Ce soir-là, Victor n’en pouvait plus.
Des mois, peut-être des années qu’il contenait cette frustration, qu’il évitait la confrontation par peur du rejet total.
Mais ce soir, il n’y arrivait plus.
Camille était encore sur son téléphone, assise sur le canapé, les jambes repliées sous elle. Son regard glissait sur l’écran, absorbé par des conversations qui n’étaient pas avec lui.
Victor prit une profonde inspiration et s’avança.
— Camille, on peut parler ?
Elle ne leva pas les yeux immédiatement. Il attendit, sentant déjà l’agacement dans sa posture.
— Parler de quoi ? demanda-t-elle finalement, la voix neutre.
— De nous.
Cette fois, elle posa son téléphone sur l’accoudoir du canapé, mais sans grand enthousiasme.
— Victor, qu’est-ce que tu veux que je dise ?
Il serra les poings pour se donner du courage.
— Je veux comprendre. Comprendre pourquoi tu es là sans être là. Pourquoi tu ne me regardes plus, pourquoi tu ne me touches plus.
Camille haussa les épaules.
— Je n’ai rien à dire.
Cette réponse le blessa plus qu’un cri, plus qu’une dispute.
— Rien ? répéta-t-il, incrédule. Tu n’as vraiment rien à dire ?
Elle soupira, visiblement fatiguée de cette conversation avant même qu’elle ne commence.
— Victor, on tourne en rond. Tu es malheureux, je suis malheureuse. Pourquoi est-ce qu’on doit toujours en parler ?
— Parce que j’essaie encore ! lança-t-il, la voix tremblante. J’essaie de nous sauver, mais toi, tu t’en fiches !
Elle le regarda enfin, et ce qu’il vit dans ses yeux le foudroya.
Ce n’était pas de la colère. Ni de la tristesse.
Juste… de l’indifférence.
— Je suis fatiguée, Victor.
Elle reprit son téléphone et recommença à faire défiler son écran.
La conversation était terminée.
Et pour la première fois, Victor se demanda s’il était encore un mari ou juste un colocataire qu’elle tolérait par habitude.
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Élise – Des mots sans poids
Assise en face d’Antoine, Élise jouait nerveusement avec la nappe du bout des doigts.
Ils venaient de finir le dîner, et elle sentait que c’était le moment de parler.
— Antoine, tu m’avais promis d’essayer.
Il poussa un soupir, s’appuyant contre le dossier de sa chaise.
— J’essaie, Élise.
— Tu dis ça à chaque fois… mais rien ne change.
Il haussa les épaules.
— Ce n’est pas si simple.
— Ce n’est pas si compliqué non plus.
Elle s’humecta les lèvres, cherchant les bons mots.
— Je ne te demande pas d’arrêter du jour au lendemain. Mais… montre-moi que tu veux vraiment changer.
Antoine passa une main dans ses cheveux, l’air las.
— Je vais faire des efforts, promis.
Elle le fixa, cherchant un signe de sincérité.
— Tu le penses vraiment ?
— Bien sûr.
Mais sa voix était creuse.
Elle voulait le croire. Elle avait besoin de le croire.
Mais elle savait déjà.
Elle savait que demain, ou le jour d’après, il rentrerait encore ivre. Qu’il s’excuserait. Qu’il promettrait à nouveau.
Et elle continuerait d’espérer.
Parce qu’abandonner signifi
ait admettre que son amour ne suffisait pas à le sauver.
Et ça, elle n’était pas prête à l’accepter.
Victor – Et si tout s’arrêtait ?
Assis dans sa voiture, moteur éteint, Victor n’avait pas encore bougé.
Il était garé devant la maison depuis cinq minutes, mais il ne trouvait pas la force d’ouvrir la porte, d’entrer, de voir Camille absorbée par son écran, d’entendre ce silence oppressant.
Il ferma les yeux et appuya sa tête contre l’appuie-tête.
Une pensée lui traversa l’esprit.
Une pensée qu’il n’aurait jamais imaginé avoir il y a quelques années.
Et si je partais ?
S’il faisait demi-tour, s’il réservait une chambre d’hôtel, s’il disparaissait pour une nuit, une semaine, un mois ?
Serait-elle seulement inquiète ? Se rendrait-elle compte de son absence ?
Ou bien se contenterait-elle d’un message rapide – t’es où ? – sans plus de curiosité ?
L’idée était tentante.
Ne plus avoir à faire semblant. Ne plus attendre des gestes d’affection qui ne viendraient jamais.
Être seul, mais un seul choisi.
Il rouvrit les yeux et regarda la maison.
Non.
Ce n’était pas si simple.
Il l’aimait encore. Même après tout ça.
Ou peut-être aimait-il juste le souvenir d’eux, l’image qu’il s’était construite de leur couple.
Il soupira, prit ses clés, et ouvrit la portière.
Il n’était pas encore prêt à partir.
Mais pour la première fois, l’idée n’était plus un tabou.
Élise – Une prière silencieuse
Assise sur le bord du lit, les mains croisées sur ses genoux, Élise fixait l’ombre d’Antoine à travers la porte entrouverte de la salle de bain.
Il se brossait les dents, un rituel banal, mais ce soir, cela signifiait autre chose.
Ce soir, il n’avait pas bu.
Ce soir, il avait tenu sa promesse.
Elle voulait y croire. Elle devait y croire.
Alors, dans un souffle presque imperceptible, elle murmura une prière.
Pas une prière religieuse.
Une prière pour eux.
Fais que ça dure.
Fais que ce ne soit pas une exception, mais un début.
Que ce soir soit le premier d’une série, qu’il redevienne celui qu’elle connaissait.
Elle savait qu’elle ne pouvait pas tout porter seule.
Mais si lui faisait un pas, même un tout petit, elle était prête à faire les cent autres.
Elle entendit l’eau couler, puis la porte de la salle de bain s’ouvrir.
Antoine sortit, passa une main dans ses cheveux humides et la regarda brièvement.
— Bonne nuit.
Elle sourit, un sourire empli d’espoir.
— Bonne nuit.
Il s’étendit à côté d’elle et s’endormit presque aussitôt.
Elle, en revanche, resta éveillée longtemps, fixant
le plafond.
Demain, il tiendrait encore sa promesse, n’est-ce pas ?
Il le fallait.