Pdv Ambers
Je reporte mon attention sur Beverley, qui m’attend, bras croisés, impatiente.
Elle a ce regard qui peut te juger et te consoler en une seconde.
Dring ! Dring !
— Attends, Bev, mon portable sonne.
Je me tends aussitôt en voyant le nom du contact.
— C’est qui ? demande-t-elle après que j’ai refusé l’appel.
— Une personne avec qui j’ai le moins envie de parler pour le moment, dis-je en rangeant le téléphone dans ma poche.
— Axel ?
Silence. Un nœud se serre au creux de ma gorge.
Je reprends la marche, le pas sec, mécanique.
— Allons-y.
Dring ! Dring !
Beverley roule des yeux.
— Tu devrais répondre.
Je soupire, fixe l’écran une seconde de trop. Si je ne décroche pas, il va continuer à me harceler.
— Passe devant. Je te rejoins après.
— D’accord, mais traîne pas trop, grogne-t-elle en s’éloignant.
Je prends une grande inspiration, compte jusqu’à trois, et décroche à la troisième sonnerie. Je mets sur haut-parleur,
— Allô !
— Ah, enfin ! Ça fait des lustres que j’appelle. T’étais où ? répond une voix rauque, familière.
— Là. J’avais juste pas envie de répondre. Dis ce que t’as à dire, j’ai pas tout mon temps.
— Toujours aussi froide… tu changeras jamais.
Je lève les yeux au ciel sans répondre. Sa voix a ce timbre qui me ramène en arrière, aux étés volés, aux secrets partagés. Mais on n’est plus au collège.
— … Axel !
— Ok, ok, j’suis désolé. Il reprend plus calmement. J’ai entendu dire que t’avais blessé quelqu’un aujourd’hui.
— Et c’est pour me faire la morale que tu m’appelles ? Désolée, mais j’ai déjà eu ma dose pour aujourd’hui. Et j’peux savoir quel imbécile t’a prévenu ?
— Tu sais bien que j’ai des yeux partout, citrouille. Rien ne m’échappe.
Mais toi, tu m’as déjà échappé, pensé-je sans le dire.
— Et non, c’est pas pour te faire la morale, reprend-il, mais pour savoir comment tu vas. Et ce qui t’a poussé à lui planter ce stylo.
Je me détends un peu. Alors je lui raconte ma matinée, d’une voix calme, presque lasse.
Axel Miller. Mon ami d’enfance. L’ancien chef de notre petit groupe : lui, Beverley, Nico et moi. Mon meilleur ami. Et, autrefois, mon béguin.
Il m’écoute sans m’interrompre, jusqu’à ce que je termine.
— Toi et tes mauvais présages, finit-il par dire avec un rire léger. Force à toi, citrouille.
— Arrête de m’appeler comme ça. On n’est plus au collège.
— Nope. Tu es et resteras toujours ma citrouille.
Il fait mine de réfléchir, puis ajoute en riant :
— Sérieusement, j’aimerais pas être ce mec que t’as planté.
Je soupire. Avec lui, c’est toujours pareil.Il y a des habitudes qu’on ne perd pas. J’esquisse un sourire malgré moi.
— Et sinon, poursuit-il, tu comptes t’excuser auprès de ta victime ?
— Pour l’instant, j’évite d’y penser. J’ai déjà assez de choses à gérer.
— D'accord. Mais si j’attrape ce connard de Thomas, je le bute.
— Joue pas au justicier. T’es pas là, alors laisse-moi gérer mes problèmes seule.
— C’est pas possible. Soupire-t-il. C’est mon rôle de meilleur ami de te défendre.
Je ne réponds pas.
— Et comment va cette sorcière d’Iris ?
Je ricane.
— Je suppose qu’elle doit être aux anges. Elle croit m’avoir déstabilisée avec son petit manège avec Thomas. Si seulement elle savait ce que je lui réserve.
Un sourire diabolique étire mes lèvres.
Axel rit à travers le combiné.
— J’aimerais vraiment pas être à sa place. Quand est-ce qu’elle comprendra qu’elle ne te battra jamais ?
— C’est ça qui est amusant. La laisser croire qu’elle est au sommet… avant de lui ramener la réalité en pleine face.
— Tu fais peur quand tu t’y mets. Heureusement que je suis dans ton camp.
— Pour l’instant, tu l’es. Mais qui sait ce qui pourrait se passer dans le futur ? dis-je sombrement.
J’entends un bruit de toux de l’autre côté de la ligne. Il devait être en train de boire.
— Eh ! Me fais pas flipper comme ça, d’accord ? Merde, j’ai recraché mon jus à cause de toi. C’est pas cool, citrouille !
— Tu l’as bien cherché, dis-je en souriant malgré moi.
Une autre voix claire s'élève, douce… et insupportablement familière.
— Ça va, mon cœur !?
Mon sang se glace. Mon cœur se serre.
— Oui, je vais bien, Ashley. T’inquiète pas. J’ai juste avalé de travers, répond Axel.
— Bien sûr que je m’inquiète, gros bêta ! Qu’est-ce que j’aurais fait si tu t’étais évanoui ?
— Arrête de t’affoler pour rien. Comme tu vois, je vais très bien. Et je suis au téléphone, là.
— D’accord, je te laisse tranquille. Mais dépêche-toi, c’est bientôt mon tour de monter sur scène, et je veux pas faire mon show si l’élu de mon cœur ne me regarde même pas !
Sa voix s’éloigne, chantonnante.
— J’arrive dans quelques minutes ! crie-t-il avant de revenir vers moi. Ambers, t’es toujours là ?
Le téléphone tremble dans ma main. Ma poitrine brûle.
— Oui, je suis là, dis-je, la voix serrée. Je dois y aller. Bye!
Silence.
— À propos d’Ashley…
— Axel, je veux rien savoir. C’est ta vie. Tu la vis comme tu veux.
Un silence long, lourd.
— D’accord, finit-il par dire doucement. Passe une bonne journée. Et… n’oublie pas les excuses.
— On verra.
Je raccroche, le cœur noué, et remets le téléphone dans ma poche.
Rien ne va. La colère est encore là, plus sourde, plus profonde.
Mais je dois retourner en classe.
Je traverse le couloir. Les regards m’effleurent, pesants.
Quelques-uns compatissants, d’autres moqueurs, certains… terrifiés.
À un croisement, elles me sautent presque au visage — Iris et sa b***e, maquillage impeccable, rires calibrés, toute la panoplie de la supériorité calculée.
— Tiens, tiens, tiens, se moque Iris. Ambers ! Comment tu vas ? J’ai entendu dire que t’avais fait des ravages dès la rentrée.
— Premier jour et elle tient déjà pas en place, ricane Merry.
— Elle n’a pas mis longtemps à montrer son vrai visage, ajoute Nicky.
Je m’arrête. Les fixe. Longtemps.
Mon regard les cloue sur place.
Elles pâlissent.
— Continuez, chuchoté-je. Je vous écoute.
Silence.
Leurs sourires se figent. Elles reculent, presque en tremblant.
Je tourne les talons, sans un mot de plus.
J’ai mieux à faire que de perdre du temps avec des Barbie de seconde main.