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Madame de Livaur se reprochait déjà d’avoir cédé la première au caprice de Lina ; elle en redoutait le succès et surtout les conséquences, et songeait au juste blâme que cette mystification pouvait attirer à elle et à sa fille, si un hasard la découvrait ; elle regrettait d’abuser de la bonne foi de ses convives, mais il était trop tard pour reculer. Elle allait d’un groupe à l’autre, répondant avec préoccupation aux compliments qu’on lui adressait au sujet de Lina : « Oui, c’est une enfant fort gentille, bien qu’un peu espiègle. » Et autres banalités un peu restrictives des éloges reçus qui prêtèrent à croire, bien à tort, que Lina était peu aimée dans sa nouvelle famille. Quant à Lina, elle jouait à merveille son rôle de sourde-muette. On félicitait sa tante Suzanne d’avoir une si charmante compagne, et elle gardait sur ses lèvres le sourire indécis des gens qui entendent parler une langue inconnue ; les compliments les plus directs ne lui arrachèrent pas la moindre émotion délatrice, et la naïve Allemagne dupa ce soir-là complètement la France. Le dîner fut ce que sont toujours les repas qui réunissent un trop grand nombre de convives. Malgré les efforts de la maîtresse de la maison, une conversation générale ne parvint pas à s’établir ; les beaux parleurs (il y en avait trois ou quatre) se renvoyèrent le dé de temps en temps et dominèrent le murmure des apartés. Au dessert, le brouhaha fut à la fois confus et assourdissant, et il fallut, pour l’interrompre, une proposition solennelle de M. Chainay. Galant à l’ancienne manière française, c’est à-dire ayant conservé la tradition de cette amabilité chevaleresque si fort passée de mode, M. Chainay invita tout le monde à porter un toast à l’heureux retour de Madame Brülher et pour le célébrer le premier, il adressa à la jeune femme un petit discours dans la cordiale bonhomie, relevée d’une pointe de préciosité, appela les applaudissements de l’assemblée. Suzanne accueillit avec émotion ces témoignages de sympathie ; elle avait d’ailleurs une fort ancienne amitié pour le vieux M. Chainay dont elle appréciait le talent musical et la galanterie respectueuse. Les hommes ne savent pas tout ce qu’ils perdent à affecter avec les femmes un ton cavalier et des façons trop hardiment britanniques ; la preuve que ce laisser-aller leur est tout à fait désagréable, c’est qu’un homme, quelque vieux et laid qu’il soit, est certain d’obtenir d’elles une attention gracieuse lorsqu’il ne sacrifie pas au mauvais goût régnant. La motion de M. Chainay eut pour effet de rompre les conversations particulières ; chacun voulut avoir part à cette aimable bienvenue et Suzanne fut assaillie de tant de félicitations, et de si vives, qu’elle en fut embarrassée malgré sa grande habitude du monde, et qu’elle se hâta de les éluder en donnant le signal de quitter la table. Après le café, les joueurs de whist s’établirent aux tables de jeu ; quelques jeunes gens s’esquivèrent au jardin pour jouir d’une promenade au clair de lune après deux heures, passées dans l’atmosphère chaude de la salle à manger ou pour fumer un cigare, et les femmes causèrent. Le désordre d’un salon dans les premiers moments d’une soirée presque intime présente un spectacle harmonieux ; Julien Deval qui était sorti avec les autres jeunes gens, mais qui ne fumait pas, avait laissé ses amis s’enfoncer dans les bosquets et les allées, et il était revenu près d’une fenêtre dont le store n’était qu’à demi-baissé. Dissimulé par un chèvrefeuille d’automne qui déployait son voile flottant et fleuri devant la baie de la fenêtre, il regardait les charmants tableaux que lui offraient, sans le savoir, les femmes groupées sur les divans du salon ; les boiseries grises rechampies d’or formaient un fond doux qui faisait saillir sans les heurter toutes les toilettes ; la clarté des lustres et des bras appendus à chaque panneau jetait des lueurs sur les chevelures parfumées, glaçait de bleu les tresses brunes et d’or mat les boucles blondes ; mais l’œil du jeune homme ne faisait que glisser sur la belle Paule Vassier qui seule, avec Madame Brülher et Lina, pouvait revendiquer la royauté de cette petite fête, de part le droit de son élégance et de sa grâce ; il s’arrêtait encore moins sur les quelques jeunes filles qui s’abritaient timidement tout près du giron maternel. L’attention de Julien Deval était partagée entre Suzanne et sa nièce. Il les comparaît, hésitant entre le charme du souvenir et celui de l’inconnu. Suzanne lui apportait des émotions nouvelles, d’autant plus séduisantes qu’elles faisaient revivre son passé et la période la plus poétique de sa vie : si quelque chose avait gâté et troublé autrefois ce sentiment, il ne s’en souvenait plus en la retrouvant si belle et surtout si imposante. Il y a dans le calme d’une femme qui a aimé et qui semble avoir oublié son amour, quelque chose de fascinant comme le calme d’un abîme. Cette sérénité qu’on voudrait croire menteuse brave la curiosité et l’excite d’autant ; on s’en irrite, et l’on éprouve l’irrésistible désir de sonder ce mystère. Mais à quoi bon cette poursuite sujette à déboires et à regrets lorsque, à côté de ce succès aléatoire, se présente une félicité pure, qu’aucun doute n’effleure, qu’aucune rancune ne ternit ! et le regard de Julien Deval quittait Suzanne pour aller chercher Lina. Cette petite personne dont la figure ronde rappelait vaguement une jolie tête de chatte blanche avec sa chevelure roulée en grosses touffes ondulées, ses oreilles roses émergeant d’un flot de boucles blondes, sa bouche mutine, son nez droit, son œil caressant, ses joues à fossettes estompées par un duvet aussi blanc que celui d’une pêche à demi-mûre, offrait le plus attrayant contraste avec la beauté altière de Suzanne. Chez Lina, point d’épreuves à subir, pas d’estime à regagner, point de passé à reconstruire. Elle s’était montrée dès l’abord si gentille et si naturelle que Julien Deval croyait avoir compris le premier et le dernier mot de cette âme encore enfantine. Le triomphe sur les souvenirs de Suzanne pouvait être glorieux, mais les difficultés de l’obtenir étaient grandes et ce triomphe vaudrait-il tout ce qu’il coûterait ? La femme donnerait-elle à l’amour tout ce que la jeune fille lui promettait par sa vivacité étourdie et la douceur de sa physionomie ? Mais tout à coup, distraite de la conversation, Suzanne s’accoudait sur son fauteuil ; son grand œil noir errait indécis avec cette mélancolie passionnée qui était autrefois son expression habituelle, et Julien trouvait Lina insignifiante et dévorait Suzanne du regard. En dépit des gens positifs qui n’admettent aucune des puissances mystérieuses dont l’influence ne peut se démontrer, il est certain qu’on se sent regarder, même lorsqu’on ne se sait pas l’objet d’une attention particulière. Ce magnétisme cause à celui qui le subit une inquiétude qui va jusqu’à l’angoisse, et Suzanne se réveilla d’une de ses courtes rêveries en cherchant autour d’elle quelle personne tentait de lui en ravir le secret ; elle parcourut le salon du regard sans découvrir l’indiscret et souriait déjà de son erreur, lorsqu’elle aperçut Julien Deval sous le rideau de chèvrefeuille. Son premier mouvement fut d’appeler celui de ses gens qui portait en ce moment des bougies à une nouvelle table de jeu et de lui commander d’aller baisser le store ; puis elle pensa que cet ordre donnerait une satisfaction au jeune homme en lui prouvant que sa manœuvre avait été remarquée, et elle reprit sa causerie avec les femmes qui l’entouraient ; mais elle n’était plus à l’aise ; cette muette insistance la gênait et au bout d’un quart d’heure, elle proposa un peu de musique. Cette offre fut accueillie avec plaisir, car Lyon tout entier est mélomane : ceci dit à la louange d’une ville qui se délasse de ses préoccupations industrielles et commerciales d’une manière artistique. M. Chainay fut mis en réquisition ; mais il se récusa et prétendit qu’il appartenait à la maîtresse du logis d’ouvrir le concert. Madame Brülher se souciant peu de faire de la musique devant tant de monde et la première, appela Lina et lui passa ses droits et ses devoirs. Lina ne se fit pas prier ; jouer du piano est pour une Allemande une chose aussi simple que, pour nos jeunes filles, faire de la tapisserie : elle ignorait les mines boudeuses ou résignées que se permettent les Françaises forcées d’exhiber leur petit talent, et elle alla droit à la bibliothèque du piano pour y choisir un cahier. M. Chainay aurait désiré lui donner quelques conseils ; mais il ne savait pas l’allemand et n’osait pas appeler à son secours Madame Brülher qui était assise entre Madame Demaux et Madame de Craye ; aussi il saisit au passage Julien Deval qui rentrait pour déjouer la tactique savante par laquelle Suzanne s’était dérobée à son observation en tournant le dos à la fenêtre après avoir décidé le programme du concert. M. Chainay alla donc au-devant du jeune homme et l’amena au piano en lui disant : – Puisque vous avez seul l’heureux privilège de pouvoir causer avec Mademoiselle Brülher, voulez-vous être mon interprète auprès d’elle ? – Avec le plus grand plaisir, répondit Julien Deval qui venait de se décider à piquer Suzanne en se posant en attentif auprès de sa nièce. – Eh bien ! je la vois qui feuillette Beethoven et qui hésite entre lui et Sébastien Bach. Dites-lui, je vous prie, qu’on ne goûtera pas cette musique-là. Pour deux ou trois enthousiastes, en me comptant, qu’elle charmerait, elle laisserait les autres peu satisfaits ou inattentifs. Ne nous le dissimulons pas, nous ne comprenons pas encore la sublimité des maîtres allemands ; nous les louons très fort pour cacher qu’ils nous fatiguent. Nous apprécions les mélodies claires, les jolis flons flons, mais le sublime ! Ah ! c’est trop haut pour nous. – Et comment vais-je exposer cette théorie à Mademoiselle Brülher ? J’y ai quelques scrupules, répondit Julien Deval. Croyez-vous que je lui donnerai bonne opinion de nous en lui disant : « Mademoiselle, comme vous avez affaire à un auditoire de niais, jouez-nous, je vous prie, une polka ou Au Clair de la Lune, sans quoi vous nous endormirez. » Lina écoutait, on le comprend, mais elle feuilletait les cahiers avec une gravité admirable. Julien s’approcha d’elle et lui transmit les conseils de M. Chainay en les agrémentant de quelques railleries à l’adresse de l’auditoire. Lina répondit au jeune homme : « Musique allemande, musique ennuyeuse, c’est l’opinion française, je le sais. Allez rassurer tout le monde. Je vais jouer un petit air italien. » Puis elle prit un autre cahier, en montrant à M. Chainay qu’elle choisissait la deuxième des quinze sonates pour piano de Mozart, dont le style rappelle la manière italienne. Lina mit toute sa vivacité de jeune fille, tout son amour propre d’allemande à faire saillir l’originalité de cette sonate : la mélancolie de l’andante, les capricieuses arabesques dont les variations entourent la mélodie, le mouvement superbe du menuet et enfin l’élan fulgurant du finale alla turca. Le succès fut complet ; on applaudit avec conviction, car on savait gré à l’étrangère d’avoir joué de la musique gaie et d’avoir sacrifié ses prédilections nationales au plaisir de tous. Quelques personnes, un peu plus érudites, avaient reconnu le célèbre menuet et félicitaient le maître italien d’avoir su tirer si bon parti d’une idée allemande, de l’avoir dégourdie et dégelée. M. Chainay, lors même que Lina ne lui eût pas montré sa petite supercherie, connaissait trop le catalogue des œuvres de Mozart pour se tromper aussi grossièrement, mais il crut avoir entendu cette sonate pour la première fois, tant Lina l’avait bien comprise et rendue. Peut-être faut-il, pour rendre les grâces raphaélesques de cette musique, pour en saisir le caractère et en exprimer les nuances, une âme heureuse, délicate, portée à un léger dédain de la vulgarité et des sots. À cette époque de sa vie, Lina était telle qu’il fallait pour la jouer, et si M. Chainay ne sentit pas tous les motifs de son identification avec le maître qu’elle traduisait, il rendit pourtant pleine justice à son talent, et s’autorisant de sa vieillesse et de l’impossibilité où il était de faire entendre à la musicienne ses éloges et ses remerciements, il baisa le bout de ses doigts déliés. Julien Deval, qui venait de faire le tour du salon pour récolter des compliments à rapporter à Lina, vint lui faire part de l’enthousiasme général ; peu connaisseur en musique, il avait moins écouté que regardé la jeune fille et il avait plus remarqué son front inspiré, le pétillement de ses yeux à peine fixés sur le cahier, car Mozart lui était familier, que le brillant et la netteté de son jeu ; mais il fit mal à-propos l’entendu pour lui plaire et il joignit au faisceau de compliments qu’il mit à ses pieds son tribut personnel ; il s’engagea dans une dissertation sur les différentes écoles, et dit qu’après tout la part des maîtres allemands est assez belle, puisqu’ils ont gardé le sentiment et le sublime de l’inspiration en ne laissant aux Italiens que le privilège de la grâce et de l’esprit. « Témoin ce joli morceau, » conclut le pauvre garçon, qui se croyait si fort sur ce sujet qu’il disait une phrase en français et l’autre en allemand pour être entendu à la fois de Lina et de M. Chainay. Le vieux musicien éclata de rire : Mon cher Julien, s’écria-t-il, votre ami Christian Crzeski, s’il était ici, vous dirait ce que disent les Polonais aux gens embourbés dans un mauvais pas : « Attelez des bœufs à votre char ! » Lina se tourna d’un autre côté pour ne pas trahir son envie d’imiter cette hilarité ; mais Julien, assez obstiné de sa nature, n’écouta pas cet avertissement charitable et continua son parallèle des génies différents selon la race et les traditions. Par bonté de cœur ou par sympathie pour un jeune homme qui savait parler sa langue, Lina se reprocha de le mystifier et de le rendre ridicule aux yeux de son vieil admirateur qui ne cessait de rire, car elle dit à Julien Deval en lui montrant le frontispice du cahier de musique : « Œuvres de Mozart ! Pardonnez-lui d’avoir eu de l’esprit quelquefois malgré sa nationalité, et pardonnez-moi de l’avoir fait applaudir ici malgré la prévention générale. » Julien resta interdit en voyant que la candeur elle-même a ses ruses et l’innocence ses malices. Il ne montra pas de dépit et s’amusa le premier de son erreur. C’était tirer le meilleur parti possible d’une situation difficile. Il railla cette manie de juger légèrement qui est si française, et s’il regagna par ce naturel dans l’esprit de Lina tout ce qu’il avait perdu par son ignorance prétentieuse, Lina devint pour lui un être moins simple, moins uni, plus intéressant. Puis tout succès élève qui l’obtient. La musicienne qu’on venait d’applaudir et que M. Chainay disait être accomplie, valait mieux que cette jolie petite fille qui perdait tant à être comparée à Suzanne, et Julien s’attacha à ses pas avec une insistance qui finit par contrarier Lina. Non pas que M. Deval lui fût antipathique, loin de là, mais elle voulait profiter de son état de sourde pour entendre et de muette pour faire parler les autres ; aussi, quand d’autres personnes eurent pris possession du piano pour jouer des caprices plus ou moins brillants, des valses de concert farcies de fioritures, et de réminiscences musicales, elle échappa au jeune homme et s’en alla se poser tantôt près d’un groupe d’invités, tantôt près d’un autre, impassible en apparence, mais ne perdant rien de ce qui se passait autour d’elle. Lina fit son profit de son observation. Que son rôle fût tout à fait délicat, c’est douteux ; mais à cet âge où l’on ne voit les conséquences extrêmes de rien, où la légèreté des décisions n’est pas entravée par les conseils de l’expérience, on va devant soi, suivant l’impulsion du moment, confiant dans sa droiture d’intention, et l’on finit par commettre des indélicatesses quand on n’a projeté qu’une malice et par s’embarrasser dans de graves intérêts là où l’on n’a vu qu’un jeu. Le lendemain de cette réunion, Lina était grave contre son habitude. Au lieu de chanter et de sauter, comme il lui arrivait chaque jour malgré ses dix-huit ans, elle restait pensive dans un coin du salon. Au déjeuner, elle ne mangea point ; tourmentée, plaisantée au sujet de son attitude extraordinaire, elle prit un tel air d’embarras, de mystère et de contrariété, que Madame Brülher se promit d’avoir le mot de cette énigme ; mais comme elle savait que la jeune fille se livrait peu devant Madame de Livaur, dont l’âge et le bon sens positif lui imposaient, elle proposa à sa nièce une promenade après le déjeuner. Toutes les deux prirent leurs chapeaux de paille et firent quelques tours de jardin en silence. Enfin Suzanne demanda à Lina ses impressions de la soirée de la veille ; Lina répondit à peine, entrecoupant ses phrases de courses autour des corbeilles de fleurs pour couper avec un sécateur des roses flétries sur leurs tiges, pour redresser le tuteur d’une fuchsia qui entraînait au niveau de la pelouse sa gerbe de clochettes pourprées, pour ramasser une orange sur le sable de l’allée. Suzanne ne voulait pas forcer les confidences de la jeune fille ; mais elle était femme, c’est-à-dire curieuse ; aussi dit-elle bientôt que le soleil la fatiguait et elle entraîna sa nièce vers la grotte. Cette grotte ménagée au-dessous des serres et faite de roches artificielles, était un charmant spécimen de ce que l’architecture de jardin sait créer ; de ses parois fendillées tombaient des plantes grimpantes ; dans les moindres cavités, des verveines rouges et roses, des géraniums dressaient leurs touffes odorantes ; devant sa voûte, une petite pièce d’eau étalait sa nappe bleue à la surface de laquelle s’épanouissaient des lis et des nymphéas jaunes entourés de la collerette verte de leurs larges feuilles. De là, on n’apercevait plus la ville gisante au bas du coteau, car un rideau d’arbustes en masquait la vue. C’était afin de laisser à ce retiro toute sa sauvagerie cherchée qu’on lui avait donné pour seul horizon la vaste plaine du Dauphiné, les lointaines collines à l’est, et à l’ouest la vague silhouette du Mont-Blanc. Là, par un effort d’imagination, en fermant l’oreille à ce bourdonnement confus qui monte de Lyon jusqu’aux hauteurs de Sainte-Foy, on pouvait se croire dans une solitude, loin des tourments, des convoitises, des commérages de la ville ; mais ce jour-là, ces petites misères, ces commérages vinrent y trouver Suzanne dès qu’elle eût délié la langue de Lina et qu’elle l’eût amenée, par de subtils détours, à lui faire des confidences. « Suzanne, dit la jeune fille, vous aviez bien raison hier de me mettre en garde contre tout ce monde ; vous aviez plus raison que vous ne le croyiez vous-même. Suzanne, ces gens-là sont de méchantes gens ; laissons-les à leur pauvreté d’esprit et de cœur. Repartons. – Enfant ! le monde est toujours et partout le même. On a beau le fuir, il vient trouver les solitaires. Dès que Robinson eût adopté Vendredi, il se donna en lui un juge et un critique. Tu ne changeras rien au train habituel, à la pente de la nature humaine, et toi-même tu as ta part de ce travers originel, puisque te voilà disposée à dire du mal de nos hôtes d’hier au soir. J’imagine qu’ils ont commis à ton préjudice ou au mien des injustices assez graves pour motiver ton indignation. Paule Vassier aura trouvé ta robe mal coupée ou ta coiffure trop simple. Madame de Craye, impitoyable sur les fautes d’étiquette, aura jugé ma table mal servie ou les honneurs que je lui ai rendus peu mesurés à son mérite, et la musique aura gêné par son tapage les laborieuses combinaisons des joueurs d’échecs et de whist.
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