Un sourire fleurit instantanément sur les lèvres pleines de Bobbie et elle se tourna à nouveau vers un Hakim angoissé. C'était un sentiment dont le roi n'avait pourtant pas l'habitude.
- On dirait que Molly s'est enfin réveillée. Je parie qu'elle a ressenti ta présence.
Hakim ne répondit rien. Une étrange peur l'avait soudain enveloppé. Il n'avait jamais été en contact avec un de ces êtres fragiles alors ça le rendait perplexe. Ça tenait tant à cœur de sa maîtresse qu'il n'osa pas refuser par peur de la froisser.
- Tu veux la voir ? Ça va être la première fois. J'ai hâte que tu fasses enfin sa connaissance. Elle a tes yeux en plus.
Sans plus attendre son accord, elle le força à se lever et le tira vers le couloir.
- Je l'ai installée dans la pièce où je dors à cause du bruit que faisaient les autres dans le salon, elle continua à piailler sans tenir compte de son silence.
Au cours de leurs innombrables appels téléphoniques, Bobbie n'avait cessé de lui parler de ce bébé qu'elle gardait fréquemment depuis quelques semaines déjà et dont la mère -un ancienne toxicomane- avait décidé d'arrêter la drogue pour se reprendre en main et assurer l'avenir de son bébé avant que la justice ne lui arrache la petite. Tout ça, c'était grâce à Bobbie qui avait su conscientiser son amie.
La chambre à coucher de Bobbie et la salle de bain lui faisant face était les deux seuls pièces qu'il y avait dans ce couloir trop restreint pour le gabarit du souverain. Le reste de l'espace régnant dans l'appartement servait de salon et de cuisine. La chambre contenait un lit deux place qui donnait l'impression d'occuper tout l'espace. Les papiers peints étaient certes neufs mais auraient besoin d'être changés en quelque chose de plus sophistiqué. Une lampe à lave de couleur blanche était allumée sur une des tables de chevet et c'était l'unique éclairage qui régnait dans cette minuscule pièce. Au beau milieu du lit, un petit bébé geignait en gesticulant des membres. De façon espacée et pour qu'elle ne roule pas sur le côté, Bobbie avait entourée Molly de coussins prévus à cet effet. Ses pleurs diminuèrent de tonalité dès que Bobbie se mit à lui parler. À présent elle gazouillait. Quel étrange son, se dit le cheikh en ayant la tête penchée sur le côté. Il s'appuya contre la porte et regarda sa maîtresse bercer le bébé. Elle était sans aucun doute faite pour ça. L'image d'une Bobbie portant leur enfant contre elle lui traversa l'esprit sans qu'il ne puisse l'effacer. Troublé, il trouva un sujet de conversation pour occuper ses pensées. Ce n'était en effet pas le moment de faire des projets d'avenir. Pour l'instant sa vie de dirigeant était trop négativement mouvementée pour se le permettre.
- Toujours pas de nouvelle de son père ?
- Non.
- Je pourrais vous aider à lui mettre la main dessus si seulement tu m'autorisais à le faire.
- Tu sais, Magdalena s'est faite à l'idée qu'il soit parti pour de bon dès qu'il a appris la grossesse. Il y a des hommes qui sont nés lâches et c'est mieux qu'il soit parti. C'est de sa faute si mon amie a sombré dans la drogue dès ses quinze ans. Moi j'ai eu de la chance et pas elle. Aujourd'hui elle se reconstruit et c'est l'essentiel. Tant mieux si Will Connors n'est plus dans leur vie... Tu veux la porter ?
Comme d'habitude elle le prit par surprise en s'approchant et en lui mettant le minuscule nourrisson d'à peine quelques mois dans les bras.
Hakim portait le bébé maladroitement, ce qui fait rire Bobbie. Le tableau était si mignonnement attendrissant. Mais elle avait conscience que Hakim n'allait pas aimer entendre ces mots. Elle décida cependant de lui retirer Molly d'entre les bras. Non pas parce qu'il aurait pu lui faire mal mais parce qu'il avait les yeux écarquillés comme s'il tenait une grenade ou une bombe à retardement. Après avoir vérifié que la couche était intacte, elle recoucha une Molly somnolente entre les oreillers puis ils sortirent. Hakim n'avait toujours pas délié sa langue. Pour lui c'était si choquant que ça ? se demanda Bobbie en ayant soudain peur qu'il n'aime pas les enfants. Ils n'avaient pas encore abordé le sujet mais elle se voyait déjà mariée à lui et mère de ses enfants. Il fallait vraiment qu'ils discutent de leur avenir à un moment ou à un autre. Et si Hakim refusait de faire le chemin de sa vie avec elle, Bobbie allait rompre même si cela lui sera fatale. Avec Hakim, ça allait être tout ou rien. Elle était de la vieille école et l'assumait.
Ils revinrent au salon pour discuter. Bobbie qui était une vraie bavarde lui fit part des nouvelles mélodies qu'elle avait conçue avec son instrument et promit à Hakim de jouer pour lui dès qu'ils auraient le temps. Le souverain tombait toujours et encore plus en adoration devant sa maîtresse lorsqu'elle jouait. Elle avait une manière assez particulière de tenir son instrument fétiche et de le faire vivre sous les mouvements de son archet.
Ils furent interrompu quand Magdalena qui rentrait de son travail au supermarché vint cogner pour récupérer sa fille. C'était une afro-italienne du même âge que Bobbie. Elle possédait un regard brun clair et une chevelure frisée coiffée en afro lui tombant devant les yeux. La consommation de la drogue avait laissé quelques séquelles sur son visage poché mais elle n'en demeurait pas moins une belle femme. Les rares fois que Hakim l'avait vue, il l'avait trouvé une peu trop nerveuse mais c'était sûrement le manque de substance illicite qui causaient ces tremblements chez elle. Néanmoins c'était une femme forte qui savait à présent où elle allait et ce qu'elle devait laisser à tout jamais derrière elle. Après son départ, il ne restait plus que le couple dans l'appartement vétuste.
Ils reprirent leur discussion là où ils l'avaient arrêtée. Hakim lui parla de ses voyages en omettant certains détails. Il avait tellement envie de lui dire qui il était en réalité mais il avait peur de l'effrayer. En plus il fallait la protéger car le Khayat allait bientôt entrer en guerre, c'était inévitable. Majid avait été banni depuis de mois mais il avait trouvé un moyen de s'infiltrer à nouveau dans le pays et avait monté une plus solide armée d'imbéciles près à trahir leur pays. Le Khayat était désormais divisé en deux avec une minorité de rebelles armés qui n'hésitaient pas à piller leurs concitoyens, à violenter les femmes et à reprendre le chaos au sein du pays. Avec tous ces problèmes, il voyait de moins en moins Bobbie. Mais elle ne se plaignait pas, ne posait pas de question. Décidément cette femme était trop parfaite pour lui.
Aussi, il fallait qu'il renforce la sécurité qu'il avait monté autour d'elle. Bien évidemment elle ignorait être surveillée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Si elle l'apprenait, Hakim ne donnait pas cher de sa peau. Mais c'était pour son bien. Il prenait trop de risque en venait la voir et il était évident qu'un jour ou l'autre, ça allait se savoir. Et quand ce moment viendra, elle deviendra la cible numéro un pour ses ennemis rêvant de l'atteindre coûte que coûte. Et pour cause, le fait qu'il la cachait si jalousement signifiait qu'elle lui était précieuse. Cette femme était la faille de son cœur de glace, sa faiblesse. Et quiconque la toucherait l'anéantirait lui. C'est pour cela qu'il n'allait pas permettre qu'on lui fasse du mal.
Le mieux aurait été qu'il rompe avec cette femme qui ignorait tout de lui mais il ne pouvait s'y résoudre tellement elle lui était aussi précieuse que vitale.
Et comme si les problèmes n'étaient pas assez nombreux, Hassan -un des cheikhs de l'État voisin au sien- lui proposait son aide en échange de la main de sa fille. Ce genre de marchés était fréquent entre les tribus de bédouins alors ça n'avait rien de choquant. En plus il avait déjà rencontré Yasmina Meysoon à de nombreuses reprises. Mais même si elle était belle et possédait toutes les qualités requises pour être sa femme. Cependant il ne voyait que Bobbie pour occuper une telle place à ses côtés. Il voulait que Bobbie soit la Cheika du Khayat. Mais pour ça, encore faudrait-il l'informer du fait qu'il était lui-même souverain.
Cette situation était donc un vrai cercle vicieux et il ne lui tardait que trop de voir enfin le bout du tunnel. Pour l'heure, il allait commencer par se débarrasser définitivement de l'épique qui l'empêchait de marcher correctement : Majid. En ce le réduisant ne poussière, sa soi-disante armée de rebelles n'allait pas survivre bien longtemps.
- À quoi tu penses ?
- À rien de bien important.
Bobbie savait qu'il mentait. Depuis quelques temps, quelque chose le tracassait. Mais quoi ? Elle n'osait pas lui poser la question car elle trouvait leur relation encore trop fragile. Façon de parler, les fois où elle l'avait vu pouvaient se compter sur les dix doigts de la main même si ça faisait approximativement un an qu'elle "sortait" avec lui. "Sortait" était de surcroît un bien grand mot car lorsqu'ils se voyaient ils n'allaient nulle part. Pas de restaurant, pas de soirée, pas de parc. Nada, rien, nothing. Heureusement pour Hakim, elle n'était pas le genre de femme à accorder trop d'importance à ces détails. Elle s'était dit que c'était tout simplement dans sa nature de préférer l'intimité et le calme. N'empêche que quelque chose enfoui au fond de son être lui criait la bizarreté de ces détails infimes mais intrigants.
Maintenant la vraie question était : que lui cachait-il ?
"Hakim, qui es-tu en réalité ?"