Et si on se perdait ?

Chapitre 7

Une fois arrivées, après une bonne minute à scruter les lieux, nous retrouvons enfin Yannick. Il était accompagné de Jasmine. Elle affichait un large sourire et dégageait cette tendresse propre aux gens amoureux.

Yannick, quant à lui, était élégant, bien habillé, toujours aussi beau… mais dans son regard, on devinait une grande fatigue. Sans réfléchir, je me précipite dans ses bras. Je le serre fort contre moi. Il m’adresse un sourire léger, presque forcé. Son moral est au plus bas, je le sens. Ensuite, j’enlace brièvement Jasmine. Elle est une bonne personne, et je le pense sincèrement.

Naelle, elle, se contente de croiser les bras. Elle ne fait même pas mine de saluer Jasmine. Je la connais trop bien : elle refuse de jouer l’hypocrite avec celle qu’elle considère comme une rivale.

Rapidement, une gêne s’installe. Jasmine me lance un regard étrange, presque méfiant. Naelle, de son côté, reste glaciale. Son hostilité est palpable. Je ne comprends pas sa réaction. Elle oublie que Jasmine est sa copine. L’ambiance est tendue, mais je préfère ne pas m’y attarder. Il n’y a que Yannick qui compte.

— J’ai envie de venir avec toi, dis-je spontanément.

— Tu peux venir, je te prends juste un billet, répond-il avec douceur.

À peine ai-je le temps de formuler une réponse que Naelle me coupe :

— Deux ! Pardon.

Jasmine se retourne vivement vers elle, visiblement surprise. Et embarrassée. Je ne lui en veux pas : même moi, j’ai été gênée par cette intervention soudaine. Yannick, fidèle à lui-même, garde son calme.

— Écoutez… c’est quand vous voulez, dit-il simplement.

À ce moment-là, une voix grésille dans les haut-parleurs de l’aéroport : l’annonce d’embarquement vient de retentir.

— Bon… faut que j’y aille.

Je lui fais un dernier câlin, plus long, plus intense. Jasmine aussi lui fait ses adieux, tout comme Naelle, bien qu’à contrecœur. Une fois qu’il disparaît de notre vue, Naelle et moi quittons l’aéroport. Mais avant de rentrer, on s’arrête au restaurant pour acheter des pizzas.

De retour chez moi, on s’installe dans le salon. Les boîtes à pizza ouvertes devant nous, mais l’appétit n’y est pas vraiment.

— Il avait l’air au bout de sa vie, le pauvre, — dit Naelle en croquant à peine dans une part.

— Je me sens incapable de l’aider… et ça me fait trop mal. Yannick a toujours été là pour moi. C’est lui qui me réconforte quand tout va mal ! soufflé-je, avant de fondre en larmes.

Je n’ai pas pu me retenir. Ces larmes, je les ai portées en silence depuis des jours. Je connais Yannick comme personne. Ce qu’il traverse aujourd’hui… je le ressens comme si c’était mon propre combat.

Être confronté à une situation pareille, c’est un vrai défi. Je ne l’avais pas vu dans un état semblable depuis la mort de son père. Il est pris au piège entre ses sentiments, ses obligations et les attentes de sa mère. Et ce qui le ronge le plus, c’est de ne vouloir blesser personne.

Naelle me prend dans ses bras pour me consoler.

— Mais… t’as bien dit qu’il peut épouser une autre, non ?

Je la regarde, complètement perdue. Elle enchaîne aussitôt, avec ce ton à la fois blessé et accusateur :

— Tu veux l’aider, mais tu me laisses pas le faire ?

— Arrête un peu, Naelle !

Je n’arrive pas à croire qu’elle profite encore une fois de la situation. Comme si tout tournait autour d’elle.

— Je veux juste l’aider, insiste-t-elle.

— Tu es obsédée par lui. Et Jasmine n’acceptera jamais ça, lui rétorqué-je, excédée.

— De toute façon, il faut bien que ce soit quelqu’un ! Il ne doit pas l’épouser, elle ! s’exclame-t-elle, les yeux brillants de colère.

Je pousse un long soupir. Toute cette histoire me fatigue autant qu’elle me tourmente. D’un côté, Naelle n’a pas tort. Elle serait la candidate idéale : proche de lui, sincère, et prête à tout. Mais je la connais. Elle finirait par s’attacher pour de bon… et ce serait elle, au final, qui sortirait brisée.

Un silence s’installe, tendu. Puis, une idée me traverse l’esprit, soudaine, audacieuse : aller voir mère Neslihan. Lui parler, lui faire comprendre que forcer Yannick dans ce mariage n’est pas la solution.

Je sais qu’elle ne m’écoutera probablement pas. Mais je me dois de le faire. Pour lui.

Deux jours plus tard

J’ai l’impression que c’est moi qui vis le problème à la place de Yannick. Je ne dors presque plus. Mon esprit est en boucle, toujours à chercher une solution. Même s’il est encore en voyage, on parle beaucoup. J’essaie d’être là pour lui, autant que possible, malgré la distance.

Aujourd’hui, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains pour aller voir mère Neslihan. Avant de sortir, j’ai aidé ma mère à préparer le déjeuner.

— Je peux te déposer, si tu veux, me propose-t-elle.

— Inutile. Je prends ma voiture.

— Mais qu’est-ce que tu vas faire là-bas, sachant que Yannick n’y est pas ? réplique-t-elle, suspicieuse.

— Je te l’ai déjà dit, je vais voir mère Neslihan.

Elle me regarde bizarrement. Son regard me met mal à l’aise.

— Pourquoi tu me regardes comme ça ? je lui demande, légèrement agacée.

— Pourquoi tu vas la voir, elle, alors que Yannick n’est pas là ? insiste-t-elle.

— Qu’est-ce que t’insinues, maman ?

— Je ne sais pas… à toi de me le dire.

Je reste silencieuse, mais je la fixe avec colère. Elle recommence avec ses insinuations, comme si c’était devenu un jeu.

— Maman, arrête. Je te l’ai déjà dit : entre Yannick et moi, il n’y a rien. C’est comme un frère pour moi.

— Entre une fille et un garçon, ce genre de relation n’existe pas. Ne sois pas naïve. Yannick, c’est un homme, après tout.

— Sauf qu’on se respecte. Je suis en couple, et lui aussi. Alors oublie ça, tu me gênes vraiment !

— Ne me parle surtout pas de ton Jordan ! s’exclame-t-elle, exaspérée.

Je ne comprends pas pourquoi tout le monde semble détester Jordan. Il n’a rien fait de mal, c’est un garçon très gentil.

— Maman, je suis amoureuse de lui, dis-je calmement.

— Ce garçon ne t’apportera rien de bon.

— Il me rend heureuse. Et c’est tout ce qui compte.

— Tu crois l’aimer… mais tu te trompes, ma chérie. Celui que tu aimes vraiment, c’est celui avec qui tu passes tout ton temps. Et tu sais très bien de qui je parle.

— Ne me parle pas de Yannick ! dis-je, à bout.

— Pourquoi tu veux pas que je t’en parle ? Y’a quelque chose que je dois savoir ?

— Oui.

— Alors dis-moi.

Pourquoi est-elle aussi curieuse ? C’en est presque oppressant.

— Mère Neslihan met la pression sur Yannick pour qu’il se marie très vite.

— Eh bien, moi je trouve que c’est une bonne chose de sa part. Il est temps que Yannick se range. Et toi aussi, tu es prête à te marier.

— Maman, arrête s’il te plaît !

— Elle m’a déjà dit qu’elle ne voulait pas qu’il épouse sa copine. Et je la soutiens.

— Maman !

— Tu ne le sais peut-être pas, mais Yannick supporte trop de choses à cause de cette fille.

— C’est leur histoire, ça ne nous concerne pas !

— Bien sûr que si, ça te concerne. Surtout toi. Si tu tiens vraiment à Yannick, tu ne peux pas le laisser l’épouser.

Je reste bouche bée. Même ma mère est contre cette union ? C’est trop bizarre. Tout le monde semble vouloir séparer Yannick de Jasmine.

— Tout le monde fait des erreurs, maman.

— Une fois de trop, c’est de l’abus.

— Ne la juge pas ! dis-je, furieuse.

— Je ne la juge pas. Je dis juste la vérité.

— Tu te comportes exactement comme Neslihan. Et c’est toxique.

— Et toi, tu es naïve ! Tu ne vois pas l’intérêt qu’il a pour toi, mais tu préfères le pousser vers une autre.

Je n’en peux plus. Ses propos me blessent, m’étouffent.

— Écoute. On arrête de parler de ça. Yannick, c’est comme mon frère. Personne ne pourra changer ça.

— Si tu le dis… Donne-moi les légumes que tu as épluchés.

Je lui tends l’assiette en silence, le cœur serré. Elle continue de me lancer des petits regards, des regards lourds de sous-entendus. C’est gênant. Et surtout, irrespectueux. Yannick et moi, on se considère comme frère et sœur. Et on est tous les deux en couple.

Pourquoi personne ne veut le comprendre ?

Je n'arrive pas à croire que Neslihan ait réussi à embobiner ma mère, au point qu'elles s'entendent toutes les deux pour détester Jasmine.

Aussitôt après avoir fini d’aider, je monte dans ma chambre pour me préparer.

À suivre…