Depuis l’éclipse, le monde n’est plus tout à fait le même.
Chaque élément semble avoir été touché, transformé par l’énergie que Neïly a libérée. Les arbres, immobiles et silencieux auparavant, ont pris des reflets argentés, comme si leur sève reflétait la lumière des étoiles. Les feuilles bruissent avec une mélodie douce et inconnue, un chant ancien qui s’élève entre les troncs, mêlé au murmure des rivières. Ces dernières ne coulent plus comme avant ; elles ondulent et glissent avec une cadence presque musicale, répétant des paroles que Neïly n’avait jamais entendues mais qui semblent lui parler directement, comme un écho de sa propre essence.
Elle marche seule, ses pas légers mais déterminés, guidée par l’écho de son pendentif. Chaque pulsation rouge se synchronise avec le battement de son cœur, lui rappelant la puissance qu’elle porte et la responsabilité qui en découle. Le loup blanc la suit toujours, mais il n’est plus tout à fait le même. Ses contours sont désormais plus grands, plus spectrals, presque irréels. Parfois, il disparaît dans un nuage de lumière, pour réapparaître quelques mètres plus loin, toujours silencieux, toujours protecteur.
Chaque pas la rapproche de ce qu’elle est devenue : une louve née de la lune, forgée dans le feu du sang divin. Et pourtant, quelque part, dans l’ombre de son esprit, un nom résonne comme une cloche au milieu du silence : Daimon. Ce nom s’infiltre dans ses pensées comme un fil fragile mais résistant. Il est à la fois un rappel de son humanité et un danger, la promesse de tout perdre ou de tout conquérir.
La forêt s’ouvre soudain sur une clairière. L’espace semble vibrer sous la puissance qu’elle dégage. Le vent se fait lourd, saturé d’énergie, portant une odeur de métal, de terre humide et de fleurs nocturnes. Neïly ferme les yeux et tend les mains. Le monde entier semble s’incliner devant elle. Les racines s’élèvent, les troncs ploient sous l’impulsion d’une force ancienne, l’eau se plie à sa volonté, les herbes s’inclinent et les pierres frémissent.
Mais au centre de cette démonstration de puissance, elle ressent une brûlure dans sa poitrine. Le pendentif pulse plus vite, rouge incandescent, et un écho de voix lointaines se mêle au vent :
> Chaque lumière réclame un prix.
La voix de son père résonne encore dans son esprit. Et dans cette douleur, un visage s’impose : celui de Daimon, blessé, perdu, cherchant encore la femme qu’il n’a jamais cessé d’aimer. Les souvenirs de leur séparation, de leur incompréhension et de leur désir mutuel surgissent comme des vagues, menaçantes et tendres à la fois.
Un instant plus tard, la lumière s’effondre. Neïly s’écroule à genoux sur la terre, haletante. Des visions la submergent : la meute Moon Fire en péril, Daimon entouré d’ennemis, la lune rouge éclipsée une seconde fois, et la sensation qu’elle n’est pas seule, mais qu’elle est au cœur de forces qui la dépassent. Son destin la rappelle avec une intensité irrésistible.
— Je ne peux pas fuir ce lien, murmure-t-elle entre ses dents serrées. Même si c’est lui qui me détruira.
Le loup blanc s’avance alors, son regard grave et profond. Peu à peu, il se transforme, son pelage se consumant en poussière lumineuse, en particules argentées et rouges, jusqu’à prendre forme humaine. Il se dresse devant elle, grand, mince, puissant, avec un regard d’argent et un sourire triste qui semble porter le poids de siècles.
— Ton pouvoir est lié au sien, dit-il doucement, presque avec regret. Tant que Daimon respire, ton cœur battra pour deux.
— Alors… je dois le revoir, murmure Neïly, la voix tremblante.
— Non, lui répond le loup-humain. Tu dois le choisir. Comprendre ce que tu veux vraiment, et ce que tu es prête à protéger.
Neïly relève la tête. La lune, encore partiellement cachée par les nuages, jette une lumière pâle sur la clairière. Le vent s’apaise autour d’elle, laissant flotter un silence solennel. Elle sait désormais ce qu’elle doit faire. Chaque fibre de son être hurle la vérité : elle ne peut ignorer le lien qui la rattache à Daimon, mais elle doit se tenir prête à ce que cette connexion puisse lui coûter cher.
Le lendemain, elle atteint enfin la frontière du territoire de Moon Fire. Le paysage est chaotique : le sol est couvert de sang, le ciel d’étincelles noires et de cendres flottantes. La terre porte les traces d’un combat acharné, et l’air lui-même semble chargé de tension et de peur.
Au centre du champ, un spectacle la saisit : Daimon, blessé mais debout, affronte seul trois alphas venus réclamer son trône. Leurs crocs luisent dans l’obscurité, leurs muscles tendus, prêts à l’assaut. Mais il ne vacille pas. Son regard cherche le sien, et lorsqu’ils se croisent enfin, tout s’arrête. Le monde retient son souffle. Les flammes de la lune rouge semblent danser autour d’eux, reflétant leur lien invisible mais indestructible.
Neïly s’avance lentement, sa robe blanche déchirée par le vent et les branches basses. Chaque pas laisse derrière elle une lueur rouge et argent, trace de sa puissance et de son héritage. Son aura s’embrase, mélange de lumière lunaire et de sang divin. Les ennemis reculent instinctivement, effrayés par l’intensité de sa présence.
Daimon murmure, le souffle court, la voix étranglée par l’émotion :
— Tu es revenue.
— Non, dit Neïly avec force, un sourire presque cruel sur les lèvres. Je ne suis jamais partie.
À cet instant précis, le ciel s’ouvre. Deux lunes apparaissent, une rouge et une argentée, se superposant parfaitement comme deux cœurs réunis. Les nuages forment une auréole scintillante autour d’elles, et l’énergie cosmique pulse dans l’air, vibrant sous leurs pieds.
Le Fil des Deux Lunes se renouvelle, invisible mais tangible, tissant à nouveau le destin de Neïly et de Daimon. La légende commence à peine, et déjà, chaque souffle, chaque battement de cœur, chaque murmure de vent semble sceller un futur qui sera écrit par leurs choix, leur courage et leur amour.
Neïly tend la main vers Daimon, et dans ce geste simple mais chargé de promesses, le monde entier semble retenir son souffle, attendant le premier pas vers la légende qu’ils écriront ensemble, sous le regard des deux lunes qui veillent désormais sur eux.