Chapitre 1 :
Un grondement furieux s’éleva derrière elle, accompagné d’une voix âpre qui claqua comme un fouet :
— Tu comptes rester plantée là ?!
L’injure la fit sursauter. Ses jambes vacillèrent, son souffle se coupa, et elle réalisa qu’elle se trouvait figée devant une voiture dont les phares l’aveuglaient. Le conducteur, la tête penchée hors de la fenêtre, la couvrait de jurons, rouge de rage.
Son instinct la poussa à fuir. Elle traversa à la hâte, trébuchante, sous les regards insistants des passants. Certains secouaient la tête, d’autres murmuraient des commentaires qui lui donnaient l’impression d’être une bête curieuse. Leurs yeux la jugeaient, et elle sentit ses joues s’embraser.
Elle serra les mains contre elle. Le papier qu’elle tenait la ramena brutalement à la réalité : un certificat de mariage. Sa poitrine se serra. L’espace d’un instant, elle aurait préféré que la voiture l’ait écrasée, cela aurait été moins cruel que ce qu’elle venait d’apprendre.
Elle, mariée ? Et à qui ? À un inconnu dont le nom s’étalait en lettres nettes : **M. Blackthorn**. Dans toute la ville, ce patronyme suscitait des murmures méfiants. Certains le dépeignaient comme un usurpateur ayant pris le contrôle de l’hôpital Westview, d’autres le glorifiaient comme son créateur visionnaire. Personne ne savait exactement qui il était vraiment.
Mais ce mystère, elle s’en moquait. Tout ce qu’elle avait jamais souhaité, c’était embrasser la carrière médicale et s’unir à l’homme qu’elle aimait. Au lieu de ça, elle se retrouvait piégée dans une mascarade qu’elle n’avait jamais désirée.
Des années de brimades sous le joug de sa belle-mère n’avaient pas suffi : il fallait encore que le destin la précipite dans cet abîme.
Le vibreur de son téléphone l’arracha à ses pensées. Elle fouilla son sac et lut le message qui s’affichait :
**Zara : Tu es où ? Réponds-moi ! Ce papier est bidon, on ira en refaire un !**
Sa meilleure amie, Zara, l’opposée parfaite : vive, intrépide, effrontée. Mais comment lui avouer que le document était bel et bien enregistré, reconnu par l’État, et que la seule issue évoquée par l’officier du registre était le divorce ?
L’écran s’illumina encore. Son cœur bondit en découvrant le nom affiché.
Son fiancé.
L’homme avec lequel elle devait se marier ce jour même. Celui à qui elle avait demandé une union discrète, loin de la famille, loin des regards, simple et sincère. Or, devant l’employé du bureau, la vérité lui avait explosé au visage : elle était déjà l’épouse légale d’un autre.
Un nouveau message s’afficha :
**Fiancé : Je suis là. Pourquoi refuses-tu mes appels ? Dès que tu peux, appelle-moi. Je t’aime.**
Ces trois mots la poignardèrent. Comment trouver la force de lui révéler que leur mariage venait d’être pulvérisé par une machination ?
Son esprit dériva aussitôt vers Lisa, sa belle-mère. Personne d’autre qu’elle ne pouvait être derrière ce désastre. Elle avait toujours eu l’art de piétiner son bonheur. Pourtant, quelque chose clochait : la photo jointe à l’acte de mariage montrait son visage d’enfant, une image que Lisa ne possédait pas. Plus troublant encore, le cliché de son supposé mari semblait lui aussi dater de l’enfance. Était-il possible qu’il ignore tout autant qu’elle l’existence de cette union ?
Si c’était le cas, alors cette mise en scène dépassait même les calculs sordides de Lisa. Pourquoi l’avoir liée à un homme aussi puissant que Blackthorn ? Quel intérêt cachait ce piège ?
Ses pensées convergèrent vers une unique solution : retrouver cet homme et lui arracher une signature pour dissoudre un mariage fantôme. La chance, ironique, voulait qu’elle ait été recrutée récemment à l’hôpital Westview, dont il était le PDG. Le destin l’avait mise sur sa route.
Pour la première fois de la journée, un filet d’espoir vint alléger ses épaules. Si elle manœuvrait habilement, elle pouvait tout régler sans que son fiancé ne découvre rien. Elle devait paraître calme, détachée, obtenir le divorce rapidement et préserver son avenir.
Mentir à son fiancé lui brisait le cœur, mais avouer risquait de tout détruire. Elle refusait de laisser Lisa dicter une fois de plus le cours de sa vie.
Elle leva le bras pour héler un taxi. Le véhicule s’arrêta dans un crissement, et elle donna l’adresse familiale avant de s’adosser au siège, la gorge serrée. Les rues défilèrent derrière la vitre comme des ombres filantes.
Lorsqu’elle se retrouva devant la maison, ses jambes restèrent immobiles. Chaque retour entre ces murs avait toujours le goût d’un châtiment. Elle connaissait par avance le mépris, les regards froids, l’hostilité à laquelle elle allait être confrontée.
Même sa propre mère n’avait jamais levé la voix pour la protéger, préférant fermer les yeux et laisser Lisa dicter sa loi. Cette demeure n’avait jamais eu l’odeur d’un foyer. Elle y survivait par nécessité, tenue en otage par son nom de famille, indispensable pour sceller ses fiançailles.
Elle inspira longuement, franchit le perron et fit résonner la sonnette. Deux coups secs.
La porte s’ouvrit. Elle franchit le seuil, avançant jusqu’à la salle à manger. Tous étaient déjà installés, l’attendant.