Chapitre 6
La berline de Roman roula jusqu’à l’entrée d’une vaste propriété dont la magnificence fit battre le cœur de Patricia. Le domaine, avec ses portails ouvragés et ses façades démesurées, évoquait plus un palais qu’une demeure privée. Qu’un homme aussi discret que lui habite un tel décor paraissait inconcevable. Zara, elle, observa la scène avec une lueur d’opportunité dans le regard.
« Les grilles sont encore closes. C’est le moment idéal pour l’aborder. Tu as toujours ta carte de l’hôpital, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle.
« Oui », murmura Patricia, l’hésitation dans la voix.
« Alors fonce. Mets à profit ce que tu sais faire », souffla Zara en désignant l’allée d’un signe de tête.
Mais Patricia resta figée, l’estomac noué. Et si elle s’attirait sa colère ? Et s’il choisissait de la punir pour l’avoir suivie jusque chez lui ? Dans ce coin reculé, personne n’entendrait ses cris.
« Ce n’est peut-être pas une bonne idée », balbutia-t-elle, triturant nerveusement ses doigts.
Un soupir excédé échappa à Zara. Sans prévenir, elle ouvrit la portière du côté passager, tira Patricia dehors et referma brusquement.
« Dépêche-toi. Je t’attends ici », ordonna-t-elle avant de reprendre place derrière le volant.
Seule, Patricia inspira profondément. Ses pensées s’entrechoquaient. Tout criait de fuir, mais la voix de Zara résonnait encore en elle : avancer ou perdre à la fois son fiancé et sa carrière. Avait-elle vraiment le choix ?
Elle pensa à sa mère, à ses avertissements répétés contre les hommes, souvenirs douloureux de l’abandon paternel. Pourtant, Collin n’avait jamais eu besoin de promettre quoi que ce soit ; ses actes suffisaient. Oui, il valait la peine qu’elle prenne ce risque.
Elle fit quelques pas vers la voiture de Roman. Un réflexe la poussa à se retourner, et son sang se glaça : Zara avait démarré. La voiture s’éloignait déjà, la laissant seule devant l’immense propriété.
« Traîtresse », souffla-t-elle, la gorge serrée. Les larmes montèrent, mais elle les retint.
Rassemblant ses forces, elle s’avança. Au moment où elle allait frapper à la vitre, la portière s’ouvrit brusquement. Roman en sortit avec la lenteur d’un fauve, l’élégance naturelle accentuant encore sa présence. Elle se raidit, le souffle court.
Il allait la dépasser quand elle lança : « Docteur Roman ! »
Il s’arrêta, pivota vers elle. Ses yeux sombres se posèrent sur elle, silencieux, inquisiteurs.
Elle remua, mal à l’aise sous son regard perçant. « Vous m’avez dit de rester loin… Mais je dois régler cette histoire. Le certificat de mariage existe, et si vous ne me croyez pas, nous pouvons aller ensemble vérifier au registre », expliqua-t-elle d’une voix tremblante, baissant les yeux vers la terre.
Roman resta immobile. Son visage fermé ne laissait rien paraître. Lorsqu’il parla enfin, son ton était glacé.
« J’ai déjà une compagne. Je compte l’épouser bientôt. Et je n’ai aucun souvenir d’avoir validé un mariage avec vous. Votre récit manque de cohérence. »
Ces mots furent comme un coup de couteau. Une maîtresse ? Alors pourquoi sa belle-mère avait-elle insisté pour l’unir à lui ? La réponse la frappa aussitôt : parce qu’il était déjà pris, voué à rester inaccessible, un choix parfait pour transformer Patricia en simple ombre. La lucidité lui piqua les yeux, mais au lieu de céder, elle redressa la tête.
« Dans ce cas, expliquez-le à ma famille et rompez officiellement ce lien. J’ai un fiancé qui m’attend, mais ce certificat me condamne », déclara-t-elle d’une voix ferme malgré la peur.
Les sourcils de Roman se froncèrent légèrement. « Ton fiancé est au courant ? »
La honte la fit rougir. Elle secoua la tête. « Non… Il ne m’a pas crue. »
« Exactement comme moi », répondit-il, sec et tranchant.
Il allait ajouter quelque chose, mais s’interrompit. Patricia avait soudain plié le buste, une main crispée sur son ventre.
Un gémissement lui échappa. Ses traits se crispèrent lorsqu’elle comprit enfin. Ses règles. Bien sûr… Quelle ironie que cela tombe précisément maintenant, comme si le destin s’acharnait à rendre chaque instant plus humiliant encore.
Rouge de honte, elle resta immobile, incapable d’articuler un mot.
Roman l’observa, impassible, puis trancha d’une voix neutre : « Tu passeras la nuit ici. Tu partiras demain à la première heure. »
Sans attendre son assentiment, il appela : « Kay, occupe-toi d’elle. »
Un homme s’approcha aussitôt et, d’un geste simple, posa une veste de costume sur les épaules de Patricia.
« Ça devrait convenir », dit-il sobrement.
Elle la saisit à contrecœur. « Merci », murmura-t-elle, la gorge serrée d’humiliation. Elle s’en voulait de ne pas avoir anticipé. Absorbée par ce maudit certificat, elle avait négligé son propre corps.
« Suivez-moi, mademoiselle », indiqua Kay d’un ton calme.
Elle jeta un dernier regard en arrière, espérant l’ombre de Zara quelque part. Mais la route était vide. Seule, elle se résigna à le suivre.
Une pensée terrible la traversa : si sa belle-mère apprenait qu’elle avait dormi chez Roman, les conséquences seraient catastrophiques. Pourtant, la douleur qui vrillait son abdomen réduisait toutes ces inquiétudes au silence. Pour l’instant, la seule chose dont elle était capable était de tenir debout et d’avancer.