Chapitre 6
1048 Words
Chapitre 6 :
À peine franchi le seuil du manoir, Tristen fut happé par un vacarme de voix provenant du grand salon. Le brouhaha n’était pas celui d’une conversation légère, mais plutôt l’écho familier de débats familiaux qui, tôt ou tard, finissaient toujours en querelles.
En avançant, son regard se posa sur Grace, sa mère, dont le ton animé contrastait avec la douceur de Trevor, son mari, qui tentait de calmer l’orage avec une patience désarmante. Non loin d’eux, Gwen et Gavin, les jumeaux inséparables, se chamaillaient avec une telle énergie qu’ils auraient pu en oublier l’existence du reste du monde.
« Je vous jure qu’il n’acceptera jamais ! » lança Gwen, catégorique.
« Tu n’en sais rien. Tu crois pouvoir deviner ce qu’il pense ? » répliqua Gavin, provoquant aussitôt sa sœur qui, furieuse, s’agrippa à ses cheveux comme une enfant.
Les seuls à rester de marbre, impassibles devant ce chaos, étaient Herd et Snow, les grands-parents. Eux seuls conservaient la dignité d’un dialogue paisible au milieu de cette cacophonie.
« Puis-je savoir ce qui vous occupe autant ? » demanda Tristen d’une voix posée, mais suffisamment audible pour couper court aux disputes.
Tous se tournèrent vers lui. Gwen, avec son éternelle impulsivité, bondit aussitôt pour l’attraper par le bras et l’entraîner vers le cercle familial.
Installé près de Grace, il vit apparaître sur son visage ce sourire miroitant, une expression qui, chez elle, annonçait toujours quelque projet soigneusement ourdi.
« Mon fils adoré, tu sais bien que tu ne refuserais jamais une demande de ta mère, n’est-ce pas ? » souffla-t-elle en lui caressant les joues avec tendresse.
Tristen, mal à l’aise, chercha du regard le soutien de son père. Trevor, d’un simple mouvement de tête, l’invita à écouter jusqu’au bout. Gavin et Gwen échangèrent un coup d’œil complice, amusés de voir leur mère passer si vite de la fermeté au charme enjôleur.
« Tu remarques comme elle maîtrise l’art de changer de visage ? » murmura Gavin.
« C’est bien pour ça que papa cède toujours », répliqua Gwen avec une ironie résignée.
La conversation prit soudain un tour sérieux lorsque Snow, la grand-mère, prit la parole d’une voix solennelle :
« Tristen, nous avons trouvé une jeune femme qui pourrait parfaitement te convenir. »
Un silence épais suivit. Les yeux de Tristen, d’abord brillants, se voilèrent aussitôt. Il se redressa, prêt à se retirer :
« Grand-mère, je ne suis pas prêt à me marier. J’ai encore trop de projets en cours et je ne veux pas songer à cela pour l’instant. »
Il ne pouvait évidemment pas révéler que son cœur n’appartenait qu’à Ashley, même si cette histoire était marquée par le refus et la douleur.
Grace, qui jusque-là avait gardé sa douceur, laissa tomber son masque :
« Combien de temps comptes-tu nous donner cette réponse, Tristen ? »
Depuis deux ans, elle tentait avec Trevor de l’engager sur cette voie. À chaque fois, leur fils éludait la question, prétextant qu’il n’avait personne dans sa vie.
Le jeune homme soupira. Les yeux plongés dans ceux de sa mère, il répéta d’un ton ferme :
« J’ai besoin de temps, maman. Ma priorité reste mon travail. »
À peine ses mots prononcés, Gwen triompha en donnant une tape sur la tête de Gavin :
« Je t’avais bien dit qu’il dirait ça ! »
Mais Herd intervint aussitôt :
« Tu pourrais au moins accepter de rencontrer la jeune fille avant de rejeter l’idée. Une rencontre ne t’engage à rien. »
Trevor appuya :
« Ton grand-père a raison. Il n’est pas question de mariage forcé, seulement de te donner l’occasion de voir si quelque chose pourrait naître. »
Tous le fixaient, dans l’attente d’une réaction. Tristen, intérieurement, repensa à Ashley, à sa franchise blessante le jour où elle l’avait repoussé. Un goût amer lui revint en mémoire.
Pourtant, après un long silence, il acquiesça d’un signe de tête. Aussitôt, Grace retrouva son éclat et s’avança pour effleurer la joue de son fils :
« Tu verras, tu ne le regretteras pas. »
Il se contenta de serrer les lèvres sans répondre. Dans son for intérieur, une seule certitude subsistait : la seule femme qu’il désirait était celle qui l’avait rejeté deux ans plus tôt. Et jamais il n’irait contre son propre principe : ne rien imposer à une personne contre son gré.
Il s’éclipsa bientôt vers sa suite, décorée à son image : tons bleus apaisants, sobriété élégante. Après avoir sorti une chemise de nuit de son placard, il se dirigea vers la salle de bain. Mais un coup frappé à la porte interrompit ses gestes.
C’était Gwen. Elle entra sans attendre et s’assit nonchalamment sur le canapé.
« Franchement, pourquoi as-tu cédé cette fois ? » demanda-t-elle en arquant un sourcil.
« Que voulais-tu que je réponde encore ? Je n’avais plus d’argument valable. » Il haussa les épaules, résigné.
« Tu vas vraiment laisser tomber… elle ? » insista Gwen, son regard brillant d’intuition.
Tristen détourna les yeux, mais elle insista.
« Ne me dis pas que je me trompe, grand frère. »
Il comprit qu’il serait inutile de feindre.
« Ne le répète à personne… » céda-t-il enfin. « Mais je ne peux pas contraindre quelqu’un à m’aimer. »
Gwen connaissait son secret depuis longtemps. C’est en tombant par hasard sur des photos d’Ashley dans son tiroir qu’elle avait compris l’attachement profond de son frère.
« Pourtant, cette Ashley n’est plus avec… comment s’appelait-il déjà ? »
« Greg », souffla Tristen.
« Voilà ! Ce Greg est hors jeu. Alors pourquoi renoncer maintenant que la voie est libre ? »
Mais Tristen resta immobile, prisonnier de ses souvenirs. Elle l’avait déjà repoussé une fois, et il savait que sa détermination était sans faille.
Gwen, exaspérée, le contempla un instant.
« Tu es incroyable, toi. Un frère qui se saborde par peur d’essayer, et un autre qui s’enferme dans une relation ridicule… Quelle famille ! »
Avant de sortir, elle posa sa main sur son épaule :
« Je te le dis clairement, Tristen : si tu ne bouges pas, quelqu’un d’autre le fera à ta place. »
Elle quitta la chambre en silence. Un mince sourire de satisfaction flotta sur ses lèvres : elle avait planté la graine.
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