Il était temps de choisir.
Dans la tradition des Al Dhurani, un héritier digne de ce nom ne pouvait pas se marier sans l'approbation du clan. Et pour un homme comme Mourad Yacine Al Fayed, fils du fondateur d’un empire et dernier héritier mâle d’une lignée respectée à Dubaï, ce choix ne relevait ni du hasard ni de l’amour naïf. Il relevait de la stratégie. Du devoir. De la maîtrise.
Quatre femmes avaient été retenues. Quatre prétendantes, venues de milieux différents mais toutes jugées à la hauteur. Depuis une semaine, elles se disputaient l’attention du futur époux. Chacune, à sa manière, s’était imposée dans ce jeu d’apparences, de charme, de silences calculés et de regards pesés.
Alors, comme le voulait la tradition familiale, il les avait emmenées en prélune de miel. Pas seul. Jamais seul. Sa sœur Bella Dior, douce mais redoutablement lucide, avait été chargée de l’observer, d’évaluer, de rapporter. Ensemble, ils avaient voyagé, partagé des dîners, des sorties, des moments captés par un photographe discret mais omniprésent. Mourad n’était pas là pour se laisser séduire. Il était là pour lire entre les lignes, déceler les failles, les ambitions cachées, la sincérité ou la mise en scène.
Après leur retour de la pré-lune de miel, tout était devenu plus clair. Mourad Yacine Al Fayed avait désormais vu les quatre prétendantes sous un autre jour. Il avait observé, testé, écouté. L’heure du choix était arrivée.
La cérémonie de l’Élue était prévue pour le lendemain. Chaque prétendante vivait l’attente à sa manière. Jennah et Lina, nerveusement excitées, riaient pour dissimuler leur tension. Khoudia restait d’un calme troublant, soutenue par Mara Al Dhurani, qui veillait sur elle comme sur une alliée. Quant à Zaynab, elle affichait un détachement glacé. Sa famille, pourtant, ne cessait de murmurer que ce serait elle, et qu’elle ne devait surtout pas laisser passer cette chance.
Le matin du choix, la villa des Al Fayed semblait paisible, mais l’agitation vibrait sous la surface. Les matriarches de la lignée, drapées dans leurs plus beaux abayas brodées, arrivaient les unes après les autres, silhouette imposante, regard aiguisé. Les sages des Al Dhurani prenaient place discrètement dans le salon principal. L’ambiance était feutrée, cérémonieuse, presque religieuse.
Mourad, seul dans son salon privé, scrutait l’horizon depuis la baie vitrée. Son visage était impassible, mais son esprit en ébullition. Il savait que son choix allait enflammer bien plus que des cœurs.
À 11h45, l’instant solennel arriva.
Les prétendantes, voilées de blanc, mains croisées sur les genoux, étaient installées dans une pièce attenante, rendues anonymes selon la tradition. Mourad entra, les salua du regard, s’attarda sur chacune d’elles. Un simple instant, suffisant pour tout lire. Espoir, stratégie, ambition, ou abandon.
Puis il fit un signe. Elles furent à nouveau voilées.
En silence, il déposa une bague en or blanc et un prénom dans une boîte. Bella Dior, sa sœur, s’approcha et prit la boîte avec délicatesse. Elle la remit à leur mère, Mara, selon le rituel.
Mais au lieu d’annoncer immédiatement la décision, Mara fixa longuement son fils. Son regard perça l’âme de Mourad, puis elle déclara d’une voix ferme :
– Viens avec moi.
– Maman ? Maintenant ?
– Oui. Tout de suite.
Sans attendre de réponse, elle tourna les talons et prit la direction de la cuisine. Mourad la suivit, perplexe. Arrivés sur place, Mara ordonna aux employés :
– Sortez. Laissez-nous.
Le personnel obéit sans un mot. Une fois seuls, Mara referma doucement la porte. Elle se tourna vers son fils, le visage dur.
– Pourquoi ce choix ?
– Parce que c’est le mien, répondit-il. Et je fais ce qui me plaît.
– Ce n’est pas une fille pour toi, Mourad. Elle va te détruire.
– Maman...
– Je suis sérieuse. Elle n’est pas faite pour cette famille, pour ton avenir, ni pour toi.
– Je suis assez grand pour savoir ce que je veux, coupa-t-il froidement.
– Tu te trompes.
– Peut-être. Mais je ne changerai pas d’avis.
Il s’apprêta à quitter la pièce quand il entendit sa mère murmurer d’une voix glaciale :
– Si tu sors de cette cuisine… je me donne la mort.
Il se retourna d’un bond, stupéfait.
– Quoi ?
Il vit Mara lever un couteau, les yeux fous, la lame tournée vers elle.
– Maman, mais qu’est-ce que tu fais ? Pose ça !
– Je préfère mourir que de te voir épouser cette fille.
– Tu deviens folle, c’est ça ? Tu veux me manipuler ? Encore ?
Sans un mot de plus, Mara se trancha la paume de la main. Le sang s’échappa aussitôt, dégoulinant sur le carrelage blanc.
– MAMAN ! hurla-t-il en se précipitant.
Il lui arracha le couteau des mains, le jeta plus loin, attrapa un torchon pour comprimer la plaie. Son cœur battait à tout rompre.
– Tu es malade. Complètement folle ! cria-t-il, la gorge serrée.
– Appelle un médecin. Dis Mara
– EMPLOYÉS ! cria-t-il vers la porte. APPELEZ UN DOCTEUR, TOUT DE SUITE !
Un silence tendu s’abattit. Le sang sur la main de Mara, la colère mêlée de panique dans les yeux de Mourad, tout était figé dans un tableau surréaliste.
Une fois sa mère prise en charge, il retourna dans le salon. Seul.
Il prit à nouveau la boîte, la rouvrit calmement. Retira le prénom.
Reposa la bague.
Puis, lentement, écrivit un nouveau prénom.
Et la referma.
Bella Dior s’approcha, silencieuse.
Mourad lui tendit la boîte.
– Donne-lui ça. C’est celle-là.
Bella Dior s’exécuta, le regard troublé.
Le destin venait d’être réécrit.
Bella Dior revint, suivie de trois femmes de la lignée Al Dhurani, toutes drapées de soie noire et de dignité. Elles pénétrèrent dans la pièce silencieuse où les prétendantes, assises sur des coussins d’apparat, attendaient.
L’une après l’autre, chacune d’elles retira lentement son voile blanc. Le tissu glissa sur leurs épaules comme un souffle, révélant des visages attentifs, tendus, beaux et distincts. Le silence régnait, seulement troublé par le souffle des lampes à huile. Puis, à l’unisson, elles remirent le voile sur leur visage.
Bella s’avança alors. Son regard passa doucement sur chacune, un instant de plus sur l’une d’elles. Elle s’arrêta. Ses yeux se posèrent avec intensité.
Elle ne dit rien.
Mais les trois femmes s’approchèrent de celle qu’elle avait désignée du regard. Elles la relevèrent sans un mot, l’encadrèrent, et l’emmenèrent vers une aile privée de la villa. Aucun nom n’avait été prononcé. Aucun murmure ne filtrait. Le mystère restait intact. Le choix demeurait secret.
Lorsque la nuit tomba, le jardin des Al Fayed s’était métamorphosé. Des lanternes suspendues aux palmiers illuminaient les allées. Les tapis somptueux recouvraient la pelouse taillée à la perfection. Les familles arrivaient, parées, curieuses, les regards glissant d’un visage à l’autre. Personne ne savait encore qui avait été choisie.
Dans une pièce intérieure, l’Élue recevait les soins ancestraux. Un bain au lait de rose et d’ambre. Des mains expertes lui massaient le dos, les jambes, les bras, dans un silence sacré. Elle fut ensuite habillée d’une tunique immaculée, légère, presque irréelle, puis recouverte d’un voile opaque qui cachait entièrement son visage et son corps. Même son souffle semblait devenu secret.
De leur côté, les trois autres jeunes femmes étaient réunies dans un salon à part. Une tante entra, douce et digne.
– Le choix d’un homme n’est jamais le reflet de votre valeur. Vous avez honoré cette maison par votre présence. Et demain, vous serez ailleurs, admirées, demandées. Gardez la tête haute.
Les paroles tombèrent comme un baume sur leurs cœurs meurtris.
Au-dehors, les chants ancestraux retentirent. Tambours lents. Voix profondes.
L’Élue apparut, entourée de ses gardiennes. Sa silhouette voilée glissait entre les rangées de convives sans un bruit. Derrière elle, Mourad avançait, drapé dans un manteau noir bordé d’or. Il portait au doigt la bague du patriarche, celle de son père. Son regard ne tremblait pas.
Devant les anciens, ils se placèrent côte à côte. Sans visage. Sans mot.
Un homme s’avança. Le plus âgé des Al Dhurani. Sa voix était lente, profonde, presque irréelle.
– Elle est choisie. Elle est acceptée. Elle est transmise.
Un ruban blanc, symbole de lignée, fut noué autour de leurs poignets unis.
L’union fut scellée.
Il n’y eut ni applaudissement, ni cris. Mais une solennité lourde, presque surnaturelle, qui enveloppait chaque invité. Tous comprenaient qu’ils assistaient à plus qu’un mariage. C’était un serment. Une alliance entre deux mondes.
Plus tard, dans une chambre préparée selon les rites anciens, la lumière était douce. Des encens rares flottaient dans l’air. L’Élue entra en silence, conduite par une tante qui lui transmit des paroles anciennes, des secrets de femmes, des clés de pouvoir.
Puis elle la laissa seule.
A suivre