Elle ne l'avait même pas entendu entrer. À présent il se tenait aux côtés des deux jeunes gens en etant entièrement vêtu de noir. Ça faisait minimum cinq jours qu'ils ne s'étaient pas revus. Mais force était de constater qu'il avait toujours le même pouvoir et effet dévastateur sur elle. Ses yeux céladon tranchant avec sa peau tannée par le soleil arabique lui rappelaient la couleur d'un jade blanchâtre.
Hakim aurait dû partir loin de l'Australie depuis fort longtemps mais tel un prédateur guettant sa proie, il avait attendu le moment idéal pour se rapprocher de Bobbie. Et il avait fallut qu'il tombe sur ce minable freluquet cherchant lui aussi à lui mettre la main dessus.
– Monsieur al-
Bobbie ne put terminer car elle avait oublié le nom compliqué de l'homme et ne voulait pas le froisser en le faussant. Elle avait même failli redire son fameux "al-machin-truc".
Le souverain lança un regard neutre mais terrifiant à Dustin. Ce dernier comprit aussitôt le message qu'on voulait lui transmettre. Au fond, l'androgyne savait déjà qu'il n'avait aucune chance face à cet homme. Pas parce qu'il semblait plus costaud et riche mais parce que Bobbie l'observait avec une adoration dont elle n'avait sûrement pas conscience. Dustin n'avait jamais eu droit à un tel regard venant d'elle. Et puis il ne fallait pas être devin pour deviner qu'elle le connaissait.
– On se parlera un autre jour Bobbie. Passe nous voir de temps en temps.
Suite à cette phrase marmonnée avec déception, il battit en retraite et monta l'escalier afin de reprendre ce qu'il faisait avant que son grand-père ne l'appelle. Trop concentré sur Hakim, la jeune femme ne lui avait même pas répondu. Le souverain suivi l'androgyne des yeux jusqu'à ce qu'il ne disparaisse de son champ de vision. Lorsque ce fut fait, il reporta son attention sur la jeune demoiselle. Elle sera un peu plus fortement son violon contre elle comme un bouclier. La fois dernière c'était un seau, aujourd'hui un violon. Décidément elle avait peur de lui, se dit Hakim avec un amusement teinté d'irritation. Il ne voulait pas qu'elle ait peur de lui, loin de là.
– Que faîtes-vous dans les parages monsieur ? Ou vous allez me dire que vous passiez par hasard ? Parce que je ne vous croirez pas.
Il était vrai qu'il l'avait sauvée d'un moment extrêmement gênant. En effet Dustin l'avait hautement embarrassée avec sa demande soudaine. Mais voir cet homme ici était encore plus contrariant dans le sens où elle ne s'yattendait pas du tout. C'était le dernier endroit où il aurait pu être.
– En effet je ne vais pas vous servir cette excuse clichée. Je ne suis pas entré dans cette boutique dans le but d'acheter un objet pour le plaisir et ne suis pas non plus plus tombé sur vous à cause d'un quelconque caprice du destin.
– Vous m'avez suivie ?
Il avouait clairement avoir provoqué la rencontre. Le roi avait été déçu lorsqu'on lui avait appris qu'elle avait démissionné dès le lendemain de leur rencontre. Elle allait certes continuer de travailler à l'hôtel mais pas pour longtemps et il n'aurait pas pu la forcer à revenir dans sa chambre sans passer pour un pervers.
Il avait aussi appris grâce à son informateur que miss Wiggins adorait le violon. Son regard se posa sur celui qu'elle avait dans les bras. L'étui transparent lui permi d'apprécier la beauté de l'instrument. Il fit deux pas lent vers elle. Bobbie sentit son corps s'alourdir. En ayant conscience que sa proximité troublait la jeune australienne et au lieu de répondre à sa question, il lança d'un voix basse, rauque et sexy comme une caresse :
– Violon baroque, France, en ce qui concerne sa date je pencherai plus pour les années quatre-vingt-dix. Dominique Belyea si je ne me trompe pas.
– Vous êtes un connaisseur ? elle demanda émerveillée par la quasi exactitude de ses propos.
– Non mais je me défends. À vrai dire j'adore la musique contemporaine.
Et il était sincère même s'il préférait le piano au violon.
– Vous savez jouer du violon ?
Il secoua négativement la tête.
– Mais j'aimerais bien apprendre de vous. Ça ne doit pas être bien compliqué n'est-ce-pas ?
Il se retint d'ajouter que cela devait être semblable au fait de caresser un corps de femme. Rien que pour le plaisir de la voir rougir, il l'aurait fait. Mais pour ne pas la brusquer concernant ses désirs, il garda ces mots pour lui. Il ne pu toutefois s'empêcher d'imaginer ses mains -surtout ses doigts- jouer avec le corps de la belle brune comme s'il s'agissait de l'instrument de musique le plus somptueux.
Elle s'étrangla avec sa salive en bafouillant qu'elle ferait une professeure nulle. Il était tant qu'elle s'éloigne de lui avant qu'il ne la consume toute entière. Elle recula donc jusqu'à buter contre le comptoir. Hakim ne l'avait pas quittée dès yeux, son calme avant quelque chose de troublant pour elle. Le vieux antiquaire qui avait senti la tension entre eux lui rédigea rapidement un reçu et elle le rangea dans une des poches de la salopette en jean qu'elle portait sous une vieille veste.
– Merci beaucoup Everett.
– De rien. Et ne disparaît pas hein, il fit en agitant gentiment son index pointé vers elle sous son nez en guise d'interdiction.
– Je passerai vous voir, n'en doute pas.
– À bientôt petite. Et puisse ce violon reprendre vie entre tes mains.
Elle le gratifia d'un petit sourire tout en passant les bras dans les deux courroies de l'étui afin de le porter tel un sac à dos.
Bobbie dépassa lentement Hakim sans lui dire au revoir. Son regard la brûla de partout durant son avancée. Au fond, elle savait qu'ils se reverrait. Cette idée lui plaisait fortement. À quoi bon le nier ? Et lorsque le moment fut arrivée pour elle de franchir la porte, elle se tourna vers lui pour dire :
– En passant, ce n'est pas un violon baroque mais plutôt un violon d'amour.
Elle le gratifia d'un large sourire espiègle avant de lui tourner le dos pour quitter la boutique d'antiquités. Ses cheveux volant au vent laissèrent derrière elle un délicat parfum de fruit de la passion qui ébranla divinement Hakim.
Quelle femme !
– Un violon d'amour, murmura le cheikh en le regardant traverser la rue.
Cette appellation avait réveillé quelque chose en lui.
– Pétillante jeune femme, n'est-ce-pas ?
Il se tourna vers le propriétaire de la boutique. Ce dernier avait un regard borgne rempli de malice.
– Pardon mais vous disiez ?
– Vous m'avez l'air d'être un homme bien, le complimenta Everett avec sa lente voix d'homme âgé. Vous devriez la suivre pour lui demander son numéro de téléphone. Vous les jeunes d'aujourd'hui, vous avez pleins d'opportunités pour atteindre le cœur d'une femme. À mon époque il fallait écrire de longues lettres, lui offrir des fleurs ou l'inviter à danser sur du Rockabilly Jive ou du Boogie-Woogie. On n'avait même pas de réseaux sociaux pour se retrouver en cas de séparation. Les choses ont bien changé.
Le roi sourit malgré lui. Cet homme était vraiment loquace et spitant pour son âge.
– Allez-y, ne perdez pas de temps.
Il suivit le conseil du vieille homme et quitta l'endroit avec l'intention d'obtenir le numéro de Bobbie même s'il était déjà noté dans le rapport qu'on lui avait dressé. Il n'arrivait pas à croire qu'il se comportait ainsi pour une femme. Jamais il n'avait demandé un numéro de téléphone. Comment ça marchait déjà et que lui dire ? Pour la première fois de sa vie, il se sentait nerveux et gauche.
Une fois dehors, le roi regarda dans tous les sens à la recherche d'une femme aux cheveux sombres volants au vent et un violon au dos. Il ne tarda pas à l'apercevoir au loin. Elle patientait pour que le feu tricolore vire au rouge.
Bobbie était entrain de traverser la route lorsqu'elle se sentit suivie de trop près par quelqu'un. Elle aurait pu penser qu'il s'agissait d'un voleur si le parfum de Hakim ne lui était pas parvenu. Joueuse, elle refusa cependant de se retourner pour lui demander ce qu'il lui voulait encore. Elle désirait voir jusqu'où irait cet homme avant de prendre la parole. Autour d'eux, d'autres passant évoluaient rapidement sur le passage piéton avant que le feu ne passe au vert.
Une fois de l'autre côté, Bobbie poursuit sa route comme si de rien n'était. Mais à un moment donné, elle en eut marre. Ce n'était plus aussi amusant qu'au départ parce que le regard de Hakim la pesait.
– Vous êtes un peu énervant à me suivre comme un psychopathe, lui lança l'australienne avec un bref regard en arrière. Rassurez-moi, vous n'en êtes pas un, n'est-ce-pas ? Et puis vous voulez quoi encore ?
Les lèvres de Hakim faillirent se tordre dans un sourire. Elle passait de la candeur à la faroucherie avec une tel aisance que c'en était déroutant. Mais ce n'était pas assez pour l'intimité et lui faire rebrousser chemin.
– Votre numéro de téléphone.
Elle faillit éclater de rire. Avait-elle déjà vu un homme aussi direct ? Elle n'en était pas sûre.
– Laissez-moi deviner : Everett vous a encouragé à le faire ?
Ils étaient à présent entrain de traverser un petit parc. Hakim était aux aguets, s'attendant à ce qu'un paparazzi surgisse de nulle part. Il savait néanmoins que ses gardes n'étaient pas loin.
Sans prévenir, la jeune femme s'arrêta devant une sandwicherie ambulante et s'adressa poliment aux marchand.
– Un double hamdog s'il-vous-plaît, avec beaucoup de ketchup et de fromage. Vous en voulez ?
Hakim garda le silence en voyant toutes les cochonneries qu'on mettait dans ce sandwich australien.
– Vous ne savez pas ce que vous ratez. Dîtes, il vous arrive de sourire ?
Son visage barbu resta de marbre et elle eut sa réponse.
– Visiblement non, soupira Bobbie. Si vous voulez vraiment mon contact, il va falloir le mériter.
Le cheikh haussa un sourcil. Était-ce un défi ? Dans ce cas il était plus que prêt à le relever.
Bobbie récupéra sa commande. Avant qu'elle ne puisse payer, Hakim la devança.
– Je suis capable de payer mon propre petit-déjeuner.
– Je n'en disconviens pas mademoiselle Wiggins.
– Vous donnez l'impression de vouloir m'acheter.
– C'est pourtant loin d'être mon intention.
– Savez-vous au moins faire la cours à une femme, monsieur ? J'en doute fort, le provoqua-t-elle avant de mordre dans sa sandwich. Je parie que votre belle gueule à elle seule fait tout le travail. Mais avec moi, ça ne marchera pas.
– Je suis un homme patient qui sait obtenir ce qu'il veut au temps adéquat.
Elle avala ce qu'elle mâchait avant d'ajouter.
– Pourquoi tenez-vous tant à me courir après. Vous avez l'air riche, le genre d'homme à avoir de belles femmes toutes couvertes de bijoux à vos pieds. Alors pourquoi moi ?
Ses dents s'enfoncèrent une seconde fois dans son hamdog chaud.
– Peut-être parce que vous avez quelque chose qu'elles n'ont pas.
– Quoi donc ?
– Vous n'avez pas votre langue dans votre poche.
Cette réponse, elle ne s'y attendait pas et gloussa longuement. Il ne lui avait pas servit le cliché du "vous êtes la plus belle femme que j'ai jamais vu". Il s'en était bien sorti, il méritait une récompense. Après tout, elle n'avait rien à perdre.
– Votre téléphone, passez-le moi, elle lui demanda en se léchant bruyamment les doigts recouverts de sauce tomate sucrée.
Il glissa la main dans une de ses poches et en extirpa le smartphone noir qu'il lui tendit la seconde d'après.
– Joli appareil, elle siffla admirative avant de se mettre à taper sur l'écran.
Les yeux clair du roi ne la quittèrent pas durant tout le processus. Cette femme savait-elle à quel point elle était magnifique ?
Une fois la tâche terminée, elle le lui rendit mais avec l'écran recouvert d'empreintes graisseuses. Hakim ne s'en préoccupa pas du tout.
– Il faut que je m'en aille, elle lança la bouche pleine et en le dépassant. J'allais oublier : n'appelez pas à des heures tardives, je déteste ça.
Il la regarda s'éloigner à nouveau mais cette fois-ci, il la laissa partir. Après tout, il avait eu ce qu'il voulait. Ça avait été plutôt facile au final.