Une rencontre inattendue
Au même moment, en France un homme est interpellé par une de ses vieilles connaissances dans la rue principale de la ville. Des gens grouillent à chaque coin de rue. Ils rentrent et sortent des magasins sans interruption. En une journée, il peut lui arriver de se faire bousculer plusieurs violemment. La nuit est pratiquement tombée. Les commerçants éclairent leurs vitrines grâce à des jeux de lumière afin d’attirer des clients potentiels. Des lanternes suspendues contre les murs des maisons éclairent les rues de la ville.
— Eh ! Le Bélier, crie-t-il.
En un sursaut et malgré sa carrure, l’homme se retourne avec élégance. La tête de son interlocuteur lui revient immédiatement en mémoire. Cela date de quelques années en arrière. Seize ans à dire vrai, sur un bateau encore à quai. Il faisait partie du groupe de ses anciens acolytes. Petit, avec une mine patibulaire. On peut dire qu’il ne payait pas de mine.
Ses yeux globuleux lui déforment le visage chaque fois qu’il tente de sourire. Pour sûr, il n’a pas changé. Voilà que celui-ci est bien là, droit comme un I à vouloir reprendre contact après toutes ces années.
— Ne m’appelle plus comme ça, bougre d’âne. Ce nom je l’ai quitté le jour ou j’ai changé de vie, signale-t-il. Tu le sais, je t’avais ordonné ainsi qu’aux autres de ne plus jamais me contacter.
Pas du tout intimidé par ce grand homme chauve et aux épaules carrées, il lui répond comme si rien n’avait changé et que ces recommandations n’avaient jamais existé :
— Ne t’énerve pas, le Bélier…
Le regard de celui-ci se fait plus dur au fil des minutes. Pourtant il persiste en concluant :
— Je voulais simplement avoir de tes nouvelles. Notre rencontre n’est due qu’au hasard, je t’assure.
Mentir a toujours été sa spécialité. Voilà pourquoi il n’avouera sûrement pas que depuis un mois il tente de lui parler sans jamais oser. Ce petit bonhomme sait très bien qu’un beau jour, lui et les autres acolytes ont eu comme avertissement de ne plus donner signe de vie.
— Écoute-moi bien, minable...Je suis marié, j’ai un fils de quinze ans qui, contre mon gré, s’est lancé dans une aventure de laquelle j’essaie pour le peu de temps qu’il me reste de le dissuader d’aller. Alors, pour le moment je n’ai rien à faire avec toi.
— En effet, tu as bien changé le Bél…, heu Rudwal. Le mariage, les enfants, ça n’a jamais été ton truc. Tu te souviens de la petite que tu voulais tuer… ?
Traçant un trait d’un geste du bras, il lui coupe la parole avec agressivité espérant ainsi que celui-ci cesse tout discours et s’en aille.
— Ne me parle plus de cette histoire. Jamais je ne la retrouverais. Jamais je ne pourrais assouvir ma soif de vengeance que je garde secrète depuis toutes ces années à ma famille…
Il allait continuer quand la parole lui fut coupée.
— Écoute, si tu veux, je peux t’aider, rétorque-t-il.
— Comment ça, toi ? Toi, Eliaz le vaurien. Tu veux m’aider à retrouver une gamine de seize ans, perdue on ne sait où.
Il se met à rire si fort qu’un couple qui venait de les dépasser se retourne surpris. Retrouvant son calme, il poursuit.
— Elle est sûrement morte. Laisse tomber ! C’est peine perdue, dit-il simplement.
— Ça vaut le coup d’essayer, non ?
— Non, conclut Rudwal.
Eliaz qui s’était retrouvé seul il y a peu de temps souhaitait vivement reprendre une activité afin de s’occuper l’esprit. Il comptait sur Rudwal pour cela. Il fallait le convaincre.
Voilà qu’un jeune adolescent bien bâti pour son âge arrive en courant vers eux. Il n’est pas difficile à Eliaz de deviner qui il est, car à son arrivée, il dit tout essoufflé :
— Papa, faut que je te parle ! C’est important !
Un peu pris au dépourvu, il fait un signe de tête à son fils afin qu’il lui explique ce qui est si important.
— Je pars…
Il s’attendait à une réaction de son père, mais comme rien ne se passe, il reprend :
— Je pars trouver le lieu-dit pour, pour ce que tu sais, balbutia-t-il.
Les yeux de Rudwal se font plus gros à cette révélation. Eliaz ne comprend rien à leur histoire, mais reste là à écouter d’une oreille attentive. Pour noyer le poisson et changer de conversation, le père décide de faire des présentations rapides :
— Laërry, je te présente Eliaz, un cousin éloigné que je viens de croiser par hasard, ment-il. Cela faisait longtemps que je n’avais pas revu cette canaille !
Donnant une grosse tape dans le dos d’Eliaz qui en perd l’équilibre, il dit dans un rire exagérément articulé :
— Hein ! Mon cher cousin. Ça fait une paye.
— Oui, oui, marmonne Eliaz.
Pas du tout à l’aise face au fils de son ancien chef, Eliaz garde la tête baissée de peur que son passé se lise sur son visage. Il n’oublie pas malgré tout de garder une oreille attentive. Au fond de lui, Eliaz espère que le projet de Laërry puisse être d’une utilité quelconque, afin de rester auprès de Rudwal. Le rôle du cousin éloigné sera une chance inestimable pour l’avenir.
Laërry qui se moquait éperdument du lien de parenté avec l’homme accompagnant son père décide de rebondir sur le sujet qui le concerne.
— Papa, dit-il sèchement. Il faut qu’on parle de mon départ.
— Oui, oui, fiston, on en reparle demain.
— Demain ? s’esclaffe Laërry, mais ce sera trop tard. Tu ne comprends pas ce que je te dis, je pars.
Rudwal, désireux que ce sujet ne soit pas révélé à son soi-disant cousin perd patience en voyant que son fils ne cède pas au silence. Le jeune homme en contrepartie veut vraiment en finir avec ce sujet. Il sait très bien que son père est opposé à son départ au lieu-dit : « Le courant d’Huchet », pour tenter de réussir à obtenir les pouvoirs.
Son père ne croit pas du tout à cette histoire, il aurait sûrement préféré que tout cela n’ait jamais commencé.
Cela s’était passé un beau matin, Laërry qui avait alors quatre ans était en train de s’amuser avec son père dans son parc préféré. Tout se passait bien quand un vieux monsieur à la barbiche blanche et aux yeux bridés portant un béret bleu sur la tête pour paraître français s’approche d’eux. Sans s’annoncer aux deux hommes ni les saluer, il déclare : « votre fils a un destin prodigieux qui l’attend ». Laërry et son père, interloqués par cette déclaration, stoppent net leur activité. Le garçon ne comprenait pas très bien ces paroles, la seule présence de cet homme avait suffi à le perturber. Quant à son père, le simple fait d’avoir prononcé le mot « destin » suffit à l’inquiéter. Au vu de son passé, il est pris d’une panique certaine.
Deux questions lui viennent en tête : « cet homme asiatique vient-il de Bangkok ? », « si oui, vient-il venger Talia et Franck, son mari ? ».
Maintenant que Rudwal a quitté son ancienne vie de gangster pour se marier à une femme dont il est tombé fou amoureux au hasard d’une rue, il n’a pas l’intention de laisser ce souvenir ressurgir. Surtout par l’intermédiaire d’un petit bonhomme aussi maigre et petit qu’un enfant de dix ans.
Laërry est le premier à prendre la parole :
— Qui êtes-vous ?
Souriant largement, celui-ci répond avec un léger accent venant de loin confirmant ainsi ses origines asiatiques :
— Je suis ici pour vous, jeune homme, marmonna-t-il.
Rudwal n’apprécie déjà pas la présence de cet homme, alors l’entendre annoncer qu’il est effectivement ici pour son fils le rend hors de lui. En une seconde, le père assit son fils sur l’herbe encore humide suite à une nuit quelque peu pluvieuse. Une fois debout sa carrure, dépasse de beaucoup celle du vieil asiatique qui n’est pas apeuré pour autant. Un autre aurait senti une sorte de fébrilité envahir ses jambes et ses yeux, alors que lui continue de sourire face à cette imposante masse musculaire.
— Comment ça vous êtes ici pour mon fils ! dit-il laissant monter en lui une certaine colère. Qui êtes-vous ?
Le vieil homme rejoint les paumes de ses mains au niveau de son thorax et incline la tête en avant en guise de « salut ». Toujours avec son accent venant de loin, il se présente et explique calmement :
— Je m’appelle Long. Je suis ici pour entraîner votre fils aux arts martiaux.
— Aux arts martiaux, répète Rudwal. Et pourquoi ?
— Comme je vous l’ai dit, votre fils à une grande destinée et je dois l’entraîner pour qu’il puisse y arriver, dit simplement long.
— Papa, c’est quoi une destinée ? demanda Laërry.
En moins de temps qu’il en faut pour le dire, Rudwal ressent un gros poids sur ses épaules. Son visage perd tout signe d’agressivité, ses yeux deviennent livides, son cœur se met à battre à toute vitesse. Pour la première fois de sa vie, Rudwal est vaincu. Ce petit bout d’homme haut comme trois pommes rempli de curiosité pose une question mettant « K.O» un être aussi solide qu’un roc.
— Eh bien fiston, une destinée c’est… comment dire… sa tête tombe en avant. C’est quelque chose que tu ne peux pas éviter, tu ne peux rien faire contre, tu es obligé de t’y soumettre.
Sur ce, Mr Long se permet de prendre la parole. Il n’a pas de temps à perdre pour les longs discours.
— Jeune homme, votre destinée est de venir avec moi, déclare-t-il. Je dois vous initier aux arts martiaux, car plus tard, quand vous serez un homme vous participerez à un grand tournoi.
Rudwal recouvre aussi vite ses esprits. Son fils. Partir avec cet homme ! Un inconnu ! Jamais de la vie ! Il redresse entièrement son corps, lève la tête et dit avec de grands yeux et sur un ton colérique :
— Mon fils reste avec moi! vous ne l’emmènerez nulle part. Je ne crois pas une seule seconde à votre histoire de tournoi. Comment pouvez-vous savoir qu’il y participera dans quelques années ?
— Il a été désigné le jour de sa naissance par nos ancêtres. Un message m’est parvenu dans mes rêves… Vous souvenez-vous de ce jour où vous et d’autres hommes étiez sur un bateau ?
Une lueur d’angoisse traverse son regard, très vite relayée par la peur. C’était donc ça ! Cet homme est bien là pour lui faire payer la mort de Talia et Franck.
Rudwal s’approche de Mr Long pour lui dire à voix basse afin que son fils ne l’entende pas :
— Je refuse que mon fils connaisse cette histoire. Cela fait partie de mon passé.
— Oui, de votre passé, répète Mr long, mais aussi de votre vie. Chaque acte de la vie engendre des répercussions dans le futur. Votre fils saura un jour ce que vous avez fait, ce que vous avez été. C’est inévitable.
— Pas si je m’y oppose !
— Il le saura, dit long avec un large sourire.
— C’est ce qu’on verra, conclut Rudwal énervé.
Laërry attend une réponse de son père toujours perdu dans ses souvenirs. Il sait qu’il partira même si ce dernier n’est pas d’accord, mais pour une fois le fils aimerait entendre son père dire oui. Le fait qu’il accepte son projet est tout ce qui lui importe. Le reste il s’en moque.
Prenant un air de chien battu, Laërry insiste :
— Alors ?
Rudwal le regarde droit dans les yeux, il a le sentiment d’être toujours face à ce petit garçon insouciant et aimant. Mais voilà, aujourd’hui il est devenu un homme grand, fort et prêt à découvrir le passé de son père. Pour ce faire, il lui suffit de rejoindre le lieu qui lui fera passer les trois épreuves et atteindre son pouvoir. À moins que Rudwal parvienne à faire que cela n’arrive pas.
Mr Long avait expliqué qu’il existait huit pouvoirs, dont plusieurs manches de combat. Il suffirait que Laërry perde au premier combat voire même au second afin qu’il ne puisse découvrir le passé de son père avec l’aide du pouvoir de divination. Il ne reste plus qu’à espérer ou aider le destin pour que cela arrive. La seule question est : « Comment faire ? ».
— S’il faut vraiment que tu partes, alors vas-y, lâche-t-il sèchement. Si tu réussis, passe me voir avant d’aller au tournoi, enfin si tu peux, dit-il plus calmement.
Eliaz qui a tout entendu lève la tête quand Rudwal prononce le mot « tournoi ». Il aimerait bien savoir ce qui se mijote. Cela pourrait-il l’intéresser ?