Chapitre 3

971 Words
Chapitre 3 : Patricia demeurait immobile devant l’imposante façade du plus prestigieux hôpital privé de la ville, propriété de M. Blackthorn. Son regard s’attardait sur l’entrée comme si un seuil invisible l’empêchait d’avancer. Son souffle était court, sa détermination fragile. Comment pouvait-elle se présenter devant un homme dont la réputation suffisait à glacer les plus téméraires, alors qu’elle-même peinait à défendre ses propres intérêts ? Et surtout, comment aurait-elle la force de lui demander un divorce ? Un cri jaillit soudain d’une voiture stationnée à l’opposé de la rue : — Courage ! Patricia sursauta, honteuse, tandis que les passants tournaient la tête vers elle. Elle n’eut pas besoin de chercher l’origine de cette provocation. Zara. Toujours Zara. Cette amie effrontée qui osait rire de tout, même du pire. Patricia leva une main pour lui signifier de se taire, la joue brûlante, mais l’autre éclata d’un rire sonore et l’applaudit sans gêne. Pour échapper à la scène, Patricia traversa rapidement les portes automatiques. À l’intérieur, la jeune femme resta un instant figée. La majesté du hall la submergea, et un pincement au cœur l’envahit : c’était l’endroit dont elle avait rêvé toute son enfance. Elle avait postulé une fois, passé les tests, puis attendu en vain. Ici, on ne donnait qu’une seule chance. Elle avait donc fini par renoncer. Mais deux jours plus tôt, un message l’avait informée qu’elle était finalement acceptée. L’annonce l’avait surprise, mais elle s’était convaincue que son mérite avait parlé pour elle. Elle avait cru, l’espace d’un instant, que la vie s’adoucissait enfin. Qu’elle pouvait même prendre le risque d’enregistrer son mariage. Mais le destin n’avait de cesse de lui rappeler qu’il savait toujours la renverser. Un chariot surgit derrière elle. — Écartez-vous ! lança une infirmière en sueur, guidant un patient couvert de sang. Patricia recula d’instinct. Un second brancard passa, puis un troisième. Son regard s’accrocha aux blessés et, comme chaque fois que son instinct de médecin s’éveillait, elle oublia ses propres préoccupations. Qu’était-il arrivé pour qu’on transporte tant de victimes à la fois ? Un nom claqua dans le vacarme : — Monsieur Blackthorn ! Les conversations s’éteignirent aussitôt. Une brèche s’ouvrit dans la foule. Patricia suivit les yeux de tous et vit l’homme qui approchait. Elle le reconnut sans qu’on le lui présente. L’autorité émanait de chacun de ses pas. Elle fut saisie par l’éclat sombre de l’encre tatouée qui courait sur son cou, par la carrure taillée dans l’acier sous une chemise immaculée. Ses cheveux noirs, soigneusement rabattus sur le côté, étaient striés d’une audacieuse mèche rouge. Ses lunettes donnaient l’illusion d’un médecin appliqué, mais tout, dans son allure, respirait la puissance plus que la vocation. Une montre de luxe épousait son poignet, et son pantalon sombre soulignait sa démarche calculée. Elle s’aperçut qu’elle le détaillait avec trop d’insistance. Lorsqu’elle osa lever les yeux, elle crut croiser son regard. Une fraction de seconde seulement, avant qu’il ne se détourne. Patricia se morigéna aussitôt : elle n’était pas venue pour s’égarer dans ce genre de distraction. Elle devait rester concentrée. Elle murmura pour elle-même, les poings serrés : — Je dois le faire. Et s’avança vers la réception. — Bonjour, je suis Patricia Carter. Je viens pour… Un éclat de voix la coupa. — Où est le Dr Daves ? Nous avons besoin de lui immédiatement ! La réceptionniste blêmit. — Je n’ai que son numéro officiel, impossible de le joindre ailleurs. — Trouvez un cardiologue, n’importe lequel ! Le patient VVIP en chambre 305 se dégrade ! — Le Dr Peter est absent, et Mlle est à un congrès. Personne d’autre n’est disponible, répondit la réceptionniste, désarmée. — Et si ce patient meurt, assumerez-vous ?! lança l’infirmière, à bout de nerfs. Patricia sentit son cœur battre plus vite. Elle fit un pas en avant. — Je suis cardiologue. Laissez-moi intervenir. Le regard méfiant de l’infirmière glissa sur elle, de haut en bas. Patricia devina ce qu’elle pensait : avec son air discret et fragile, elle n’inspirait aucune confiance. — Vous exercez ici ? — Oui, je… Mais la femme ne la laissa pas finir. Elle lui saisit brusquement le poignet et l’entraîna à vive allure dans les couloirs, sous les protestations inutiles de la réceptionniste. Cette dernière, perplexe, consulta son écran pour vérifier la liste des médecins affectés à la chambre 305. En lisant le nom inscrit, ses yeux s’écarquillèrent. Elle attrapa aussitôt le téléphone, affolée. De son côté, Patricia courait presque derrière l’infirmière, qui lui résumait la situation à voix basse. Elles débouchèrent devant la chambre gardée par deux hommes en costume sombre. — C’est une nouvelle recrue. J’assume l’entière responsabilité, déclara l’infirmière d’un ton pressé. Les gardes échangèrent un regard puis s’écartèrent. Patricia entra et découvrit plusieurs soignantes paniquées autour d’une femme en détresse respiratoire. Son instinct prit le dessus. Elle se libéra de l’emprise de l’infirmière et s’approcha du lit. — Qu’est-ce qui s’est passé avant la crise ? demanda-t-elle fermement. — Elle voulait de la viande… nous n’avons pas osé refuser… alors nous lui en avons donné, balbutia une aide-soignante. — Vous l’avez laissée manger ça ?! s’écria l’infirmière qui l’avait amenée, écarlate de colère. Patricia ignora leurs remords. Elle s’adressa directement à la patiente, tapotant son épaule : — Vous m’entendez ? Aucune réponse. Son visage se durcit. — Préparez le défibrillateur. Je commence la réanimation ! Elle laissa tomber son sac, monta sur le lit, plaça ses mains au centre du thorax et entama les compressions rythmiques. Elle insuffla une respiration, reprit la cadence, concentrée. Puis, une voix rugit dans l’encadrement de la porte, glaçante : — Qu’est-ce que vous croyez faire ?! Les infirmières se figèrent, terrifiées. Patricia leva les yeux. Ses prunelles croisèrent celles de l’homme qu’elle redoutait tant. Son souffle se bloqua dans sa gorge, comme si son propre cœur venait de s’arrêter.
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