara de sa tasse et l'approcha de ses lèvres. Le parfum des fruits rouges envahit instantanément ses narines. Elle souffla doucement sur la surface mais grimaça en buvant le liquide délicatement rougi. Elle reposa aussitôt le petit mug en jurant. Trop plongée dans ses pensées, elle avait oublié d'y ajouter du sucre. Elle partit fouiller dans ses placards mais il n'y en avait plus. Bobbie décida qu'il était grand temps de faire les courses. N'ayant pas si faim que ça, elle ne toucha pas à la tartine qu'elle venait de beurrer. Elle alla donc directement prendre une douche et une fois fait, elle s'habilla d'un short et un Tee-shirt jaune portant le nom d'un groupe de rock australien. Elle n'oublia pas légendaire et indispensable casque mp3 parce que marcher dans la rue sans écouter de musique était synonyme d'enfer pour elle. La jeune femme s'empara d'une poupée russe en céramique qui lui servait de tirelire et dans laquelle elle conservait l'argent destiné aux courses. Elle retira le bouchon se trouvant au niveau de la base et piocha quelques billets froissés. Elle referma puis reposa le petit récipient matriochka avant de ranger l'argent dans son porte-monnaie. Son casque sur les oreilles, elle quitta ensuite son appartement et dévala l'escalier en sifflotant sur une musique entendue par elle seule. Alors qu'elle allait traverser la rue, quelqu'un lui tapa sur les épaules. Un garçon roux se tenait près d'elle et lui souriait grandement. Le reconnaissant, Bobbie retira son casque et lui rendit son sourire avec une accolade à l'appui. - Dustin ! Ça va ? - Oui. Et toi ? - Bof, la routine. Entre Dustin et elle, l'amitié s'était un peu solidifiée contrairement à ce qu'on aurait pu croire après le malaisant événement qui s'était produit quelques mois plus tôt. En effet Bobbie n'était pas du genre à laisser les non-dits planner entre elle et les gens alors elle l'avait confronté dès les jours qui avaient suivi. Cette fois-ci ils avaient quitté le cadre de la boutique d'antiquités avec l'autorisation de Everett et s'étaient rendu dans un parc pour discuter au calme. Ça avait une bonne idée car l'androgyne avait parut moins nerveux même si l'agitation avait toujours été présente. Il lui avait avoué ses sentiments naissants et cette fois-ci Bobbie l'avait "vraiment" écouté. Elle s'était alors sentie idiote de n'avoir rien remarqué et cruelle d'avoir ignoré ce pauvre Dustin. Bien entendu elle avait mis les choses au clair car elle ne ressentait absolument rien pour lui si ce n'était de la sympathie et de l'affection. Et puis en ce temps là, Hakim lui faisait la cour et elle avait des sentiments pour lui, des sentiments auxquels Dustin n'avait et n'aurait jamais droit. C'est pour cela qu'elle avait décrété qu'il serait mieux pour elle de prendre ses distances et de ne plus revenir dans la boutique de Everett. Mais le roux avait tellement insisté -allant même jusqu'à avoir les larmes aux yeux- en prétextant qu'une amitié lui serait largement suffisante qu'elle avait finir par lui accorder au moins cela. Et si elle avait craint que ses sentiments pour elle faussent les bases de cette amitié dès le départ, elle avait été très surprise par l'attitude irréprochable de Dustin. Il ne l'avait jamais harcelé à propos de ça en lui demandant d'y réfléchir à nouveau même si l'envie devait le brûler de l'intérieur. Il savait que la réponse serait toujours "non" car Hakim était la barrière murale qui le séparait de la belle Bobbie. Sa seule erreur au cours de ce parcours avait été de dire à Bobbie un jour qu'il n'appréciait pas Hakim et qu'il avait peur qu'il lui fasse du mal. C'était lorsqu'il avait appris que Bobbie et lui étaient en couple. Dustin avait alors sorti un tas de préjugés sur les arabes comme quoi ils seraient des hommes violents n'hésitant pas à battre leurs femmes, qu'ils seraient sans cœur, des polygames et cetera. Bobbie s'était alors enflammée en le remettant à sa place et en lui disant que Hakim n'était rien de tout ça et que s'il disait encore des choses pareilles, il devrait oublier leur amitié. Personne n'avait le droit de traiter Hakim de barbare. Il était l'homme le plus doux qu'elle connaisse. Jamais il n'aurait levé la main sur elle, jamais il ne lui crierait dessus. Comprenant une fois de plus que cet homme aurait toujours du pouvoir et une longueur d'avance sur lui dans le cœur de Bobbie, Dustin s'était rétracté avec un mea culpa plus ou moins sincère. À présent tout ça était derrière eux, du moins pour Boobie qui avait retrouvé le sourire dès le lendemain du fâcheux incident et lui avait entièrement pardonné. - Comment va ce bon vieux Everett ? - Bien merci. Il m'a d'ailleurs demandé de te passer le bonjour si jamais je te croisais dans le coin. Il va sacrément être heureux de savoir que c'est chose faite. - Tu m'étonnes ! fit-elle en pouffant. En passant, que fais-tu dans les parages ? - J'étais passé voir un ami. Et toi ? Tu vas quelque part ? - À l'épicerie pour faire mes courses. Mes placards sont affreusement vide et bientôt ça risque d'être la famine dans mon appartement. - Je t'y emmène. - Non merci, je préfère marcher. _ J'insiste. - Tu es sûr ? Everett pourrait avoir besoin de toi à la boutique. - Il a engagé quelqu'un la semaine dernière car je vais bientôt reprendre l'université. En plus aujourd'hui c'est mon jour de repos. - Tu vas reprendre l'université ? Mais c'est génial ! Pourquoi tu ne m'as rien dit ? - En fait ce fut une décision prise sur un coup de tête mais je comptais t'en parler. - Je suis contente de l'apprendre. - Merci. Tu viens ? Mon scooter est garé juste là. Elle acquiesça et le suivit. Il enfourcha la petite motocyclette orange et lui tendit un casque identique au sien. L'épicerie n'était pas si loin donc ils arrivèrent en moins de cinq minutes. Et puis tant mieux si Bobbie pouvait avoir une seconde paire de bras pour l'aider à porter ses courses. Ils pénètrèrent dans le magasin en riant à une blague de Dustin. Bobbie attrapa un panier au passage tout en saluant gaiement la caissière. Elle commença par remplir le panier de chips divers. La junk-food c'était sa vie. Bobbie faisait partie de ces personnes qui s'en fichaient pas mal de ce qu'on disait sur la malbouffe. Elle faisait également très peu de sport, ce qui ne favorisait pas le départ de ses poignets d'amour. Mais Hakim aimait son corps tel qu'il était alors pourquoi faire des régimes ? Alors que Dustin était entrain de monologuer sous ses gloussements, les yeux de Bobbie tombèrent sur une pile de magazines exposés. L'un d'eux attira particulièrement son attention, pas parce qu'elle était fan de ces torchons à cancans mais plutôt à cause de l'homme qui figurait en première page de plusieurs d'entre elle. Elle connaissait ce visage dur et dénué d'émotions, elle en avait embrassé les lèvres, elle avait lu du désir dans ces yeux dont iris étaient d'un vert hors du commun. Hakim... Son Hakim. À première vue, ça n'avait pas vraiment de quoi être choquant. Après tout les hommes d'affaires pouvait très bien figurer dans les magazines. Sauf que là, il ne s'agissait pas d'un journal financier mais d'une presse people. Voir Hakim dessus avait donc de quoi la déconcerter. Mais c'était le gros titre planant au dessus de la photo de son homme qui lui glaça le sang. "LE CHEIKH DU KHAYAT ET SON IDYLLE AVEC UNE AUSTRALIENNE." Pendant que son ami qui connaissait ses goûts remplissait le panier à sa place, Bobbie s'empara brutalement du magazine pour mieux lire. La papier neuf se froissa sous ses mains crispés dessus. Sur l'image, Hakim portait une tenue traditionnelle propre aux hommes de son pays. Il était indéniablement beau et viril. C'est la première fois qu'elle le voyait dans ce genre d'accoutrement mais là n'était pas la question. En effet le nom ou le titre qu'on lui donnait faisait beuguer le cerveau de la jeune femme. Ce n'était pas possible. Hakim était l'un des -sinon le plus- puissants souverains des États de la péninsule arabique. Et ce n'était pas tout, elle était à présent peinte comme la maîtresse de cet homme craint de tous. "Pendant que le Khayat se prépare à entrer en guerre, le cheikh al-Din Jalal semble prendre du bon temps lors de ses soi-disants voyages d'affaires en Australie. Connu pour être farouche et hostile envers les américains contrairement à son cousin Majid qui prétend lui aussi au trône et est prêt à tout pour l'avoir, le cheikh vient de se plonger dans un scandale. En effet des rumeurs circulent et relatent la liaison qu'il entretiendrait avec une australienne du nom de Bobbie Wiggins..." Prise de vertige, Bobbie arrêta de lire et laissa le magazine lui échapper des mains. Le bruit alerta Dustin. - Bobbie ? - On s'en va. - Mais- - ON S'EN VA ! elle cria avant de se diriger vers la sortie en courant presque et en abandonnant le magazine sur le sol. Des têtes se tournèrent sur son passage. Quand elle fut dehors, elle tourna sur elle-même avec le regard hagard comme une femme perdue. Elle s'arracha les cheveux et tentait en vain de respirer. Son monde tournait trop vite et sa gorge était douloureuse. Elle n'avait jamais été une femme émotive mais là, le choc était grand. Dustin qui avait jeté un bref coup d'œil au magazine et avait compris la situation la rejoint en courant. Lorsqu'il la toucha sans qu'elle ne s'aperçoive de sa présence, elle fit un bond en arrière. - Du calme Bobb, ce n'est que moi. Elle cligna des yeux avant de lui demander de la ramener chez elle. - D'accord, il accepta en sachant pertinemment bien que l'heure n'était pas aux questions-réponses. Ils remontèrent sur la moto et Dustin démarra après avoir fait vrombir le moteur. La jeune femme s'accrocha fortement à lui en se retenant de pleurer. Mais alors qu'ils étaient proches de l'appartement de Bobbie, ils virent un attroupement de journalistes au loin. Ils avaient envahi l'entrée de l'immeuble pour la guetter sans aucun doute. - Je crois qu'ils sont là pour moi. - Allons chez moi. - Quoi ? - Il est évident que tu ne peux pas rester ici. Elle considéra brièvement sa proposition mais décida de la rejeter aussi bienvenue soit-elle. - Je suis désolée mais non. Je ne peux pas laisser mon appartement vide comme ça. Je vais emprunter l'escalier de secours. Ils prirent alors un autre corner menant à l'arrière du vieil immeuble en brique. Heureusement pour elle, il n'y avait personne en dehors d'un clochard soûl qui dormait à même le sol humide. Le moteur du scooter s'arrêta en faisant fuir deux chats errants. Bobbie retira son casque et le tendit à Dustin en le remerciant vaguement. - Dustin, je te prie de n'en parler à personne. La situation est assez inquiétante comme ça. - Je ne comptais rien faire de tel. Tu ignorais donc qui il était vraiment ? - Oui. Si j'avais su... Si elle avait su, qu'aurait-elle fait au juste ? Elle aurait interdit à cet homme de l'approcher ? Elle aurait tout fait pour empêcher son cœur de tomber amoureux ? Y serait-elle parvenue ? - Bobbie, ma proposition tient toujours. Je n'aime pas l'idée de te savoir seule dans un moment comme celui-ci. Je suis sûr que mon grand-père ne verra aucun inconvénient à t'accueillir chez nous pour quelques jours, le temps que tout ceci s'apaise. Elle posa sur lui un regard vide et c'est avec une voix terne qu'elle déclara : - Ne t'inquiète pas, je vais bien. On aurait dit qu'elle essayait de s'auto-convaincre. Dans sa tête, c'était la panique absolue. Elle avait encore du mal à accepter ce qu'il se passait. Et pourtant à quelques pas de là, des paparazzis se tenait près à l'envahir de questions dès qu'ils la verrait. Ne voulant justement pas trainer là, elle s'éloigna de Dustin après un bref au revoir. En la regardant partir, il lui dit de l'appeler si elle avait besoin de quelque chose. Bobbie ne répondit rien. Elle grimpa hâtivement l'escalier en fer menant au balcon arrière de son appartement tout en se demandant ce qu'il se passait exactement. Elle devait sans doute nager en plein cauchemar. Dans quel pétrin s'était-elle mise en s'entichant de cet homme ? Un cheikh.
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