Moscou - Cadeau empoisonné
ZAKHAR
Les premières lueurs de l'aube apparurent, venant éclairer la pièce dans laquelle je demeurais. J'ouvris difficilement les paupières et constatai que je ne me trouvais pas dans ma demeure.
Je passai mes mains dans mon visage puis une des deux vînt s'engouffrer dans ma chevelure ébouriffée. J'étais complètement sonné et je peinais à me lever. Je remarquai d'ailleurs que j'étais dénudé et quelques souvenirs de la veille surgissaient. Satané Sergei ! Il m'avait fait boire jusqu'à perdre la raison.
— Salut beauté, me salua une voix féminine, vêtue de ma chemise, laissant apparaître ses longues fines jambes.
Je fronçai instinctivement les sourcils. Beauté ? Cette femme lubrique pensait m'avoir dans ses filets. J'avais eu un moment d'imprudence et voilà le résultat. Je me maugréais intérieurement.
— Enlève ma p'tain de chemise, lui dis-je d'un ton impérieux, et tu dégages de la chambre immédiatement.
— Voyons Zakhar, tu n'...
— N'ose pas prononcer mon prénom dans cette bouche défectueuse. Les salopes comme toi, j'en ai des milliers. Maintenant tu enlèves ma chemise pendant que je suis calme et tu dégages.
Elle s'exécuta en me lâchant au passage une insulte.
Les femmes de ce genre me répugnaient et Sergei le savait très bien. Il voulait me provoquer parce que je ne daignais consulter ce p'tain de dossier familial. Je n'avais plus de famille, je me considérais comme un orphelin de Moscou et il le savait très bien. Mais ce fou souhaitait entraver mon idée pour remettre les pendules à l'heure comme il aimait bien le répéter
J'engouffrai ma main dans mes cheveux et je soupirai longuement tout en me sermonnant. En parlant du loup, il rentra dans la chambre d'un air amusé. Il était fier de sa farce ce petit c*n.
Il jeta le dossier sur le lit et se posa près de moi. Il m'épia, attendant une réaction de ma part mais je dardai un regard impassible. L'envie de fouiner dans mon ancienne vie ne m'intéressait pas. J'étais devenu un homme avec une nouvelle identité mais les remords se mêlaient à la tristesse, devenant l'ombre de moi-même.
— Un véritable tournant s'offre à toi et tu ne veux pas en profiter. T'es quel genre d'ignare Zahkar ?
— Cette vie que je mène me convient parfaitement, rétorquai-je sèchement.
Sergei exhala un long soupir, ne sachant plus quoi faire. Il se leva et déclara avant de s'éclipser.
— Tu aspires à devenir un grand homme Zahkar, pas un propriétaire d'un foutu bar. Les regrets te bouleversent, la tristesse te submerge mais tu ne cherches pas à te venger alors que le coup de grâce est entre tes mains.
Je n'aspirais à rien du tout. J'étais qu'une branche morte qui avait disparu de l'arbre généalogique. Comme je m'ingéniais à le répéter, je n'étais qu'un orphelin de Moscou qui avait rompu les liens familiaux.
Je fermai les yeux et m'allongeai pendant quelques secondes pour extérioriser cette myriade de sensations venimeuses. Des réminiscences dont j'aimerais trépasser vinrent embrasait des bribes ensevelis dans les profondeurs de l'oubli. Ces vagues déchainées par la colère de Poséidon embrassèrent les rochers. Je le savais pertinemment, les affres de tristesse s'éternisaient et enjôlaient mon esprit châtié. Mes peines étaient carabinées mais massées par un caractère infâme. Mes cris feutrés de tiraillement étaient poignants mais inaudibles. L'élancement et l'acrimonie s'embrasaient pour former ce liquide igné, éteignant tout sentiment jouissant.
D'un effort surhumain, je chassai du mieux que je pouvais tous ces souvenirs mortifères, ne pouvant plus supporter les conséquences. Les vicissitudes de mon enfance me turlupinaient au point d'oppresser mon cœur. Au fond de moi, je le savais, je n'étais qu'un être pathologique, une aura prisonnière, une âme souillée qui rugissaient l'oraison funèbre.
J'empoignai le dossier avant de quitter l'hôtel pour me réfugier dans mon appartement, loin de cette tension palpable.
IRINA
Depuis quelques jours, un sentiment étrange taraudait mon esprit. Les paroles de l'inconnu me hantaient sans cesse, cherchant désespérément à décrypter le fond de sa pensée. J'en voulais à Alexei qui nous avait mis dans un sacré pétrin. À cause de ses conneries, la vie de baboulya était en jeu et je ne tolérais pas cela.
— Milaïa*, tu m'écoutes, milaïa ! M'interpella grand-mère en posant sa main sur mon épaule, me faisant sursauter.
— Pardon baboulya, je réfléchissais un peu trop.
Elle me regarda d'un air soucieux en cherchant à comprendre ce qu'il n'allait pas mais je lui caressai sa main avant de l'embrasser pour la rassurer.
— Je suis juste fatiguée par le boulot mais ce n'est rien. Aujourd'hui, comme je ne travaille pas à l'hôtel je profite de ma merveilleuse grand-mère que j'aime tant.
Elle me prit dans ses bras et me caressa les cheveux tout en me susurrant de belles paroles. Grand-mère était douce et avait un cœur en or. Je pourrais donner ma vie pour la voir sourire. Je pourrais greffer ses peines dans les miennes, mêler ses larmes aux miennes.
Nous restions dans cette position pour une courte durée puisque Alexei fit son apparition en défonçant presque la porte d'entrée. Il arriva en trombe et ramassa quelques affaires pour les mettre dans un sac à dos.
— Que fais-tu Alexei ? M'empressai-je de demander sous le regard incompris de grand-mère.
— Je dois partir pour quelques jours mais je reviens vite, dit-il furtivement sans prendre la peine de nous expliquer la raison.
— Et pourquoi ?
— Ne me fais pas chier Irina, c'est important. Prends soin de grand-mère et ne fais pas de bêtises pendant mon absence.
— Que se passe-t-il mon petit-fils ?
Le concerné s'approcha de grand-mère pour lui faire un bisou sur le front.
— Je dois partir aider un ami mais je te promets que je reviens très vite. Prends soin de toi babouchka, je t'aime.
Alexei n'était pas du genre attentionné mais quand il le faisait c'était émouvant. Il aimait grand-mère mais ne le montrait que très rarement et quand cela se passait c'était suspicieux. Il le faisait toujours à des moments où il était angoissé.
Ce dernier sortit sans m'adresser un mot et je le rejoignis pour avoir une sérieuse conversation.
— Alexei ! Alexei ! L'apostrophai-je en me dirigeant vers lui.
— Tu veux quoi Irina ?
— Où pars-tu ?
— À Saint-Pétersbourg, lâcha-t-il sans pression, fuyant mon regard.
Je me figeai tout en le scrutant d'un air éberlué. Les paroles de l'inconnu me revinrent en tête, le comportement étrange d'Alexei, la sensation d'être suivie convergeaient vers une même conclusion. Alexei avait des ennuis et préférait prendre la fuite, en laissant grand-mère et moi dans une dangereuse situation.
— Tu as des ennuis et tu décides de fuir pour Saint-Pétersbourg ? Tu me laisses avec grand-mère prendre la responsabilité c'est ça ? Tu n'es qu'un égoïste qui pense à nous sacrifier pour ta vie de m***e, tu comprends ça ?
Il m'assigna une gifle sans scrupule à l'entente de mes paroles. Son visage se décomposa puis ses traits du visage se durcirent.
— Ferme ta p'tain de gueule Irina. Si je reste ici, je risque de mourir. Tu comprends ça ? Tu veux voir le corps de ton grand frère ramper dans tout le quartier, c'est ça que tu veux ? Je suis obligé de partir, obligé de fuir pour ne pas mourir Irina. Tu comprends ça ?
Ma bouche était comme scellée, ne pouvant émettre aucun son. Je ravalai tant bien que mal mes larmes mais ces dernières cherchaient à s'échapper. Prisonnière de son sort, je me tus et laissai mon cœur se cribler par la douleur.
— Je reviendrai dans une semaine pour trouver une solution. Je reviendrai le plus rapidement possible, sœurette, insista-t-il sur le dernier mot avant de partir, laissant sa silhouette s'embrumer.
Il nous avait abandonnées. Il était parti, peut-être pour ne plus revenir. Ses promesses n'étaient qu'un prétexte pour partir. Son visage blafard, marqué par l'effroi s'imprimait dans ma tête, comme s'il voulait me communiquer tous ses regrets. Alexei n'était qu'un ingénu qui avait été leurré par plus intelligent que lui. Il se pensait fourbe mais il n'était qu'un agneau emmi de loups affamés.
Je décidai de rebrousser chemin en ayant le cœur lourd. Mille et une questions fusèrent dans mon esprit mais je les chassai du mieux que je pouvais.
— Que se passe-t-il Irina ? Me demanda grand-mère, inquiète par cette situation.
Je ne pouvais mettre en péril la santé de grand-mère et je préférais donc de mentir.
— Il part aider son ami qui se trouve à Saint-Pétersbourg et revient prochainement. Je suis partie lui donner un peu d'argent pour le voyage.
Elle acquiesça avant de me rappeler que je devais me préparer pour le boulot de ce soir. Patricia m'avait prévenue que ce soir était une soirée où un homme puissant était convié.
Je me préparai tout en pensant à grand-mère. Je ne pouvais plus la laisser seule à la maison. Je n'étais plus sereine depuis la fuite d'Alexei. On pouvait s'en prendre à nous et le seul moyen était de la mettre en sécurité.
— Baboulya, je m'en vais mais avant ça je vais te déposer chez la famille d'Elizaveta.
Elle me regarda d'un air perplexe avant d'acquiescer sans riposter.
Arrivées devant la maison d'Elizaveta, je la confiai à cette dernière qui ne pouvait travailler en raison d'une grippe. Je lui expliquai brièvement la situation qui n'était qu'à mon désavantage.
Je marchai quelques minutes avant de me retrouver devant la devanture du petit bar dans lequel je travaillais. C'était un bar chaleureux où les habitants du quartier se retrouvaient pour oublier la misère. Je m'immisçai dans le petit vestiaire et Patricia fut la première à me saluer.
Je me changeai tout en écoutant les discussions des autres serveuses.
— Un bel homme est convié à notre petit bar ! Vous vous rendez compte ! D'après les rumeurs, c'est un homme riche, puissant, élégant et j'en passe, s'émoustilla Dira, une collègue.
Pour quelles raisons, un homme de cette envergure se trouvait-il dans un bar médiocre, songeai-je.
Catrina, une serveuse qui aimait exhiber son côté libertin nous fit part de quelques détails. Elle aimait côtoyer les hommes et découvrir de nouveaux jardins masculins.
— D'après Vladimir, l'homme en question se trouve actuellement à l'étage. Vladimir doit sûrement être en contact avec lui. Aucun homme de cette classe sociale viendrait ici. En espérant juste profiter de ce bel homme.
Nous sortîmes du vestiaire pour s'orienter vers le comptoir qui se trouvait à l'opposé. Catrina n'hésitait pas à enjôler les clients par la même occasion.
Vladimir, le propriétaire nous accueillit chaleureusement. C'était un homme bon qui se considérait comme le père du quartier. Bien qu'il fût dans des affaires prohibées, il était du genre à aider autrui quand il se trouvait dans une situation économique médiocre.
— Irina, tu vas servir le client qui se trouve à l'étage, m'ordonna-t-il sérieusement sous les sourires malicieux de mes collègues.
Pourquoi moi, pensai-je. J'étais là moins qualifiée et pourtant j'étais choisie pour servir un invité d'une grande importance.
Catrina fit semblant de bouder en tapotant l'épaule de Vladimir.
— Je suis jalouse Vladimir. Je suis la plus qualifiée ici.
— Mais la moins jolie, riposta-t-il en rigolant, ce qui attira les vociférations de la serveuse, je plaisante ma belle. Je suis seulement les ordres du client.
— Tu connais l'invité ? Me questionna Dira en arquant l'un de ses sourcils.
Je fronçai instinctivement les sourcils et hochai la tête négativement.
Vladimir me tendit la commande et j'arpentai en direction de cette mystérieuse salle dont personne ne connaissait. Je toquai avant de rentrer et découvris un autre paysage.
Un tableau pittoresque se dressa devant moi. Un ornement d'une richesse estimé à plusieurs millions de roubles. J'étais étonnée, éblouie, stupéfaite au point d'en rester coi. Bien que je fusse emportée pendant quelques secondes par l'opulence qui décorait ce paysage, je repris mon sérieux.
Mon regard s'attarda sur une silhouette masculine qui se trouvait de dos. Je pensais qu'il allait remarquer ma présence mais ce n'était pas le cas car ce dernier n'avait pris la peine de se retourner pour me faire face.
— Bonsoir, voici votre commande, dis-je avant de me retourner pour quitter la pièce.
— Vous ai-je demandé de partir ?
— Je vous demande pardon ?
— Répondez à ma question. Vous ai-je demandé de partir ?
J'écarquillai les yeux face à son attitude peu avenante. Il n'osait même pas prendre la peine de se retourner mais osait faire des remarques aux autres.
— Non.
— Alors pourquoi cherchez-vous à partir si votre client ne vous a rien dit. Est-ce comme ça que vous traitez vos invités ?
Je mordis ma lèvre inférieure pour garder mon calme. Certains invités avaient l'audace de se sentir supérieur aux autres. Je l'admettais, le client était roi mais une limite s'imposait. Certains ignoraient qu’ils avaient un orgueil démesuré. Comme avait noté Dira, c'était un homme important et je me devais d'avoir une attitude correcte. Je ne devais absolument pas décevoir Vladimir. Alors je me contentais d'offrir un sourire vermeil et de m'incliner légèrement même s'il ne me voyait pas
— Je vous prie de m'excuser.
Il ne me répondit pas, laissant un silence régnait un instant. Toujours de dos, il ne daignait me faire face. J'étais incapable de le décrire, seulement je pouvais constater qu'il avait un corps râblé, camouflé par un merveilleux costume.
— Vous êtes si douce que j'aimerais fermer les yeux sur le fait que vous soyez la sœur d'Alexei. Mais voyez-vous je suis un homme qui n'aime pas la trahison et quand un homme me déçoit, je m'en prends à ses proches.
Avant même de réagir, il pivota pour me faire face. Un visage qui m'était familier. Un visage qui ne passait pas inaperçu. Un visage que j'avais vu récemment. Un sourire narquois se dessina sur sa facette tout en plantant sa paire d'yeux dans la mienne. Zaven Golovin, d'après mes souvenirs.
— J'aimerais savoir si vous préférez être démembrée, ou que votre pauvre grand-mère le soit à votre place ? Je suis un homme qui a quand même un cœur et je vous donne le privilège de choisir.
Mon souffle fut coupé par l'atrocité de son discours. Une crainte s'empara de moi et me voilà entrain de vaciller devant lui. Mes jambes flageolèrent, prêtes à retrouver le seul. Je me reculai instinctivement tout en maintenant mon regard. Je me mis à maudire mon frère d'avoir fourré son nez dans des affaires illicites.
Il me scruta d'un air altier, accompagné d'un sourire espiègle qui me déstabilisa. Il était comme fier de me voir dans cet état et il en jouait. Mon corps crut défaillir face à cet homme infâme.
— Devrais-je vous tuez toutes les deux pour ne pas faire de jalouses ?
— Tuez-moi mais laissez ma grand-mère tranquille, je vous en supplie. Elle est innocente, balbutiai-je d'une petite voix. Ma gorge se noua et les larmes étaient prêtes à déferler.
Il s'approcha dangereusement de moi et j'eus le réflexe d'échapper un cri en me recroquevillant. Mon cœur s'arrêta de battre pendant une fraction de seconde, pensant que la mort allait me prendre.
— Je plaisante, je plaisante, s'esclaffa-t-il en applaudissant, vous êtes si innocente Irina. J'en viens même à ressentir de la compassion à votre égard. J'aimerais simplement que vous remboursiez la dette de votre frère Alexei. Celui qui vous aime tant, celui qui a préféré abandonner sa famille pour une histoire d'argent.
— Je vous jure de rembourser mais laissez ma grand-mère tranquille. Je vous jure de rembourser la dette de mon frère mais laissez-moi du temps je vous en supplie.
— Du temps, du temps et encore du temps. Non Irina, même si vous passez des jours à travailler vous ne pourrez rembourser la dette de votre cher Alexei qu'au bout de la dixième année.
Il s'approcha de moi, se positionnant à ma hauteur avant de me susurrer d'une voix suave.
— À moins qu'une nuit à vos côtés pourrait rembourser cette misérable dette.
Mon sang ne fit qu'un tour. Je devais donc sacrifier mon corps pour coller les morceaux de cette maudite connerie commise par Alexei. Il était hors de question que mon corps fût la solution au problème. Comment Alexei pouvait me laisser subir les conséquences de ces actes ? Comment pouvait-il, sans scrupule, quitter la ville, nous quitter pour échapper à la mort. Nos vies n'avaient donc aucune signification à ses yeux.
— Je vous rembourserai coûte que coûte, répétai-je en fermant les yeux, sentant son souffle chaud caresser mon cou.
— Je suis triste que vous refusiez ma première proposition parce que c'était la plus facile à faire. J'ai essayé d'être compatissant et de vous faciliter la tâche mais je vois que vous préfériez le challenge et inconsciemment ça m'excite.
À l'aide de sa main, il posa de deux doigts à l'extrémité de mes joues et releva ma tête afin de lui faire face. Il m'épia de manière perverse tout en humectant ses lèvres. Instinctivement, je déglutis face à cette attitude malsaine.
— Si vous m'obéissez à la lettre, tout se passera bien pour vous ainsi que pour votre chère et tendre grand-mère mais un faux pas de votre part et je n'aurai aucun scrupule à vous tuer toutes les deux sur le champ et je m'occuperai de ton frère plus tard. Disons simplement que les vies de trois personnes sont entre tes mains. Seriez-vous prête à accepter ma seconde proposition ?
Il exerça une pression sur mes joues pour me faire réagir et j'acquiesçai à la seconde qui suivait.
— La seule et unique chose que vous devez faire est de séduire Zakhar Kovalovski pour récupérer un objet qui est très cher à mes yeux.