Chapitre 9-3

1005 Words
Hubert vint la réveiller en début d’après-midi. — J’ai pensé que vous ne préféreriez pas manger en bas, alors je vous ai fait préparer un plateau. Si vous désirez grignoter quelques fruits… — Êtes-vous allé déjeuner avec eux ? s’enquit Aila qui reprenait progressivement ses esprits. — Je n’ai pas voulu abandonner Airin qui s’est mis dans tous ses états. J’ai aussi promis de l’assister quand il accueillera Carustre. Ce serait bien que vous soyez là également. Vous en sentez-vous capable ? Astria revenait avec force dans les pensées d’Aila, engourdie par le sommeil et une larme se forma le long de sa joue qu’elle essuya sans réfléchir. — J’y serai. — Aila, nous repartirons demain. Quelqu’un a cherché à vous tuer et je n’accepterai pas de risquer votre existence un jour de plus. — Non, impossible, nous devons finir notre mission. Il en va de la vie de Barnais, des nôtres et de notre pays. — C’est vraiment ce que vous voulez ? — Oui. Je sais tout ce qui a été dit sur Barnais, mais je pense sincèrement qu’il vaut mieux que ce qu’il a offert jusqu’à présent de lui-même. Laissons de côté sa relation avec les femmes et considérons l’essentiel : il peut devenir un allié, j’en mettrais ma main au feu. Au fait, à propos de vie, vous avez sauvé la mienne. Merci. — Nous avons échangé nos rôles, juste pour voir. Je ne suis pas mal non plus en garde du corps ! Elle esquissa un sourire : — Peut-être mieux qu’en prince ! Hubert se raidit. — Excusez-moi, sire Hubert, pour cette plaisanterie de mauvais goût, essaya-t-elle de se rattraper. J’en suis désolée… Il sourit. Aurait-il appris l’ironie ? — Il n’est jamais trop tard pour devenir drôle ! renchérit-il, puis, changeant de ton, il ajouta : — À moins que ce soit vous qui soyez dans le vrai… Elle posa sa main sur la sienne. — Non, sire Hubert, s’il y a bien une chose dont je ne doute pas, c’est de votre compétence en tant que prince. — Merci, Aila. Elle le sentit sur le point de prononcer quelques mots de plus, mais il s’abstint et se retira, cédant la place à Élina qui entreprit de gommer la nuit presque blanche d’Aila. Sire Carustre arrivait dans la cour où l’attendaient Airain et Barnais qui le saluèrent. Le châtelain présenta ensuite sobrement le prince et sa promise. Tournant sur lui-même, le visiteur demanda : — Où est Astria ? J’aurais juré qu’elle aurait accouru pour se jeter dans mes bras ! — Venez dans mon bureau, sire Carustre, nous devons parler, dit doucement Airin. — Vous me paraissez tous d’une humeur bien maussade. Y aurait-il un problème avec Astria ? — Venez dans mon bureau, sire Carustre, insista Airin. Tandis qu’une inquiétude légitime se peignait sur son visage, Carustre se laissa entraîner par Airin. La porte du bureau à peine refermée, il se racla la gorge. — Est-il arrivé quelque chose à Astria ? — Oui, sire Carustre, elle s’est tuée hier dans un accident, énonça simplement Hubert. Carustre accusa le coup; il devint blême, mais refusa de s’asseoir. — Que s’est-il passé ? — Elle est partie toute seule se promener sur une falaise à la nuit tombée et elle s’est cassé le cou dans sa chute. — Mais pourquoi a-t-elle fait cela ? Et pourquoi l’avez-vous laissée aller là-bas ? Le visage de Carustre reflétait la complexité de ce qu’il ressentait. La colère et l’incompréhension le disputaient au désarroi le plus profond. — L’endroit est dangereux et interdit, alors, en plus, seule et de nuit, nous ne l’aurions jamais autorisée à gravir la falaise. Elle s’est enfuie sans notre permission, précisa Airin. C’est dame Aila, amie avec Astria, qui a donné l’alerte et qui est partie avec sire Hubert et Barnais pour la rechercher. Malheureusement, ils sont arrivés trop tard pour la sauver. — Par les fées, ma fille est morte toute seule… — Non, sire Carustre, j’étais auprès d’elle quand elle a rendu son dernier soupir, en paix et sans souffrance, intervint Aila. — Dame Aila ? Je ne me souviens pas qu’elle m’ait jamais parlé de vous dans ses lettres. — C’est normal, je venais d’arriver, mais nous sommes rapidement devenues proches. — Alors, savez-vous pourquoi elle était là-bas ? demanda Carustre qui s’effondrait de plus en plus à chaque mot. Ses yeux restaient secs, mais il tanguait d’un pied sur l’autre, comme éperdu de douleur. — J’ai fait une promesse à Astria, sire Carustre et je vais la tenir. La falaise aux amoureux est réputée comme un endroit de vœux. Astria, impatiente de votre venue, en avait formulé un. Quand elle a su votre arrivée prochaine, je suppose qu’elle a voulu remercier la falaise de l’avoir exaucé. Elle était si naturelle, si spontanée qu’elle n’a pas pensé à mal en s’y rendant… — Par les fées, ma fille est morte, répéta Carustre, en s’asseyant finalement sur la chaise mise à sa disposition. Pourriez-vous me laisser seul, je vous prie… ? Tous sortirent, sauf Aila, qui s’approcha de lui. — J’ai un message à vous transmettre de la part d’Astria. Elle était désolée de vous causer ce chagrin et elle vous aime. — Aimait… — Je préfère « aime », parce que l’amour sincère survit à la mort et qu’il sera autour de vous aujourd’hui, demain et jusqu’à votre propre décès. Elle restera ainsi toujours à vos côtés. Carustre la remercia d’un geste de la tête et Aila referma la porte derrière elle, le laissant seul avec son immense douleur. Elle remonta vers sa chambre, ayant elle aussi envie de s’isoler. — Vous lui avez menti ? C’était plus une affirmation qu’une question. Hubert la regardait et elle ne décela aucun reproche dans sa voix. — Oui, j’ai menti, admit-elle. — La vérité était donc si cruelle pour que vous, si droite, y renonciez afin de protéger une jeune fille, de surcroît décédée ? et un père ? — Et plus que cela encore… Elle mit sa tête entre ses mains. Elle se sentait tellement coupable comme si elle avait renié tout ce que Bonneau lui avait enseigné. — Alors, n’ayez aucun regret, vous avez bien fait. La vie comporte des moments où nous devons dévier de notre route avant d’y retourner. Ces chemins parallèles existent, car nulle part il n’est écrit que nous devons avancer uniquement en ligne droite. Vous avez respecté le serment que vous lui avez prêté, Astria ne savait sûrement pas ce qu’elle exigeait de vous, et vous avez fait preuve d’un immense courage. Si jamais vous avez besoin de moi, je serai en bas, je descends réconforter Airin et Barnais. Eux aussi se sentent terriblement coupables et, probablement, à plus juste titre que vous. Il quitta la pièce. Il ne lui avait posé aucune question et elle lui en était reconnaissante. Mais, maintenant qu’il était parti, sa tête s’emplit à nouveau de toutes les images d’Astria jusqu’à sa mort. Anéantie, Aila se précipita sur son lit et éclata en sanglots.
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