Chapitre 13-2

2167 Words
— Messieurs, préparez vos plus beaux atours ! Le bal aura lieu avec sa promise ! Tous se mirent à applaudir, même le roi, et l’ambiance s’anima. Le conseil s’achevait et le plus jeune des princes se dirigea vers Aila. — Toujours partante pour une visite guidée de la ville ? — Plutôt deux fois qu’une ! Est-ce que je peux me changer ? questionna-t-elle en montrant sa tenue. Puis, alors qu’une idée dérangeante lui traversait l’esprit, elle se tourna vers son frère qui sortait. — Aubin ! appela-t-elle, comment se fait-il que toi, tu portes tes vêtements habituels ? — Juste un tout petit souci de taille ! J’ai récupéré ceux de Tristan au lieu des miens ! Avec un peu de chance, je devrais les recevoir cet après-midi. Finalement, elle renonça à se changer et gagna les écuries avec Avelin. La balade dans la ville haute, encore protégée de trop de pauvreté, fut plaisante au milieu des rues animées et accueillantes. Toutefois, le prince semblait promener toute la misère du monde avec lui. Ils retournèrent vers la place du furet où Aila exprima le désir de suivre par les pavés le chemin qu’elle avait emprunté sur les toits. Ils longèrent tous les deux le passage par lequel elle était revenue vers la chaînerie le jour précédent. — C’est par là que je suis redescendue. Vous permettez ? Elle fixa son kenda et commença à escalader une façade entre deux murs, essayant de repérer par où son adversaire avait pu s’échapper. Elle finit par découvrir entre les deux maisons, une petite faille qui allait en s’élargissant et observa des cailloux fraîchement détachés. Obligatoirement, une personne s’était glissée dans cet espace très exigu… Quel être minuscule avait réussi à se faufiler par là ? En tout cas, pas un homme aux épaules larges et carrées ! La silhouette fluette de son adversaire lui revint en mémoire. Était-ce celle d’un adolescent ou d’une jeune femme ? Aila pesa le pour et le contre, puis renonça à pénétrer dans l’étroit passage et poursuivit son ascension, espérant voir de là-haut où ce dernier menait, hélas sans succès. La faille ne débouchait pas à l’air libre. Alors peut-être dans la maison ? Aila ne put pas vérifier son hypothèse; elle n’allait tout de même pas rentrer dans une demeure sans permission. Elle redescendit de l’autre côté de l’habitation qu’elle contourna pour rejoindre Avelin. — Je n’ai pas mis trop de temps ? Il secoua la tête. — Vous n’êtes pas trop déçu de rester à Avotour, alors que votre frère et moi allons partir en Hagan ? — Si, terriblement. Depuis maintenant deux ans, je m’escrime à apprendre cette fichue langue et je bute encore dessus ! Même Hubert y est arrivé avant moi ! Comment avez-vous pu la retenir ? — J’ignorais qu’Hubert maîtrisait le hagan avant la réunion avec votre père. Est-il toujours aussi réservé sur ses compétences ? — Il en sait tellement que je crois que, en certaines occasions, il a envie de se faire oublier ! — Je pourrais vous entraîner à parler hagan. Je le fais bien au kenda, alors pourquoi pas au hagan ? — Vous pourriez ! Je veux dire, vous le feriez pour moi ? Il n’avait jamais ressemblé autant à un enfant ! Le voir battre des mains de plaisir ne l’aurait pas étonnée… Elle ne parvenait vraiment pas à déterminer son âge. Il mêlait de délicates réactions enfantines avec des réflexions subtiles, un peu comme Aubin. Voilà pourquoi elle s’était attachée à lui… — Quel âge avez-vous Avelin ? Il eut l’air vexé par sa question. — Vous connaissez bien le mien et cela ne me dérange pas, enchaîna-t-elle. — Bientôt dix-huit ans, annonça-t-il fièrement. — Dans sept mois environ ? Le visage du jeune prince se crispa. Boudeur, il précisa : — Huit, dans huit mois… — Alors ça, c’est extraordinaire, nous sommes presque du même âge ! Ils éclatèrent de rire et poursuivirent leur visite vers la partie basse de la ville. Au fil de leurs pas qui les éloignaient du château, l’habitat se dégrada en un rien de temps, de même que les conditions de vie. Aila observa à nouveau cette misère de plus en plus grande qui régnait dans ces quartiers, sous le soleil, cette fois… À moitié rassuré, Avelin n’empruntait que des rues larges et proposa rapidement de faire demi-tour, tandis que, tranquille, elle le serrait de près, sans percevoir de danger. Sur le chemin du retour, une toute petite maison attira son regard. Rien de particulier ne la démarquait des autres, sinon la présence d’un toit en bon état et, pourtant, Aila se sentait irrésistiblement appelée par elle. Elle la suivit des yeux, se retournant même pour la conserver dans son champ de vision jusqu’au moment où ils tournèrent dans une voie perpendiculaire. Elle mit tous ses sens en éveil pour mémoriser sa position dans ce dédale de rues. Elle y reviendrait, elle n’en doutait pas… Ils arrivèrent juste pour le repas. Après le déjeuner, Aila recommanda un entraînement au kenda. Cette idée plut à tout le monde et chacun alla se préparer. Elle prit le temps de vérifier la blessure du roi avant de retrouver ses partenaires au manège pour commencer la séance. Sérain avait insisté pour y participer malgré son bras. Dépourvu de kenda, elle lui prêta le sien, l’invitant à en trouver un à Meillan, dans le comté de Melbour, s’il le désirait. Elle expliqua le travail qu’elle avait réalisé avec son plus jeune fils, puis associa les combattants deux par deux : Avelin contre Aubin et Hubert contre le roi. Elle se contenta de les amener à effectuer des combinaisons simples. Successivement, elle en prenait un pour l’affronter, tandis que l’autre regardait, avant d’inverser les rôles. Avelin se débrouillait plutôt bien avec Aubin pour anticiper les attaques et les parer. Il commençait à piger le truc, même si ce n’était encore qu’un début. La séance terminée, ils se séparèrent. Retournant vers le château, Aila, songeuse, n’arrivait pas à déterminer si repartir en mission avec Hubert la rendait heureuse. Effectivement, ils avaient réussi à se supporter de manière raisonnable, mais toute décision donnait lieu à des emportements de part et d’autre. Pour elle, c’était normal, elle était comme cela, mais dans le cas du prince ? Même devant les bêtises de son jeune frère, il restait calme ; elle était donc la seule qui le faisait sortir de ses gonds… Et puis ce fichu bal où elle devrait de nouveau porter une robe et ressembler à une princesse… Une nouvelle fois, elle allait danser et jouer son rôle de promise. Catastrophe ! Tout ce qu’elle détestait ! Au moins, Élina saurait quoi faire pour choisir tenue et coiffure. La journée s’achevait. Aila retourna tôt dans sa chambre pour s’isoler. Elle s’allongea dans son lit quand l’idée de vérifier si son livre des fées était encore là lui traversa l’esprit. Elle passa sa main sous l’oreiller pour l’en retirer et contempla une nouvelle fois sa couverture aux nuances changeantes, presque vivantes. Elle l’effleura d’un geste et glissa dans le paysage. Le battement de son cœur s’accéléra, elle était revenue au pays des fées… Pivotant sur elle-même, elle ne savait comment réagir lorsqu’un nuage de papillons dorés l’enveloppa. Le souvenir de la nuit chez Argue la frappa de plein fouet. Voilà où elle l’avait vu ! Elle s’en souvenait à présent ! Les papillons s’étoffèrent à vue d’œil et elle se retrouva entourée, non plus par de minuscules petits êtres dorés, mais par des fées magnifiques à taille humaine. Bouche bée, elle observa leur métamorphose, admirant chacune d’elles. Toutes la fascinaient… Avec amusement, la jeune fille constata que si les fées grandissaient, ce n’était pas le cas de leurs ailes dorées qui restaient miniatures à battre lentement dans leur dos. — Bonjour, dit timidement Aila. — Tu arrives bien tôt aujourd’hui, il n’est que… Saisie, Amylis s’arrêta : — Mais tu ne dors pas ? — Non, je devrais… ? répondit-elle, perplexe. — Non. C’est parfait ainsi. Je me présente, je m’appelle Amylis et voici mes sœurs. Nous attendions ta visite depuis longtemps et nous sommes heureuses de te rencontrer. Aila ne savait plus où regarder, son regard glissant d’une fée à l’autre, d’une silhouette gracieuse, que parait une robe fluide, à une autre. Elle admira leurs yeux en amande aux couleurs fluctuantes, leurs cheveux longs aux nuances claires qui s’associaient en boucles entremêlées ou en mèches lisses et souples. — Est-ce moi qui dois sauver votre magie ? demanda-t-elle, toujours aussi impressionnée. Les boucles châtain foncé d’Amylis semblaient flotter autour de son visage et ses yeux si lumineux fixèrent Aila avec tendresse. — Non, tu n’es malheureusement pas notre héritière, mais tu représentes notre seule chance de la trouver… Alors, nous allons bien prendre soin de toi pour que tes pas te mènent vers elle avant notre disparition ! Aila avait le sentiment d’avoir déjà vécu cette scène et, dans sa tête, tout s’embrouillait. Perturbée, elle se força à écouter la fée qui poursuivait : — Comme tu portes tous nos espoirs et que nous souhaitons t’accompagner dans ta quête, nous allons partager notre magie avec toi. Nous en sommes les huit représentantes, chacune avec un pouvoir spécifique. Voici Tétys, la fée Lumière. La plus petite des fées, avec des prunelles flamboyantes, s’approcha d’Aila et lui sourit. — Je sais créer le feu ou les éclairs. Je peux retarder légèrement la nuit ou le jour, ou l’avancer. Je peux réchauffer ou refroidir et même jouer avec le soleil. Une autre fée dont les yeux dorés rayonnaient de douceur intervint : — Je m’appelle Lysaille et je suis la fée Terre. Aila sentit la bonne odeur du champ tout juste retourné monter à ses narines. Baissant ses paupières un instant, elle inspira à fond, s’imprégnant de sa force et de sa richesse. Son regard glissa sur la magnifique chevelure auburn de la fée avant de saluer la suivante. — Et moi, c’est Oulys. Je suis la fée Sève, se présenta-t-elle, juste à sa droite. Des mèches châtain aux reflets cuivrés retombaient autour de ses yeux d’un vert étincelant. Tout autour d’elle se développa un cocon de végétation, des branches d’abord, entrelacées, puis les feuilles, de la petite pousse au bouquet émeraude et frémissant et enfin les fleurs, délicates et parfumées, qui s’épanouirent en quelques secondes. Pétrifiée, Aila ne quittait pas la scène du regard, partagée entre le rêve et la réalité. — Je suis Fylis, la fée Onde. Un sourire doux fit pétiller ses yeux dont la couleur changeait à chaque instant, comme la mer en mouvement. Repoussant ses boucles blondes, elle créa d’un geste un geyser d’eau qui retomba en fines gouttes de pluie autour d’elle. La suivante s’exprima d’une voix grave, presque surprenante pour une personne aussi fluette : — Je me nomme Errys et je suis la fée Mère. Je prends soin de tous mes enfants. Je leur offre la vie, je les soigne, je les fais grandir et je les guide quand l’heure de partir est venue. Avec une infinie douceur, elle toucha le bras d’Aila qui oublia toutes ses appréhensions. La jeune fille plongea son regard dans le sien, attirée par leurs reflets mouvants aux teintes mordorées. — Je suis la fée Souffle, je m’appelle Myle et le vent m’accompagne, expliqua la fée à sa droite. — Moi, je me nomme Blysse, la fée Vie. Aila se retrouva entourée par une multitude d’êtres vivants qui gambadaient autour d’elle sur une immense sphère en mouvement. C’était magnifique ! Incroyable, absolument impossible et tellement réel… — J’écoute et j’entends tout ce que me disent les êtres vivants, poursuivit Blysse. — Et pour terminer, je suis Amylis, la fée Esprit. Elle fit naître dans sa main une fleur qui se transforma en oiseau, avant de venir se percher sur l’épaule d’Aila et de disparaître dans un nuage de paillettes étincelantes. — Allons nous installer sur la rive du lac, nous pourrons nous détendre et parler, proposa la fée Esprit. Suivant les fées, Aila déboucha sur une clairière et le panorama qui se dévoila à elle la saisit. Aussi loin qu’elle pouvait observer, un lac, miroitant comme une pluie d’étincelles, s’étendait à perte de vue. De majestueux arbres séculaires aux branches pendantes encadraient ce paysage paradisiaque. Émerveillée, son regard ne cessait de passer d’un endroit à l’autre jusqu’au moment où elle se résigna à rejoindre les fées, disposées en cercle sur un tapis d’herbe et de fleurs. Ces dernières avaient laissé une place vacante où Aila s’assit en tailleur. Étrangement, cette scène dégageait une impression de déjà vu et, pourtant, ce n’était pas possible… — Maintenant, Aila, nous allons te raconter notre histoire, mais en tant que fée Esprit, je m’adresserai directement au tien, associée à mes sœurs, ce sera plus simple et cela te donnera un aperçu de ce que nous pouvons réaliser. Ce fut ainsi qu’Aila découvrit la douceur de vivre que les fées offraient aux hommes par leur présence. Ensemble, ils vivaient dans une telle harmonie que, même à travers les images qui défilaient dans sa tête, elle perçut l’indéfectible amour qui les unissait. Leurs talents s’y succédaient comme une vague de bonté qui déferlait dans la vie des humains. Elle eut une vision fugitive des amants interdits et de la fulgurance de leur passion qui les poussa à dépasser leur peur naturelle de la mort. L’abnégation totale d’elle-même qu’elle détecta dans le regard d’Eery la troubla profondément. Sa gorge se noua quand, au milieu des images de l’histoire des hommes et de leurs amies, le visage de sa mère apparut l’espace d’un instant avec le même regard passionné… Mais était-ce bien sa mère ? Elle revécut le dernier conseil où les fées décidèrent de devenir invisibles aux yeux des hommes et où ceux-ci se résignèrent. Vint le moment où ils assistèrent à la lente disparition des fées de leur perception visuelle, tandis qu’une immense souffrance les envahissait, détruisant en eux tout bonheur de vivre. Ils avaient partagé tant, pendant si longtemps que leur absence creusa un gouffre à leurs pieds. Ils vacillèrent devant lui, hésitant à y sombrer, puis, peu à peu, s’en éloignèrent, sauvés par l’oubli. Elle versa une larme quand elle réalisa que, pour survivre à leur perte, les êtres humains devaient oublier les fées et qu’elles mouraient de cette indifférence ! La dernière image de toutes ces fées endormies pour l’éternité dans une grotte gigantesque se grava dans sa tête comme une vérité absolue, leur disparition était irrémédiable.
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