Chapitre 7

2672 Words
Oh ! le petit chéri ! il est jaloux de Durin ! il est jaloux de Lawrence ! Mais, puisque vous savez que c’est le même ! qu’est-ce que cela peut faire à vous, je demande ?… Rudy !… Méchant Rudy !… vous seul, j’aime ! Yes, I love you, you alone ! » Et, cette fois, un b****r qui me fait retomber pantelant dans la voiture. Nous avons repris notre route. Je ne dis plus un mot, elle non plus… Je regarde ses petits pieds sur les pédales. Est-il au monde quelque chose de plus joli que deux adorables souliers de femme, découvrant un pied où transparaît la chair, sous le bas de soie fin, commandant d’un mouvement léger à ce monstre de fer, à ce dévorateur d’espace qu’est le moteur d’une auto de grand luxe !… Moi aussi je suis sous ces pieds-là et ils peuvent me faire courir loin et longtemps… d’autant qu’au-dessus du pied il y a la jambe ! Et quelles jambes, sous le bout de jupe étroite, enserrant les genoux… C’en est fait de moi ! Je suis un jouet pour cette femme… Le jouet d’une heure de ces petits pieds là. Que deviendrai-je quand ils s’en iront ailleurs ? Je deviens bête à pleurer. Ma parole, mes prunelles s’obscurcissent quand je pense à la toute petite chose que je suis… Ah ! je finis par comprendre qu’on ait de l’admiration pour Durin !… Je l’envie ce domestique. J’ai cru en détourner Helena avec horreur… Je n’ai peut-être fait que raviver son désir !… Et c’était cela, ma grande affaire !… Mon va-tout !… la terrible partie au bout de laquelle Helena, sauvée par moi et reconnaissante… Sombre idiot !… Bourgeois ! Regarde-toi en face de Mister Flow !… Tu dois bien l’amuser !… Les petits pieds, les jambes !… Pour combien de temps encore ma caresse, le long de cette jambe ?… Qu’est-ce qu’ils vont faire de moi, elle et Durin ?… Car, enfin, ils ont peut-être partie liée ensemble pour ce petit intermède-là !… « Ah ! Darling, quelle est la matière ? Vous pleurez ?… – Excusez-moi, Helena, je me sens si peu de chose entre vos mains… Tout à l’heure, je voulais partir, maintenant j’ai peur que vous me laissiez au bord de la route ! Où allons-nous ? – À Rouen, faire de mon petit chéri un gentleman ! Voyons, petit amour joli, donne tes yeux sur mes lèvres… Thank you… J’aime tes larmes. Elles sont salées… Tu pleures comme une femme, ça me plaît !… Et maintenant contez-moi comment vous avez pris la figure de Lawrence… cela nous fera passer un bon moment, voulez-vous ? Go on then ! – Mais comment donc ! Je vous assure, Helena, que c’est encore plus drôle que tout ce que vous pouvez imaginer… Tenez-vous bien ! » Et c’est avec un acharnement sadique que je dépèce mon aventure ! Je lui en sers tous les morceaux, saignants, chapitre par chapitre… Auteur Durin. Du beau travail. Un bel engrenage. Et je ne connais pas la fin !… Elle rit ! Elle rit ! « Oh ! this Durin ! this Durin ! » Singulière mentalité ! Elle ne voit dans mon histoire qu’une farce parfaitement réussie. Le côté tragique de l’aventure lui échappe tout à fait. Se rend-elle compte de la situation inextricable où je me trouve ? Des risques que je cours ? De l’accusation de complicité à laquelle je ne pourrais échapper si le Parquet apprenait jamais dans quelles conditions j’ai rendu les plus singuliers services à mon client ? Conçoit-elle qu’il suffit d’un mot de Durin pour que je sombre à jamais ? Et que me voilà, par cela même, sa chose, pour le temps qu’il voudra ?… Pour le temps qu’il lui plaira ? Non ! rien de tout ceci ne saurait l’intéresser. Une bonne farce ! Il en adviendra ce que les dieux voudront ! Elle aura bien ri !… « This Durin ! » Ce Durin lui a envoyé une poupée pour ses vacances, pour qu’elle s’ennuie moins de lui, peut-être, pendant qu’on le garde au frais dans sa cellule. Elle va habiller sa poupée !… Nous avons passé trois heures à Rouen. Elle m’a conduit où elle a voulu, chez le tailleur, chez le chausseur, chez le chemisier, dans dix magasins. Elle n’était jamais contente. Rien n’était trop beau. Je n’avais rien à dire. C’est elle qui commandait, discutait, essayait. Elle me tournait, me retournait… me faisait prendre des poses, choisissait les étoffes, palpait les tissus. Elle ne me consultait point. Elle disait : « Croyez-vous que cela lui aille ? » Pour le vêtement tout fait qui devait remplacer mon « ridicule petit costume », ce fut un drame. Elle exigeait des retouches impossibles à faire dans les deux heures. Et personne ne saura jamais ce qu’elle put dire de désagréable aux commis, aux directeurs, ni dans quelle langue ! Sur un signe, je dus lui passer une liasse de billets et elle réglait tout, après un contrôle exact, ramassant la monnaie dans son sac. Je crois que nous parcourûmes tout Rouen à la recherche de cravates. Son irritation, à la vue de celles qu’on lui exhibait, prenait des proportions inquiétantes : « Je ne veux pourtant pas aller en chercher rue de la Paix ; j’ai un « appontement » au Royal avec le petit Duc ! » Enfin elle mit la main sur des imitations de cachemire avec lesquelles Mary saurait me tailler quelque chose d’à peu près convenable : « À Deauville, ils n’ont que de la camelote pour la plage, pour joueurs de tennis… Je ne veux pas que vous ayez l’air gigolo, you understand ?… Ne vous occupez pas de la perle pour la cravate. J’en ai une de grande beauté. Je dirai à Fathi de vous la prêter, mais il faudra la lui rendre tous les soirs ! » Cette dernière phrase m’avait un peu bousculé. Elle s’en aperçut. Après une tasse de thé à l’hôtel d’Angleterre, comme nous étions sur le chemin du retour, et qu’elle me voyait gisant dans mon coin, encore tout étourdi, elle me dit : « Darling, il ne faut pas vous étonner s’il faut rendre la magnifique épingle de cravate à Fathi tous les soirs. Vous n’avez pas remarqué, car il faisait une belle nuit d’amour noire, hier, que, lorsque je vous ai rejoint sur la terrasse, je n’avais plus mon collier. Je l’avais donné à Fathi, au vestiaire. Et la maid, yes, la dame de la toilette, avait décousu les bijoux de ma robe… Ainsi, Fathi nous a laissé la paix. C’est le règlement de Sir Archibald qui tient beaucoup aux bijoux qu’il m’a donnés. Tous les soirs, quand je vais au lit, Fathi m’attend pour mettre mes bijoux dans un coffret et il va dormir avec la boîte… C’est encore le règlement de Sir Archibald… et cela est très sage, very very really, par ce temps de voleurs. Je regrette tout de même parce que je voudrais tout vous donner, yes, darling, tout vous donner, parce que je vous aime !… » En attendant, elle ne me parlait toujours point de mes cent mille francs et tout ce qu’elle me racontait ne parvenait pas à dissiper ma mélancolie. « Pourquoi cette tristesse, puisque je vous aime ! Vous serez beau, Rudy dear ! ce n’est pas Lawrence que j’ai habillé, dear little puppet, c’est Rudy ! Quittez cette figure de malheur, si vous voulez me faire plaisir… » Sa physionomie, une fois encore, avait changé. Son profil n’avait plus cette dureté de métal qui m’avait surpris et inquiété en quittant Deauville. Ses yeux avaient retrouvé toute leur langueur ; l’eau trouble, qui les baignait d’une volupté si communicative, s’était répandue de nouveau à l’ombre des cils chargés d’un noir cosmétique, car les onguents et les fards semblaient avoir été inventés pour la parure de cette icône rayonnant le désir. Elle voulut avoir ma tête sur son épaule et elle menait notre émoi lascif à quatre-vingt-dix à l’heure… M’aime-t-elle vraiment ? J’ai tout pour le croire. Arrivés au palace, son impatience attendit qu’elle ait fait réapparaître, sous les éponges, mon vrai visage : « C’est celui que j’aime, seul, celuilà ! » Et, quand nous fûmes un peu calmés, ce furent encore ses mains, tremblantes de luxure, qui me refirent les joues brûlées de gin de cet insupportable Mr. Prim ! Si je ne me trompe, cette comédie qui a commencé par l’amuser finit par l’exaspérer autant que moi. Je veux savoir. Elle me renvoie sans répondre : « Allez vous habiller ! Revenez me chercher à neuf heures et la demie. Et surtout, ne jouez plus ! Allons, dépêchez-vous, Look sharp ! Voici dix minutes que le duc attend dans le salon ! Now, ne me regardez pas ainsi ! Le duc s’en va ; il m’apporte ses hommages d’adieu. J’ai refusé de l’accompagner sur son yacht. Je tiens à ma réputation et je n’aime pas le duc, non, en vérité !… » Mary me fait passer par une porte de service. Une demi-heure plus tard, je suis au casino et je joue. Et j’en sors sans un sou. Plus rien des soixante-dix mille de la veille. Ça n’a pas duré un quart d’heure ! et j’ai joué prudemment, ne faisant les bancos qu’au coup de trois. Je suis tombé sur un jour où tous les coups de trois réussissent pour le donneur… Eh bien, je n’avais pas pensé qu’une pareille chose fût possible. J’avais encore trouvé ce petit système-là pour gagner trente mille francs tous les jours. J’étais raisonnable. Au jeu, il ne faut pas être raisonnable. Je sors de la salle sous le coup de cet incident inattendu. Il n’est que neuf heures. J’ai une hâte fébrile de revoir Helena. Je vais tout lui dire… Elle comprendra… Elle me rendra aussitôt mes cent mille francs !… Neuf heures et quart, je suis dans son salon. J’attends cinq minutes et Mary m’introduit. Helena est prête. Elle m’adresse un sourire adorable : « Comment me trouvez-vous ? » Elle est à peu près nue dans une robe en mousseline rose fanée, brodée, en plusieurs tons de rose, gris, bleu et or, de motifs où les paillettes, le strass, les perles fines, les diamants, les verres de couleur forment les dessins les plus singuliers. À chaque mouvement, cette joaillerie chante le long de ses jambes gantées haut de soie chair que l’on aperçoit jusqu’aux cuisses dans les entre-deux… Un poème… Dans ses cheveux noirs, un diadème avec une émeraude énorme. Et encore, naturellement, le fameux collier. « Ceci vous plaît-il ? Je ne veux plus m’habiller que pour vous, amour chéri ! » Mary est là. Helena ne se gêne pas devant elle. Je b***e les mains de la noble dame ; elle laisse ses mains sous mes lèvres. Mon silence, mon b****r secret sont suffisamment éloquents. Elle me comprend : « Laissez-nous, Mary ! » Quand elle veut, rien n’est plus majestueux que son geste, sa parole. C’est une grande, très grande dame. Elle me dit : « Oh ! Par le chemin, je dois vous dire, j’ai écrit à Durin. Je lui ai dit que vous m’aviez tout raconté… et que nous avions bien ri de votre petite histoare ! » Ah ! elle m’ennuie ! elle m’ennuie avec sa façon de prononcer : votre petite histoare !… Et puis cette lady qui écrit au valet de chambre de son mari, dans sa prison… Tout de même, j’ai beau vouloir me mettre à la page, il y a des choses qui me dépassent !… Encore une fois, je suis précipité… Raccrochons-nous aux choses sérieuses. « Helena, j’ai joué !… j’ai tout perdu. » Elle me regarde avec un véritable effroi… « Really ! dit-elle, nous en sommes là ? Je vous avais dit de ne pas jouer… Ah ! ce que je regrette nos cent mille francs d’hier !… » Elle avait déjà son manteau sur les épaules. Elle le laissa tomber et rappela la femme de chambre : « Mary ! déshabillez-moi, je vous prie, je ne sors pas, ce soir ! Mr. Prim et moi, nous dînerons dans le salon. Avertissez le maître d’hôtel et Fathi. » Et quand nous sommes seuls : « Comprenez, chéri, my little love, que nous allons tout à fait manquer d’argent de poche… why, yes !… Je n’ai plus un sou, non plus, moi ! J’ai tapé tout le monde. Je ne trouverais pas cinq louis. Je dois déjà dix mille francs à Mary. Je sais bien qu’il y a le portier, mais, me sachant gênée, il a osé me faire de telles propositions de la part… Oh ! je peux bien vous le dire… Du petit Valentino… cinq cent mille, little darling, pour une nuit !… Disgusting ! Pour qui me prend-on ? I am a lady. Non, décidément, le portier, je ne peux pas ! » Je n’en croyais pas mes oreilles ! « Mais, saprelotte, Helena, télégraphiez à Sir Archibald ! – Il ne m’enverrait pas une guinée, pas un shilling ! – Il vous laisse sans argent !… – Toujours ! Oh ! vous devez comprendre que je commence à en avoir assez. N’est-il pas vrai ?… – Je ne comprends rien, Helena, absolument rien ! – Parce que vous n’avez pas l’habitude du monde, Rudy !… Les princes ! Les princesses… les grands de la terre n’ont pas besoin d’argent… Vous ne les voyez jamais payer. Cela regarde quelque domestique, butlerou autre… Pour moi, c’est Fathi qui règle toutes mes notes… Oh ! Sir Archibald est le plus généreux des hommes !… Je peux m’offrir toutes les fantaisies « except » celle d’avoir six pence dans ma petite bourse !… Je ne pourrais donner un penny à un pauvre ! C’est Fathi qui le donne pour moi !… – Eh bien, tapez Fathi !… – Silly ! Fathi est incorruptible !… Fathi ne connaît que sa consigne. Il doit tout régler, mais défense de me donner de l’argent de poche… Et défense de régler les petites dettes contractées pour l’argent prêté de la main à la main ! – Écoutez, c’est inimaginable ! Vous avez dû faire de grosses bêtises… – Je m’ennuierais tant si je ne faisais pas de grosses bêtises, petit chéri ! – Sir Archibald, en agissant de la sorte, a voulu vous garantir contre le jeu… – Peut-être, darling. Mais, pour cela, ou pour autre chose, que deviendrons-nous tous les deux ? Nous allons avoir besoin de Fathi tout le temps, derrière nous, pour l’addition ! Combien c’est triste, j’avais pensé que nous ferions des promenades tous les deux, dans les environs, comme des amoureux, des simples loversau village, sur le penchant de la colline. Mais avec l’homme et son turban, nous serions tout à fait ridicules ! Et je dois tant à mon chauffeur… j’ai envie de pleurer, darling ! » À ce moment, Fathi fit son entrée, se courba jusqu’à terre et tendit un coffret dans lequel Helena déposa son collier, ses bracelets, tous ses bijoux, même ceux qui se trouvaient sur sa robe et que Mary décousait d’un coup de ciseaux, tandis que le gros Hindou les comptait méticuleusement. Puis ce fut le diadème. Fathi referma le coffret et s’en alla, satisfait, après s’être courbé à nouveau avec les manifestations du plus grand respect. J’avais remarqué qu’Helena n’avait pas de bagues. J’avais pensé à une coquetterie de plus, car ses mains nues étaient fort belles. Elle m’expliqua qu’Archibald avait consenti à ce qu’on lui laissât ses bagues et quelques anneaux de bras sans valeur excessive. Tout cela est parti, liquidé par elle, en quelques jours. Le jeu avait tout pris. Moi j’écoutais tout cela, dans un abrutissement parfait, pensant tout le temps à mes cent mille francs : « Écoute, petit chéri, console-toi, cheer up ! nous irons nous promener avec Fathi ! Prends ton tabac, tu fumeras une cigarette. »
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD