Chapitre I : l’enlèvement-1

2148 Words
Chapitre I : l’enlèvement Versofi Vertebranche était une petite elfe pas encore tout à fait adulte, mais qui avait hâte de vieillir comme toutes les adolescentes. Elle habitait un territoire indépendant qui s’appelait l’enclave de l’ouest et était la fille adorée de son papa, qui était à la fois le chef de la famille Vertebranche et le dirigeant de son petit pays. L’enclave de l’ouest était entièrement cernée par un royaume humain, le royaume d’Aquilur, dont le roi Altonius avait concédé ce territoire pour héberger une communauté d’elfes qui s’était enfuie du grand empire elfique de l’est. L’enclave était assez petite et située sur la côte ouest d’Aquilur, la seule ressource en était le poisson et de rares cultures, car la terre était de mauvaise qualité et la forêt couvrait la majorité du territoire, ce qui expliquait pourquoi Altonius n’avait pas vendu très cher ce lopin de terre qu’on pouvait traverser en moins d’une journée. L’enclave comptait environ mille elfes, mais ils étaient pour la plupart de haute lignée et parmi eux se trouvaient les meilleurs guerriers du monde, tout au moins les meilleurs guerriers elfes du monde, ce qui revenait presque au même, mais pas tout à fait quand même. Versofi, en tant que fille du chef, avait droit à des études très poussées dans les matières intellectuelles, mais également dans le développement physique. C’est ainsi qu’elle avait appris à lire, à écrire et à parler l’elfe commun bien sûr, mais également le haut elfe, qui était un langage magique et permettait aux elfes d’utiliser leur magie naturelle. Versofi de la maison Vertebranche avait appris le langage des hommes et avait été initiée aux langues gobelines et naines, même si ces deux dernières étaient parlées par les ennemis jurés des elfes. L’histoire et la géographie du monde connu avaient été des leçons intéressantes, mais c’était compliqué et la jeune fille avait principalement retenu que son père avait été évincé du trône, qui lui revenait de droit puisqu’il était de sang impérial, et qu’un usurpateur l’occupait. L’empire elfe s’étendait sur un archipel, des îles de tailles variées situées à l’est au-delà des royaumes humains. L’enclave où elle vivait était à l’extrémité ouest du royaume d’Aquilur, qui était le deuxième royaume humain en termes d’importance. Le premier royaume humain s’étendait plus au sud et s’appelait Gash, il était souvent en guerre avec Aquilur. Quelques années auparavant, une province au nord-ouest de Gash, frontalière avec Aquilur, avait fait sécession. Ce nouveau petit pays s’était érigé en République et Feil, car c’était son nom, avait été soutenu dans sa lutte de libération du joug de Gash à la fois par Aquilur, car tout ce qui embêtait Gash arrangeait Aquilur, mais aussi par l’enclave, qui se reconnaissait dans ces rebelles. À l’est d’Aquilur un grand désert de sable s’étendait avant les sept royaumes, qui étaient indépendants et s’étalaient sur la côte de l’océan oriental. Au-delà de l’océan se trouvait l’empire elfe, ennemi juré de l’enclave. Plus loin à l’est il y avait encore des îles, mais c’était le domaine des araignées géantes et des elfes noirs et nul ne s’y risquait. Les elfes noirs étaient un peuple méchant et mauvais, qui ne reconnaissait pas l’autorité de l’empereur et s’était mis de lui-même au ban de la société elfique. À part ces matières intellectuelles, Versofi était libre d’apprendre ce qu’elle voulait, mais elle était tenue de s’entraîner au combat, à l’équitation, à la natation et à l’éclairage. L’école de combat consistait à s’entraîner à l’épée et à l’arc principalement. Le lancer de couteau et la fronde étaient conseillés, mais optionnels et Versofi avait vite cessé de s’y consacrer, car sa matière préférée était le tir à l’arc, où elle montrait des dispositions étonnantes, même pour une elfe sylvestre de haute lignée. Son peuple était connu pour être le meilleur dans ce domaine, mais elle surpassait tous les autres elfes de son âge et elle serait sans doute la meilleure archère de l’enclave à l’âge adulte. Pour l’instant elle manquait encore un peu de force physique et d’endurance, mais elle pouvait déjà abattre un écureuil courant à vingt mètres, un oiseau volant à la même distance et couper en deux une mouche à dix mètres. Son ouïe et sa vue étaient parfaites, ses gestes coordonnés et son escrime s’améliorait chaque jour, elle serait donc une guerrière redoutable dans peu de temps, personne n’en doutait. Elle aimait moins l’équitation et n’était vraiment pas de la race des centaures, mais elle savait quand même à peu près rester sur un cheval ou un poney quand celui-ci se mettait au galop, ce qui était suffisant de son point de vue, même si son maître de manège s’arrachait ses cheveux gris, lui qui se rappelait avec quelle facilité il avait appris les plus rudes leçons d’équitation au frère aîné de Versofi, le grand Fredoli, qui serait un jour réputé pour ses talents de cavalier. L’apport de sang haut elfe semblait plus important chez Fredoli que chez Versofi, qui avait plus de penchants pour la gent sylvestre. Le sang d’elfe marin était quasiment inexistant dans cette famille et les Vertebranche étaient parmi ceux qui se rapprochaient le plus des hauts elfes de jadis. La natation était beaucoup plus naturelle à Versofi que l’équitation, qui évoluait dans l’onde comme un poisson, ou plutôt comme une sirène, ce qui prouvait qu’elle avait quand même plus de sang elfe marin que le reste de la famille. Quant à l’éclairage, art qui consistait à déchiffrer les pistes, reconnaître les animaux de la forêt et d’ailleurs, à chasser et à traquer, elle était une élève moyenne, mais consciencieuse, ce qui n’était déjà pas mal. Elle n’avait pas d’ancêtres connus parmi les elfes marins pourtant et tous ses aïeuls proches étaient hauts elfes ou elfes sylvestres, mais les mystères de la génétique font apparaître des caractères longtemps demeurés cachés parmi la descendance lointaine et particulièrement chez les elfes, qui vivent très vieux et qui oublient parfois leurs origines communes. Et une longue vie permet aussi des écarts dans les contrats de mariage, qui ne se révèlent que beaucoup plus tard avec l’apparition de différences génétiques insoupçonnées, mais ce sont des ragots auxquels il ne faut pas apporter trop d’importance, n’est-ce pas. Versofi Vertebranche vivait donc sa petite vie insouciante d’adolescente heureuse et allait bientôt fêter ses trente ans. Elle attendait sa majorité, à quarante ans chez les elfes, pour se choisir un mari ou partir à l’aventure, ou les deux, elle ne savait pas encore. Elle était courtisée par de nombreux jeunes elfes, mais n’avait pas encore fait son choix, car pour elle ce n’était pas du tout une priorité ni une urgence. Elle était assez jolie, avec des cheveux châtains mi-longs coiffés en carré plongeant. De taille moyenne, de corpulence athlétique, elle n’aurait pas attiré autant de soupirants si elle n’avait pas été de haut rang, son père était riche et respecté et son gendre serait très vite aussi riche et respecté, ce qui ajoutait au charme de Versofi, qui était consciente de l’hypocrisie de certains prétendants et jouait avec eux, se moquant parfois cruellement de leurs tentatives maladroites pour attirer son attention, voire son affection. La famille Vertebranche s’apparentait à tous les empereurs depuis plus de cinq mille ans et comptait de nombreux héros, érudits, sages et philosophes connus. Les Vertebranche alliaient un esprit supérieur dans un corps sain et étaient aussi bien réputés pour leurs talents de guerriers et de chasseurs que pour leur supériorité intellectuelle naturelle et surtout cette famille avait deux dons particulièrement répandus parmi ses membres : l’équitation et le tir à l’arc. Le seul défaut qu’on connaissait aux Vertebranche était leur entêtement et parfois leur naïveté, mais la seconde faiblesse était plus rare que le premier défaut, fort courant dans cette famille et poussé à l’extrême. Versofi était assez insouciante dans l’ensemble et n’avait peur de rien, il faut dire qu’elle vivait à l’abri dans un territoire délivré de toutes les bêtes ou les monstres dangereux. Son père, d’une grande indulgence avec sa fille unique, réservait les leçons de politique et de morale à son fils unique Fredoli, en qui il plaçait tous ses espoirs de succession, aussi bien à la tête de la maison Vertebranche qu’au sommet de l’enclave. Fredoli avait une vingtaine d’années de plus que Versofi et il n’était pas du tout proche de sa petite sœur, qu’il considérait au mieux comme un animal de compagnie amusant, au pire comme une petite emmerdeuse à qui tout le monde passait tous ses caprices. La mère des deux jeunes elfes, par contre, avait décidé de mettre en garde Versofi sur les dangers du monde extérieur, à toutes fins utiles. Elle lui raconta comment un complot mené par une faction rivale de la famille impériale avait permis d’évincer son père de la succession quand leur vieil oncle, l’ancien empereur, était mort dans des circonstances mystérieuses. Elle lui narra comment son père avait mené son clan hors de l’empire dans une flottille de bateaux de pêche volés pour l’occasion, comment ils avaient fini par éviter les îles humaines au sud, les elfes noirs à l’est et étaient venus dans l’ouest pour accoster sur les rives des sept royaumes. Elle décrivit l’hostilité des sept royaumes, qui commerçaient avec l’empire et ne voulaient pas prendre parti contre l’empereur régnant, même si c’était un usurpateur. Elle raconta la traversée du désert, l’accueil sympathique d’Altonius premier, l’installation dans l’enclave après l’achat de celle-ci à un prix prohibitif, car on peut être sympathique mais ne pas oublier le sens des affaires. Elle raconta comment l’usurpateur avait envoyé une armée à la poursuite des légitimes héritiers du trône, comment cette armée avait traversé les sept royaumes avec dédain et avait commencé la traversée d’Aquilur sans même en demander l’autorisation à son souverain. Le roi d’Aquilur avait alors interdit à l’expédition impériale d’aller plus loin au sein de son royaume, mais les elfes avaient continué leur progression en tuant les humains qui protestaient, pillant les champs et les vergers pour se ravitailler et se comportant en sauvages, dévoilant sans retenue leur racisme et leur mépris des hommes. Le royaume d’Aquilur pouvait lever une armée, mais ce serait trop tard et l’expédition aurait rempli sa mission destructrice, car elle avançait très vite et aurait atteint l’enclave en moins d’une semaine. Elle comportait plus de cinq cents guerriers elfes parmi l’élite de l’armée impériale et l’enclave ne pouvait lui opposer que moins de trois cents soldats immédiatement utilisables, dont une partie de vieillards. Altonius tenta de s’opposer à l’avancée des impériaux et montra la fidélité à sa parole. La bataille avec la garde royale de Djhone, la capitale du royaume, fut la fin d’Altonius, qui alla jusqu’au sacrifice suprême pour honorer sa parole et ralentir la destruction de ses nouveaux amis. Altonius II, neveu d’Altonius premier du nom, monta sur le trône, mais les deux cents gardes royaux ayant été anéantis avec son oncle, il n’avait que peu de force à opposer aux meurtriers de celui-ci. Rien ne semblait pouvoir sauver l’enclave, mais les envahisseurs avaient négligé un détail qu’ils ne connaissaient pas bien, c’était le duc Kold. Ce guerrier magicien avait été chassé de la tour des mages, qui était la fameuse école de magie de Gash, car il pratiquait sans discernement toutes les sortes de magie, alors que la tour avait interdit de pratiquer plus de deux sortes de magie à la fois. Kold l’archimage était aussi un fameux éclaireur et un guerrier hors pair, mais surtout il possédait une qualité indéniable qui le plaçait parmi les créatures les plus dangereuses au monde : il agissait, sans peur ni hésitation, et il traitait ses amis en amis, ses ennemis en ennemis. Cela semble évident, mais en y réfléchissant on s’aperçoit souvent que les gens négligent leurs amis, puisqu’ils pensent que cette amitié leur est définitivement acquise et qu’il n’est pas besoin de les ménager. À l’inverse, on fait attention à ne pas provoquer ses ennemis, de peur d’une réaction disproportionnée et de devoir affronter leur colère. Kold était différent, il demandait beaucoup à ses amis, mais les récompensait grassement et ne les trahissait jamais. À l’inverse, il ne faisait jamais aucune concession à un ennemi et la menace déclenchait toujours chez lui une réaction agressive. Kold était arrivé soixante ans auparavant en Aquilur et avait obtenu d’Altonius Premier le titre de duc et la concession d’un vaste territoire boisé et désert en échange de l’exécution de la reine sorcière mort-vivante qui régnait sur cette contrée du sud d’Aquilur. Le roi avait ri, car personne ne pouvait vaincre Valyria la reine liche et il avait acquiescé aux demandes de ce bouffon à l’air sinistre, croyant bien qu’il ne le reverrait jamais. Kold était revenu deux semaines plus tard avec la tête de Valyria et revendiqua le titre et le territoire. Le roi honora sa parole, car il était juste, mais il exigea un serment de fidélité à Kold et fit jurer à cette brute terrifiante qu’il défendrait sa lignée et la vengerait de ses ennemis. Personne à la cour ne prenait ce genre de serment au sérieux, encore moins si c’était dangereux, aussi nul ne s’attendait à ce qui se passa quand l’expédition elfe tua l’oncle d’Altonius II. Kold sortit de la ville qu’il avait fondée au cœur de la vaste forêt qui composait son duché et qu’il tentait de développer économiquement malgré sa propre réputation sulfureuse. Il alla droit à l’expédition elfe qui arrivait en vue de l’enclave et sans prévenir, défier quiconque ou même dire un mot, il traversa le rideau de gardes en semant la mort de sa longue épée noire, puis il saisit le chef de l’expédition, qui était un prince de sang impérial, par le col et leva contre sa figure le visage de l’elfe plus irrité que terrifié par cette apparition. Selon le témoignage d’un des rares survivants de la scène, qui se passait dans la grande tente de commandement, en présence d’une vingtaine de dignitaires elfes médusés, Kold s’adressa au jeune général en ces termes :
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