Chapitre 4

1543 Words
Quelques mois plus tard. La nuit était tombée depuis des heures déjà lorsqu'une longue berline noire se gara dans une des rues de Sydney. Plusieurs personnes s'arrêtèrent brièvement pour admirer la magnificence de l'engin. Un chauffeur en uniforme descendit pour ouvrir la portière arrière se situant du côté du trottoir en piteux état. L'homme à l'arrière descendit quelques secondes plus tard. Après avoir évité une flaque d'eau due à la récente pluie s'étant abattue sur la ville entière tôt dans la matinée, il referma les pans de son costume trois pièces aussi noir que sa chevelure mi-longue. Un vent aussi léger que frais souleva les mèches de cette dernière. Son long manteau sombre resté ouvert le protégeait du froid nocturne. Hakim soupira d'énervement lorsque ses yeux d'un glaçante couleur céladon se posèrent sur la bâtisse en briques rouges. La devanture de l'immeuble faisait une avec quelques géants bacs à ordures mal fermées. Des jeunes dont les activités ne laissaient aucune place au doute fumaient ce qui semblait être du cannabis tout en se réchauffant autour d'un feu allumé dans une poubelle en métal. Le cheikh se serait presque cru dans une rue paumée de New-York. L'immeuble n'était pas vraiment délabrée mais pour un homme tel que lui -un homme habitué à la richesse et un roi de surcroît- c'était un lieu qui puait l'insalubrité. Il ne comprenait pas pourquoi Bobbie s'entêtait à vivre ici alors qu'il avait largement les moyens de la faire déménager dans un appartement luxueux et sécurisé. La première fois qu'elle lui avait dit "non", il était tombé des nues. Lui qui était habitué aux femmes vénales prêtes à tout pour des rivières de diamants et autres, il avait été choqué en comprenant que sa nouvelle maîtresse s'en fichait pas mal de son argent et préférait la simplicité de son studio. Mais Hakim n'était le genre d'homme à céder facilement. Quitte à engendrer une nouvelle dispute, peut-être devait-il insister encore afin que sa maîtresse le laisse la gâter comme cela se devait. Bobbie ne cessait de le rendre fou en refusant ses offres. D'ailleurs elle prenait un malin plaisir à rejeter ses cadeaux. Bijoux luxueux, vêtements de marques et cartes de crédit, rien de tout cela ne semblait intéresser la petite australienne de vingt-deux ans. Même si elle ignorait encore son réel statut, elle le prenait pour un simple homme d'affaires ayant fait fortune dans le pétrolier. Sans quitter le bâtiment des yeux, le cheikh s'adressa à son homme de main. – Tu peux retourner à l'hôtel et aller te reposer Sayf. Je t'appellerai au petit matin comme d'habitude pour que tu viennes me chercher. – Bien altesse, s'inclina respectueusement le chauffeur avant de lui souhaiter une agréable nuit. C'était un homme de confiance et il faisait partie des rares personnes qui savaient que le roi entretenait une liaison avec une étrangère depuis près d'un an déjà. Lorsque la voiture s'éloigna, Hakim pénétrait déjà dans le petit immeuble. Ici, c'était un moulin; n'importe qui pouvait rentrer n'importe quand, n'importe comment et avec n'importe quoi. Il traversa un petit couloir vétuste et très mal éclairé dont il avait à présent l'habitude à force de l'emprunter. La couleur bleuâtre des néons fluorescents conféraient au lieu un aspect encore plus glauque de maison clause. Dieu merci, il n'en était jamais arrivé à fréquenter ce genre d'endroit pour pouvoir goûter à une femme. Ses maîtresses, il les choisissait avec soin et minutie. Bobbie n'avait pas échappé à la règle lorsqu'il avait secrètement fouillé dans sa vie. Mais même si Bobbie avait eu un casier judiciaire bien garni ou une vie de délurée, il n'aurait pu s'empêcher de la courtiser. Il se souvenait encore de comment il l'avait poursuivi ce jour là pour quémander les chiffres constituant son contact personnel, une série de chiffres qu'il connaissait déjà. Après une petite lutte acharnée, elle avait malicieusement cédé. Le reste s'était fait tout seul. Hakim croisa quelques personnes sur sa route. Comme d'habitude, il attirait l'attention de par sa carrure athlétique et imposante. Personne ne le connaissait mais à force, il allait finir par éveiller les soupçons. Raison de plus pour éloigner Bobbie d'ici et l'emmener vivre dans un lieu plus sûr et discret. Il réfléchissait encore à comment procéder pour la convaincre tandis qu'il empruntait un étroit escalier. Il manqua de grimacer en tombant sur un couple entrain de s'embrasser de façon éhontée tout en se touchant vulgairement. Ce fut avec un certain soulagement qu'il arriva à la destination exacte. Comme d'habitude, il cogna trois coups légers vu que la sonnette ne fonctionnait plus depuis des lustres. Il entendit un bruit venant de l'intérieur, quelqu'un courait vers la porte. Quelques secondes plus tard, celle-ci s'ouvrit sur sa petite brune. Des yeux bleus fortement pétillants que le cheikh n'avait plus croisé depuis des semaines se posèrent sur lui et il vit son irritation chuter aussitôt comme sous l'effet d'un envoûtement. Voir sa maîtresse le rendait toujours faible sans qu'il ne sache pourquoi. Bobbie était un poison dont il avait toutefois besoin. Tout d'elle l'apaisait : son regard, sa voix, sa beauté particulière, sa douceur... L'australienne se jeta sur lui dès qu'elle le vit. – Hakim ! gémit-elle dans le cou de son homme. – Habibti. – Je croyais que tu n'allais plus venir, elle bouda avec une moue à la fois coquine et enfantine. – Pardon mais la circulation n'est pas toujours clémente dans ton pays. Je hais les embouteillages nocturnes. – Oh ! Si c'est à cause du traffic tu es pardonné. Je dois dire que... Elle s'interrompit soudain. Une de ses voisines commère se tenait debout et épaule appuyé contre l'encadrement de sa porte ouverte. Des bigoudis colorés dans les cheveux, un vieux peignoir rose en faux satin défraîchi sur le dos, des pantoufles d'intérieur aux pieds et un masque de soin verdâtre posé sur le visage, Madame Huang les épiait depuis son poste d'observation situé à quelques mètres d'eux. Depuis que Hakim avait commencé à venir dans l'immeuble, cette femme désagréable, amère, jalouse et aigrie s'amusait à colporter des ragots comme quoi Bobbie serait une prostituée et la maîtresse d'un homme marié. La brune avait commencé à douter de Hakim en se demandant s'il n'était pas effectivelent marié. Après tout, il aurait très bien pu retirer son alliance en sa présence. Mais même si Bobbie avait elle-même failli tomber dans le piège façonné par cette vipère, elle s'était vite ressaisie. Rien ni personne n'allait entacher son bonheur. Hakim était un homme droit, elle en était persuadée même si elle ne savait pas grand chose de lui. – Ne restons pas là, décréta la brune avec un regard assassin dirigé à l'endroit de la quinquagénaire asiatique. À contrecœur, elle se détacha de Hakim, le prit par la main et l'entraîna à l'intérieur du minuscule appartement jonché de meubles et babioles. Elle claqua la porte pour faire comprendre à la sorcière que le spectacle était fini et qu'elle pouvait retourner dans sa tanière pour élaborer ses prochains ragots. – Tu m'as manquée, elle chuchota en l'aidant à retirer son manteau. À peine eut-elle le temps de l'accrocher à la structure sur pied installé à cet effet qu'il s'empara de son visage poupin. Le sombre cheikh baissa la tête et se courba presque afin d'écraser sa bouche sur celle de son précieux joyau. Elle sentait divinement bon. Il l'étreignit encore plus fortement que précédemment en laissant leurs corps -malheureusement habillés- s'épouser à la perfection. Bobbie s'accrocha à lui au niveau de ses larges et solides épaules. Les baisers de son homme la rendait toujours aussi folle. Elle ne regrettera jamais de l'avoir laissé entrer dans sa vie. Une telle passion, elle ne l'avait jamais ressentie avant lui. À court de souffle, elle finit par gémir tout doucement contre ses lèvres dévoreuses. Il comprit qu'il était tant de lui donner du répit malgré la beauté de la chose. À contre cœur, Hakim la relâcha mais non sans un grognement. Il était resté sur sa faim mais était satisfait de la voir si chamboulée et haletante. Il avait hâte de la tenir encore plus intimement dans ses bras. – Viens, allons nous asseoir, elle lui proposa pour calmer l'ardente tension. Elle lui prit la main pour le guider. Elle lui demanda également s'il voulait boire quelque chose mais il déclina l'offre. Hakim enjamba quelques jouets qui traînait au sol et manqua de marcher sur une peluche couinante. Bobbie lui adressa un sincère sourire d'excuse. Elle enleva son violon du fauteuil afin qu'il puisse s'y asseoir confortablement. L'instrument fut déposé dans son étui puis placé dans un coin de la pièce. – Désolée pour le désordre, les petits étaient très excités aujourd'hui. J'étais entrain de ranger lorsque tu as frappé à la porte. – Ce n'est pas grave, j'ai l'habitude maintenant. – C'est vrai qu'au début ça te rendait grincheux, elle gloussa adorablement avant de s'installer sur ses genoux. Bobbie était désormais une gardienne d'enfants à domicile connue dans le quartier de Redfern. Elle inspirait entièrement confiance et certains de ses voisins n'hésitaient donc pas à lui confier leurs rejetons avant d'aller au travail tôt le matin. – C'est vrai. Mais pour toi je supporterai tout habibti. Alors qu'il allait l'embrasser à nouveau, les pleurs d'un nourrisson se firent entendre.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD