Chapitre 2-5

1079 Words
Inou ne décolérait pas. Kerryen, son neveu qu’elle avait élevé et aimé comme son propre enfant, à qui elle avait transmis ses valeurs humaines, ses idéaux les plus nobles, ne se ralliait pas à son point de vue, alors qu’elle avait la certitude d’avoir vu juste ! Comment expliquer cette espèce d’instinct qui, ayant pris naissance dans son esprit, lui permettait de percevoir ce que personne en dehors d’elle ne distinguait ? Au moment même où elle avait énoncé à haute voix sa pensée devant lui, sa conviction s’était définitivement forgée. Selon Lothan, les textes anciens l’affirmaient, la porte des temps se réveillait à l’approche d’un grave danger, envoyant celui, celle dans le cas présent, qui les aiderait à s’y opposer. Bien sûr, elle comprenait le scepticisme de Kerryen, son petit oiseau semblait pour l’instant en piteux état, mais, pour elle, jamais le symbole du Guerek ne se serait activé par hasard. De plus, d’une façon ou d’une autre, si leur invitée devait les accompagner pour vaincre l’empereur noir, elle finirait bien par sortir de sa léthargie actuelle, le tout étant de définir comment et en combien de semaines, voire de mois…. Voilà les interrogations qui constituaient exactement le nœud du problème… De quelle manière raviver un esprit éteint en apparence ? Quant à la réparation du corps, elle et Mira s’occupaient plusieurs fois par jour de vérifier, soigner et panser les plaies. Inou ne s’inquiétait aucunement à propos de leur guérison à plus ou moins long terme, bien qu’elle se doutât, une fois ce stade dépassé, que persisteraient des cicatrices, nombreuses et, pour certaines, très visibles. De nouveau, sa bouche se tordit sous l’intense effort de réflexion qu’elle entreprenait. Les deux côtes cassées de sa protégée ne l’empêcheraient pas de se déplacer avec précaution, mais encore devait-elle en trouver la force, d’où l’absolue nécessité de la nourrir et donc, pour débuter, de lui redonner le goût par le plaisir des saveurs. Tandis qu’Inou se dirigeait vers la cuisine, elle établissait la façon d’aborder ce sujet auprès de leur maître queux. L’homme appréciait les défis, mais, parallèlement, détestait les contraintes supplémentaires qui bridaient sa créativité selon lui. Si elle lui suggérait de préparer des spécialités pour leur invitée, elle le connaissait par cœur, il commencerait par protester avec vigueur contre le travail que cette mission sans intérêt exigerait de lui, avant de décrire avec grandiloquence son statut de pauvre artisan débordé et incompris. Ensuite, une fois qu’il aurait égrainé la longue litanie de ses plaintes sans la moindre interruption, il reprendrait son souffle et Inou en profiterait pour le ferrer avec quelques phrases bien amenées : « Je vous approuve, Gigrid. Quand je songe au talent que vous déploierez bientôt pour nos hôtes de marque, il paraît évident que votre précieux temps ne peut être perdu à réveiller les papilles d’une âme égarée, d’un être éprouvé par une existence cruelle qui n’attend qu’un être bon et généreux pour lui redonner envie de se nourrir et de vivre. Finalement, je suis certaine que quelques plats simples suffiront amplement à reconstituer ses forces. D’ailleurs, après vous avoir écouté, j’envisage de demander son aide au patron de l’auberge “Les vents d’Orkys”. Malgré ses compétences médiocres, il ne refusera pas une telle occasion qui, lorsque la femme aura retrouvé ses esprits, lui ouvrira les portes d’une gloire bien méritée. Bien, je vous remercie pour vos sages conseils et m’y rends de ce pas ». Sur ces paroles, elle tournerait les talons, imaginant sans difficulté la tête du cuisinier, décomposé par le fait de voir Inou renoncer si vite. En général, elle insistait jusqu’à ce que la personne concernée pliât sous sa pression. En conclusion, ce désintérêt aussi rapide que surprenant l’irriterait autant qu’une épine dans sa chaussure. À peine le temps de regagner le couloir que Gigrid la rappellerait et la rejoindrait. Ensuite, il poursuivrait ses sempiternelles doléances, mais démontrerait parallèlement sa compassion pour cette dame touchée par le sort et son désir profond de contribuer à sa renaissance. Coupant court à son monologue enflammé, elle s’empresserait d’accepter avant de le quitter, car des tâches urgentes l’attendaient. Comme Amaury paraissait mieux se débrouiller qu’elle pour contourner l’état de faiblesse générale de sa protégée, elle envisageait de lui abandonner la responsabilité de la nourrir, même s’il avait, à mots détournés, suggéré que celle-ci lui fût enlevée. Si elle avait parfaitement compris qu’il redoutait les éventuels sarcasmes de ses anciens compagnons d’armes, elle s’en moquait éperdument, elle avait bien plus important à s’occuper ! Sa principale priorité, celle à laquelle dorénavant elle ne cesserait de penser pour élaborer des solutions différentes qu’elle testerait les unes après les autres, devenait de réveiller l’esprit de la femme qui ne possédait plus que des réflexes innés, tout acte volontaire semblant exclu, exactement comme un bébé… Voilà qui pouvait constituer une approche pertinente, la traiter comme un enfant qui doit tout réapprendre, des gestes les plus simples aux plus complexes, tout en l’entourant d’une présence constante et bienveillante. Mira se joindra obligatoirement à eux ; assurément contrainte, car Inou devinait que le sort de sa protégée n’intéressait aucunement la jeune servante. Cependant, parce qu’elle ne pouvait s’y soustraire, elle obéirait et agirait efficacement comme à son habitude. Redoutant la curiosité malsaine ou les commentaires acides, voire méchants, l’intendante ne souhaitait pas pour l’instant la confier à plus de personnes. Gigrid, Amaury, Mira et elle suffiraient bien. En plus, elle devait songer à lui rendre une apparence plus convenable, d’où un second point à régler au plus vite : récupérer des affaires décentes. Une fois encore, sa bouche se tortilla ; ce point la dérangeait hautement. En effet, malgré la tenue plutôt masculine de son invitée à son arrivée, Inou ne pouvait se résoudre à l’affubler comme un homme. Au Guerek, les femmes portaient des robes et, pour le moment, une cotte sur sa chemise s’avérerait bien plus pratique pour l’habiller. Elle aviserait par la suite. Que pourrait-elle bien ajouter ? En cette période estivale, la fraîcheur restait de rigueur entre les murs épais de la forteresse, donc elle devrait prévoir une tunique ainsi qu’une pèlerine pour l’extérieur. Ah oui ! Et des bottes ainsi qu’une coiffe blanche pour cacher ses cheveux courts ! Pendant qu’Amaury finissait de la nourrir, elle disposait d’un délai suffisant pour dénicher les quelques vêtements envisagés avant de les confier à Mira. En effet, ce matin, elle se consacrerait totalement au début des préparatifs pour la venue des souverains. En revanche, une fois remontée à la chambre, elle expliquerait à Amaury que, dès que leur protégée serait prête, il devrait parvenir à la sortir un peu. L’air de la montagne possédait des vertus vivifiantes que nul ne pouvait contester. Cet après-midi, après la promenade, une petite sieste, puis, en fin de journée, elle lui réserverait un peu de son temps et de son attention dans l’espoir d’éveiller cet esprit qui semblait s’être enfoncé si profondément en elle qu’il ne réussissait plus à s’exprimer. Elle sourit de bonheur. Elle adorait ses planifications impeccables dans lesquelles tout s’organisait dans les moindres détails !
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