— J’étais sûre que tu faisais tout ça juste pour avoir Mourad dans ta poche, cracha Oulaya. Tu t’es bien vendue, hein ?
Saran enchaîna, le ton sec.
— Encore heureux. Sinon, elle l’aurait ensorcelé.
Mourad se redressa lentement, sa voix claqua, sèche, autoritaire.
— Ça suffit.
Le silence fut immédiat. Il tourna la tête vers ses sœurs.
— Ne prononcez plus jamais ce mot à propos de Zaynab. Elle n’a rien fait. C’est moi qui suis allé la chercher. Et il ne s’est rien passé entre nous.
Saran fronça les sourcils, toujours debout.
— Alors pourquoi tu lui as donné toutes ces parts ?
— Je ne vous dois aucune explication.
Mourad croisa les bras, le regard dur.
— Et je ne veux plus jamais entendre parler de cette histoire.
Oulaya se leva brusquement, ramassa son sac et quitta la pièce sans un mot.
Le dîner fut tendu. Les conversations se résumaient à quelques phrases forcées. Zaynab était assise à côté de Bella Dior. Saran, elle, lui lançait des regards noirs, des éclairs dans les yeux à chaque mouvement de la jeune femme.
Après le repas, Mourad s’éclipsa vers son bureau pour une réunion en visio. Zaynab se retrouva dans le salon, entourée de Bella Dior, Mara, Saran… et Khoudia.
Le silence était pesant. Saran n’avait pas fini de la fusiller du regard.
Soudain, la petite Dalia entra, sa poupée dans les bras. Elle courut vers sa grand-mère en riant, puis s’approcha timidement de Zaynab.
— Coucou toi, dit Zaynab en lui souriant. Comment tu vas ?
— Ça va bien, répondit l’enfant en jouant avec la manche de sa robe.
Saran se leva aussitôt.
— Dalia, il est l’heure d’aller au lit.
— Bonne nuit tata, lança la fillette à Zaynab en s’éloignant.
— Bonne nuit ma belle.
Zaynab la regarda partir, consciente que Saran voulait l’éloigner d’elle, comme si elle était une menace. Mais elle n’en avait rien à faire. Elle n’était pas là pour gagner le cœur d’une mère jalouse.
Une fois Saran partie, l’ambiance se détendit légèrement. Il ne restait que Mara, Khoudia, Bella Dior et Zaynab.
Bella Dior discutait calmement avec elle, lui racontant un souvenir d’enfance. Mara, elle, observait Zaynab avec froideur.
— Tu ne rentres pas chez toi ? lança-t-elle brusquement.
Zaynab tourna la tête vers elle, un sourire léger au coin des lèvres.
— J’attends que Mourad termine sa réunion.
Mara haussa un sourcil, visiblement agacée.
— Tu ne seras jamais sa femme. Jamais de mon vivant.
Zaynab hocha lentement la tête, le sourire toujours fixé.
— Heureusement que vous avez précisé "de votre vivant".
Ce fut un coup direct. Mara ne répondit rien. Mais son regard, lui, parlait pour elle.
Mara comprit. Zaynab se fichait d’elle. Ou pire, elle la provoquait volontairement. Son regard se durcit, s’assombrit.
— Mourad reprendra ses parts, dit-elle d’un ton sec. Elles reviendront à Khoudia, la véritable épouse.
Zaynab esquissa un sourire, calme, presque amusé. Mara s’énerva davantage.
— Continue de rire. Mourad est mon fils. Je ferai tout pour qu’il fasse ce que je lui demande. Tu ne veux que son argent. Mais moi, je ferai tout pour qu’il ouvre enfin les yeux.
— Vous devriez laisser tomber, répondit Zaynab sans hausser le ton. Ces parts, c’est à peine un quart de ce qu’il m’a offert… et de ce qu’il m’offrira.
Elle fit une pause, croisa les jambes.
— Mourad m’a offert une villa. Et une nouvelle voiture.
Un silence brutal s’installa.
Bella Dior releva la tête, surprise. Elle-même n’était pas au courant. Khoudia resta figée. Mara cligna des yeux, comme si elle avait mal compris.
Zaynab les regarda, une à une, puis se tourna à nouveau vers Mara.
— Vous avez fait tout un cinéma pour l’empêcher de me choisir. Mais vous ne pourrez jamais effacer ce qu’il ressent pour moi. L’affection qu’il me porte… vous n’y pourrez rien.
— Ce n’est pas possible, murmura Mara, troublée. Je ne comprends pas… l’emprise que tu as sur lui.
Zaynab pencha légèrement la tête, un sourire plus doux, mais toujours dérangeant, sur les lèvres.
— Moi non plus, je ne comprenais pas votre haine. Mais en fait, si… Vous me détestez parce que vous savez que je vous ressemble.
Elle laissa ses mots s’installer, s’ancrer.
— Vous avez peur qu’il épouse une femme comme vous. Parce qu’au fond, vous craignez d’être remplacée dans son cœur. Vous sentez qu’on se ressemble trop. Dans le caractère. L’attitude. Et ça… ça ravive en vous quelque chose. Une vieille blessure. Un vieux conflit non réglé.
Mara ne dit rien.
Ni Khoudia.
Ni même Bella Dior.
Le silence tomba, lourd, glaçant.
Zaynab s’adossa au canapé, tranquille. Elle venait de toucher juste.
— Tu racontes des bobards, Zaynab, gronda Mara, la voix plus sèche qu’elle ne l’aurait voulu.
Ce qu’elle ignorait, c’est que Mourad, en s’approchant du salon, avait entendu. Et au lieu de pousser la porte… il s'était arrêté. Il resta là. Silencieux. À écouter.
Zaynab croisa les bras, posément. Elle n’avait pas besoin de hausser le ton. La vérité suffisait.
— Ce n’est pas moi que vous craignez, Mara. Ce que vous redoutez, c’est que tout ce que vous avez construit autour de Mourad s’écroule. Des années à le façonner, à le guider, à l’avoir dans votre orbite… et aujourd’hui, vous sentez que ça vous échappe. Parce que vous oubliez une chose : Mourad est son propre maître. Il n’est sous le contrôle de personne. Ni de vous, ni de moi. Et c’est ça qui vous fait peur.
Mara ne répondit pas tout de suite. Elle la fixait, mais son regard vacillait.
— Vous avez peur que je devienne celle qu’il écoute. Celle qui peut le comprendre, l’influencer… peut-être même le faire changer. Pas en le soumettant. En l’inspirant. Et ça, vous ne le supportez pas.
Mara serra les dents. Elle savait que Zaynab disait vrai. Mais jamais elle ne l’avouerait.
Elle ne voulait pas de cette fille pour son fils. Non pas parce qu’elle n’était pas digne. Mais parce qu’elle l’était trop. Trop entière. Trop forte. Trop elle.
À chaque mot, à chaque regard, Mara se voyait. Plus jeune. Plus insoumise. Avec ce même feu dans les yeux, cette façon de tenir tête sans trembler. Zaynab, c’était ce genre de femme qu’on admire… mais qu’on ne maîtrise pas.
Et c’était bien là le problème.
Elle avait vu ce que ça avait coûté. Elle se souvenait du regard de Yacine, son défunt mari. Cette dévotion silencieuse qu’il avait pour elle. Elle la voyait maintenant dans les yeux de Mourad, tournés vers Zaynab. Ce n’était pas de l’amour ordinaire. C’était plus que ça. Une admiration profonde, dangereuse. Une faiblesse.
Elle sentait son emprise s’effriter. Lentement. Au profit d’une femme qui, comme elle jadis, n’avait besoin de personne pour exister.
Et ça, non. Elle ne pouvait pas l’accepter.
— La ferme, bredouilla Mara, la voix tremblante. Je ne veux plus t’entendre.
Zaynab haussa légèrement les épaules, sans se démonter.
— Je ne suis pas votre ennemie. Et puis… je n’aime même pas Mourad. Ce n’est pas de l’amour, entre lui et moi. Mais on aurait pu s’entendre sur d’autres plans. Professionnels. Stratégiques. Comme on s’entend en affaires. Mais vous avez préféré Khoudia. Dites-moi… pourquoi elle ?
Mara se redressa.
— Parce que Khoudia est une fille décente. Bien éduquée. Elle aime mon fils. Pas son argent.
Un rire bref échappa à Zaynab. Amer. Lucide.
— Même vous, vous ne croyez pas à ce mensonge. Vous avez choisi Khoudia parce qu’elle est malléable. Facile à manier. Contrôlable. Elle vous écoute, elle vous suit. Elle ne vous contredit pas. Avec moi… vous n’auriez jamais eu ce confort.
— Tu dis n’importe quoi, siffla Mara. J’ai choisi Khoudia parce que c’est une fille bien.
Zaynab se leva du canapé, lente et calme.
— Bonne chance, alors. J’espère qu’elle restera la belle-fille parfaite que vous espérez tant.
Elle se tourna vers Bella Dior, restée en retrait, muette.
— Bella, je vais y aller.
C’est à cet instant que Mourad entra enfin. Sa silhouette imposante coupa net la tension de la pièce. Il fixa Zaynab. Pas un mot. Juste son regard ancré dans le sien.
Zaynab releva doucement le menton.
— Te voilà, murmura-t-elle. J’étais justement sur le point de partir.
Mourad ne bougea pas. Son regard alla de Zaynab à sa mère, lentement. Il avait entendu chaque mot. Chaque vérité. Chaque mensonge maquillé en justification. Il savait maintenant ce qu’il n’était pas censé entendre.
Zaynab s’apprêtait à contourner le canapé pour sortir, mais il parla enfin.
— Reste.
Un seul mot. Tranchant. Net. Il résonna dans le salon comme une injonction indiscutable.
Elle s’arrêta. Sans se retourner.
— Ce n’est pas nécessaire, souffla-t-elle.
— Si. Ça l’est.
Il s’avança, passa près de sa mère sans un regard, et s’arrêta juste devant Zaynab.
— Je t’ai demandé de rester.
Elle se retourna alors, croisa son regard sans ciller.
A suivre