Chapitre 12-3

2010 Words
— Quelqu’un est-il blessé ? interrogea-t-elle en entrant, les yeux aveuglés par la transition brutale du soleil à la pénombre. — Oui, père, répondit la voix d’Avelin. Aila sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Elle croyait pourtant avoir dévié le carreau ! Le jeune prince s’écarta et elle découvrit le bras entaillé de son suzerain, rien de plus. Elle soupira de soulagement. — Un des nôtres est parti quérir un médecin, indiqua un membre de la chaînerie. — Inutile, je m’occupe de soigner le roi. Pourriez-vous mettre une pièce tranquille à notre disposition ? — Par ici, venez, la guida un autre homme. Elle s’approcha du roi. — Vous sentez-vous capable de vous lever ? — Sans aucun souci, répondit-il, en joignant le geste à la parole. Ils se retrouvèrent dans une petite chambre lumineuse à l’arrière de la maison. Elle enleva le tampon en tissu qui cachait la blessure et découvrit une coupure moyennement profonde. — Avelin, quelqu’un a-t-il récupéré le carreau ? — Non, je ne le pense pas. — Mettez des gants, arrachez-le et ramenez-le-moi. Je dois vérifier s’il n’est pas enduit de poison. Avelin sortit aussitôt. Aila s’assit près du roi, prenant le temps d’examiner la plaie. Quand le prince revint avec le carreau, elle s’en saisit, commença par le humer, puis le fit jouer dans la lumière : — Je n’observe ni odeur ni trace. Bonne nouvelle ! Il était juste destiné à tuer sans vous empoisonner. Elle sortit sur la table plusieurs flacons, une b***e et un tampon. Un sourire taquin sur les lèvres, Avelin lui tendit une bouteille d’alcool qu’il avait cachée derrière son dos. — Excellente idée ! s’exclama-t-elle. Elle s’en versa sur les mains pour les nettoyer, puis vérifia attentivement la plaie. — Elle est bien nette, il me reste à la suturer. Comme je n’ai jamais aimé coudre, je vais utiliser des insectes munis d’une pince fine et très résistante, une trouvaille d’Hamelin, le mage de mon comté. Plaçant le bras du roi dans la lumière, Aila commença son laborieux travail et ne se redressa que lorsqu’elle eut fixé une quinzaine de petites pinces. Elle appliqua ensuite un onguent à l’odeur âcre sur le bord de la plaie, sans contact direct avec elle, puis massa la peau en mouvements circulaires. — Cela devrait permettre d’éviter une infection. Je referai votre pansement ce soir. Elle termina en versant quelques gouttes d’un liquide jaune sur l’entaille pour limiter la douleur, avant d’apposer le tampon et d’enrouler le bandage. Le souverain avait observé un profond silence pendant toute son intervention. Elle rangea son matériel avec application, puis elle s’agenouilla devant lui, tête baissée : — Mon roi, j’ai échoué à vous protéger et l’assassin m’a échappé… Les mots suivants se bloquèrent dans sa gorge. Elle attendait la sentence qu’elle méritait. — J’aurais aimé, chère Aila, que vous fussiez là quand ma femme et ma fille ont été tuées. J’ai la certitude que, sous votre protection, la mort ne nous aurait pas séparés… Elle n’osait pas relever la tête, doutant du sens des paroles du souverain. — Aila, regardez-moi. À contrecœur et la gorge nouée, elle leva son visage. — La vie devrait m’avoir quitté à présent. Cependant, grâce à vous, je m’en sors avec une plaie bénigne. De plus, vous devez avoir des doigts de fée, car la douleur s’est évanouie au contact de vos mains. Pour ce qui est de la fuite de celui qui a voulu me tuer, aucun de mes soldats, même le meilleur, n’aurait pu le rattraper et encore moins lui résister. De ma position, j’ai assisté à votre affrontement, stupéfiant, c’est le moins que l’on puisse dire… Je n’avais jamais vu un de mes hommes se battre de cette façon… De forces égales, il semble légitime que ni l’un ni l’autre n’ait eu le dessus dans ce combat. Cependant, pour moi, vous avez gagné, car je suis en vie. Pour conclure, j’ai hâte de mesurer les progrès d’Avelin au kenda ! Nous rentrons et je vous fais grâce pour ce soir d’une autre démonstration, mais demain, pas question d’y couper, nous nous rendrons tous au manège ! Quel drôle d’après-midi… ! Songeuse, Aila regardait les branches brûler dans la cheminée de sa chambre. Depuis toute petite, elle avait toujours adoré cela. Tout y était une source d’apaisement comme le crépitement du bois sous l’effet de la chaleur. Elle adorait l’entendre siffler, gémir ou craquer dans l’âtre. Et puis toutes ces flammes mouvantes la fascinaient. Comme des êtres doués de vie, elles dansaient, virevoltaient, parées de leurs couleurs chaudes et chatoyantes. Ses yeux rivés sur elles, Aila ne bougeait plus. Bientôt, pourtant, elle devrait aller vérifier la blessure du souverain et, avec un peu de malchance, le roi devait déjà l’attendre dans son bureau. Elle finit par se secouer et attrapa sa ceinture. Comme le jour précédent, Sérain, lui aussi, avait le regard perdu dans les flammes de sa cheminée quand elle entra, et elle en sourit. Qu’importait la position sociale, roi ou paysan, le feu exerçait le même attrait sur les rêveurs éveillés… Elle s’approcha doucement, hésitant à signaler sa présence, et sortit de sa ceinture ce dont elle avait besoin, guettant une réaction de roi, qui tardait à venir. Enfin, il parla : — Comment avez-vous détourné la flèche qui filait droit vers mon cœur pour qu’elle achevât sa course en effleurant juste mon bras ? Elle ne s’était pas attendue à cette question. Elle ne sut que répondre. Sérain leva les yeux vers elle et les plongea dans les siens comme s’il voulait lire au fond d’elle-même. Elle finit par se lancer : — Je crois que je l’ai déviée par la pensée, mais je n’en suis pas sûre… — Et que faites-vous d’autre dont vous n’êtes pas sûre ? Aila avala péniblement sa salive : — Par les pensées, je survole les lieux où je vais, je ressens le danger… Je crois que c’est tout. Elle faillit ajouter « mais je ne suis pas sûre ». — Combien de lieux avez-vous survolés ? — Deux. La première fois, quand les mercenaires de Bascetti nous ont attaqués. Et la seconde, aujourd’hui. — Et en ce qui concerne le déplacement des objets ? — J’ai planté cinq flèches en même temps dans le cœur de cinq hommes différents… — Et quand vous vous battez au kenda ? Surprise, elle fronça les sourcils : — Vous croyez que là aussi, ce…, elle hésita, ce n’est pas tout à fait moi ? — Je l’ignore, Aila. Mais vous nous donnez une impression d’être un oiseau. Vous volez dans les airs. Alors, je m’interrogeais… Elle secoua la tête. — Cela a toujours été ainsi, je ne l’ai jamais envisagé autrement… Les questions l’avaient sérieusement ébranlée. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Elle sentit les larmes monter à ses yeux, mais se força à rester impassible sous le regard du roi. — Tous ces talents que vous développez sont donc nouveaux ? Elle hocha la tête, sans répondre à l’interrogation. — Et vous les utilisez quand vous le désirez ? — Non, je ne contrôle absolument rien. Je suis incapable de déplacer le moindre objet dans cette pièce à l’instant où nous parlons. Toutefois, dans l’urgence, je ne réfléchis pas et cela se réalise malgré moi. Aila se sentait le désespoir monter de plus en plus. Qu’allait penser le souverain de ces étranges talents qu’elle ne dominait pas ? — Occupez-vous de mon bras à présent. Voyons si la plaie guérit comme vous le souhaitez. Elle se rinça les mains, défit le pansement, ôta le tampon et tâta avec douceur la blessure qui, en quelques heures, s’était nettement cicatrisée. Elle fut la première surprise et en fit part au roi : — Votre entaille se referme très vite. À ce rythme, vous n’aurez plus longtemps besoin de mes services. Il faudra veiller, lorsqu’elle sera moins sensible, à bien masser la cicatrice pour qu’elle retrouve une certaine souplesse. Elle promena ses doigts délicatement sur les chairs, ajoutant onguent et désinfectant. — Panser de petites plaies fait aussi partie de votre panoplie de talents ? Elle leva vers lui ses yeux, la bouche entrouverte, elle ne savait que répondre : — Non ! Enfin, je ne crois pas. Je n’ai rien accompli de particulier… — Mais vous avez bien déclaré que ma blessure guérissait plus vite que la normale ? — Oui, mais… Ce fut trop. Les larmes se mirent à couler sur les joues d’Aila sans qu’elle pût les contenir. — Pourquoi pleurez-vous ? — J’ai l’impression de devenir folle, lâcha-t-elle dans un souffle, incapable d’en dire plus… — Je suppose que l’on a de quoi être déstabilisé lorsqu’on réalise des choses que l’on ne comprend pas soi-même. Mais vos actions se révèlent bénéfiques ! Vous m’avez sauvé, ne l’oubliez pas ! Et, même si cela vous dépasse, vos aptitudes se manifestent toujours de la bonne façon au bon moment. Cela devrait vous rassurer. Vous ne savez peut-être pas ce que vous faites, mais vous le faites bien. Personnellement, je suis entouré de conseillers, censés tout maîtriser et qui, pourtant, cafouillent à longueur de temps ! Je pourrais les envoyer prendre des cours avec vous ! Aila esquissa un sourire entre ses larmes. — Parfois, jeune fille, il faut des mois et des années pour comprendre ce qui nous arrive. Nous restons à nous demander pourquoi et comment. Est-ce vraiment une question primordiale quand on sait que cela marche, sans connaître ni pourquoi ni comment ? D’autant plus que, pendant que nous nous interrogeons sur nous-mêmes, nous ne progressons pas… Or, aujourd’hui, nous n’avons pas le droit de demeurer immobiles et de tergiverser. Nous ne devons pas patienter jusqu'à ce que les événements nous heurtent de plein fouet pour réagir. Notre devoir est de nous préparer et d’avancer. Comme vous, j’ignore ce que je vais pouvoir réaliser pour sauver mon pays. Je ne connais ni la réponse, ni le pourquoi, ni le comment. Mais j’ai décidé de ne pas rester les bras croisés en attendant que l’on vienne me tuer ! Il la regarda avec intensité, puis, prenant le menton de la jeune fille entre ses mains, il continua : — Un roi se doit de tout savoir. Alors, écoutez bien ce que je vais vous dire. J’ignore d’où proviennent vos dons, mais je suis certain de deux choses : ils ne font pas de vous une folle et si nous arrivons à sortir de tous nos ennuis, ce sera grâce à eux et à l’emploi que vous en ferez. J’en suis convaincu, Aila. Elle le remerciait d’un signe de tête quand la porte s’ouvrit soudainement. La voix d’Hubert surprit Aila qui sursauta. Lui tournant le dos, elle essuya discrètement ses larmes. — Père, je vous croyais seul. Je vous présente mes excuses d’être entré si brusquement, mais je venais d’apprendre que vous aviez été blessé et je m’inquiétais. Sérain se leva et alla serrer son aîné dans ses bras. — Me voici bien heureux de te revoir. Tout va bien. Je me porte comme un charme grâce à cette demoiselle qui m’a sauvé la vie. Un bon choix que tu as effectué là, mon cher fils, un très bon choix… Aila vit Hubert rougir légèrement, car, sans la présence du benjamin de la famille, elle n’aurait probablement pas été choisie… En tout cas, pas par Hubert, à ce moment-là… — Ma blessure, maintenant bien nette, guérit de plus en plus vite. Au fait, jeune fille, je voulais vous poser une question. Pourquoi passez-vous vos mains à l’alcool avant de pratiquer des soins ? — C’est pour éviter de te carboniser le bras, cher père, expliqua Avelin qui venait de les rejoindre. Ma garde du corps a été très explicite ce sujet, mais, en général, elle choisit la facilité et utilise l’eau-de-vie. C’est plus facile à boire ensuite ! Aila qui, au début de ces propos, avait levé les yeux au ciel, termina en lui jetant un regard revanchard. — Et plus sérieusement ? renchérit Sérain. Cette fois-ci, elle répondit directement : — Hamelin, le mage de mon château et mon père, Bonneau pensent tous les deux que nos mains, quand elles sont souillées, multiplient les sources d’infection pour les plaies. Bonneau l’a souvent observé en soignant les chevaux et moi aussi. Hamelin partage cette opinion et moi, je l’applique. — Cela me rassure encore plus sur l’évolution de ma blessure. Je vous accorde toute confiance. Allons manger ensemble. Je suis un père heureux de voir réunis autour de moi deux de mes fils, même si j’aurais bien aimé voir le dernier… Une voix inconnue résonna soudain : — Me voici, père ! — Adrien, quelle surprise ! Les trois hommes se précipitèrent vers le quatrième qui venait de rentrer et tous se congratulèrent. Aila décida de s’éclipser discrètement, hasardant à peine un coup d’œil au nouvel arrivant. Parvenue à la salle à manger, elle entra et reconnut la silhouette mal à l’aise qui patientait devant le feu. Elle devait avoir la même allure empruntée ce midi. — Aubin ! s’écria-t-elle, se ruant vers lui. Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. — Alors, raconte ! Comment vont Barnais et sire Airin ? Comment cela s’est-il passé avec Amandine ? Comment vont-ils tous ? — Aila ! Arrête-toi une seconde, tu veux, que je puisse avoir le temps de répondre à tes questions ! Tout le monde va bien et a demandé de tes nouvelles. Ils étaient tous soulagés d’apprendre que ta première mission s’était parfaitement déroulée et que tu avais dépassé toutes les espérances. J’ai rapporté des petits présents pour toi de la part de Bonneau, d’Hamelin, de dame Mélinda et d’Amandine. Je te les donnerai après le repas. Pour le reste, tu ne vas pas le croire ! Barnais a…
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