3 Automate de marbre Labyrinthe au palais noir Du regard de feu

951 Words
3 Automate de marbre Labyrinthe au palais noir Du regard de feu Yukio ne peut oublier la rencontre au palais de Chax Castelnada. Le maître de la SIPO a établi son siège sur les ruines d’un ancien château de France, près des catacombes de la cathédrale de l’Ordre des Sables. La Terreur s’est acharnée dans ces cachots, après avoir détruit la chapelle pour y laisser des pics arborant des crânes humains. La cave à vin est maudite : à chaque pleine lune, et pour le 14 juillet, le maître des enfers se manifeste et réunit ses troupes. Dans les années 1980, ce capitaine d’industrie a érigé sa Tour du Pan d’Or, univers du spectacle attirant 400 postulantes par jour pour des concours de beauté. Sa plage privée de Floride est réputée : sa marina abrite les plus beaux yachts des célébrités de l’argent. En plus du cours de tennis, le parcours de golf est dessiné par un célèbre champion. Autour de la piscine se rassemblent ses éphèbes ; et les plus belles filles à taille de guêpe proposent aux invités des vins fins, des tapas et de la sangria. Ces créatures se définissent à hauteur de leur désir de possession. Leur regard vous sollicite, mais ne porte ni bienveillance ni bénédiction. Conçu par un architecte de renom, son hôtel particulier de Miami, donne dans le haut de gamme, protégé de gardes en uniforme, armes au ceinturon. Il est de notoriété publique qu’à l’instar des alcôves et baldaquins, les chambres des invités sont ornées de velours noir à fleurs rouges. Hérissé de statues de tous les démons du globe, le parc de Chax Castelnada possède un labyrinthe dont la réputation n’est plus à faire. Des échos résonnent à travers le feuillage, coups sourds et craquements de dessous-terre, murmures, soupirs, vapeurs et gémissements. Ceux qui en sont revenus évoquent Sodome et Gomorrhe, d’autres un volcan, une centrale nucléaire. Chacun y trouve ses démons, la peur est toujours irraisonnée. À ses soirées, dames et messieurs en tenue d’apparat mêlent les queues de pie aux ailes de chauve-souris. Suivis de ses « facteurs », tel un tigre à l’affût, Castelnada parcourt l’assistance, incitant ses invités aux plaisirs. Il est loin de rassembler les membres du kazoku, la noblesse du Japon. Nul ne peut croiser ici le descendant du prince Ōtsu, poète et fils d’un empereur du VIIe siècle, respecté pour ses belles lettres à dame Ishikawa. Geldadel, la vraie noblesse allemande, ne peut fréquenter ces endroits où le luxe tapageur remplace Edelmut, la noblesse de cœur. Aucun von Hohenheim-Holdmann ou von Stauffenbach, Prokhoroff ou Revkadamov, n’a pointé son pourpoint dans ce monde que la grâce a déserté. Point de philosophes ou de théologiens, ni Pierre-Ambroise Mortereau, ni Orion O’Heimdall, ni Sacar Agib Schahzaman ou Stanislas Missillac, encore moins Maxence-Archibald de Stelle-Despréaux{1}, dont la noblesse d’extraction est attestée par alchimie. Quand certains réussissent à s’y faufiler, leur mission est ardue. En salle de réunion, les experts débattent de sujets graves : comment développer des plaisirs lucratifs engendrant des conflits qui augmentent la courbe des profits ? Ce soir-là, le vin de Champagne coulait à flot, les festivités allaient bon train. Les rires dérapaient à propos de l’industrie des loisirs et du plaisir des entreprises, des femmes soumises à la mode, qui jettent l’argent des pauvres par la fenêtre, et les bousculades s’enchaînèrent dans la piscine autour de laquelle chacun donnait son avis sur la monarchie du Capital. À la façon de Voltaire se vantant de ne « respecter que les philosophes et vomir la populace », deux représentants de la France républicaine s’entretenaient d’une cérémonie d’adoubement profane. Face aux ricanements sur la sorcellerie financière, Yukio se taisait, songeant à ce que pouvait représenter pour eux la décapitation d’un roi, celui-ci étant censé, en tant que représentant du Ciel, être au-dessus du « marché ». Savaient-ils que le meurtre du roi avait engendré le rituel du sang ? Celui de Louis XVI avait été lancé à la foule, en guise de baptême satanique. Chez Castelnada, les rictus se transformaient en hurlements. Certains continuaient à discourir de sujets dont la mémoire de Yukio portait l’écho, d’autant que sa nature discrète ne se livrait pas à des propos superficiels. Quand le maestro agita sa baguette, et que le maître des lieux s’écria « Prestissimo ! », l’orchestre répandit sa musique. Tout le monde se mit à danser sur des rythmes endiablés. Mais au milieu des danseurs, sautillaient trois petites dames en rose Pompadour, à coups de cabrioles, pirouettes, ronds de jambes et entrechats, sur les conseils d’un maître de danse en pourpoint de velours, bas de soie et boucles d’argent aux souliers. Elles portaient un hennin, une robe de dentelle réalisée « à la façon », agrémentée d’un décolleté en carré, qui leur donnait un air médiéval. Ces petites Bretonnes avaient traversé l’espace-temps, en fées de Cendrillon, aussi légères que les nuages du printemps. Yukio avait reconnu les agents dormants, et la duchesse centenaire, aux colliers d’ambre de la Baltique et de cristal de Bohème et de Venise. Plongé dans ce murmure odorant, il sentit un frôlement... Quand il se retourna, il buta contre une femme somptueuse en tenue panthère. D’une noirceur étincelante, sa peau contrastait avec ses cheveux rouge-sang, ses longs cils s’allongeaient jusqu’à la trace de sourcils inexistants. De ses lèvres de feu s’échappait une lueur glacée. Quand elle approcha sa main, Yukio sentit la froideur du marbre. Un vase de fleurs glissa sur le perron, les pétales se changèrent en cendre. ⸺ Vous avez perdu le fil d’Ariane, susurra la panthère noire. Mais, malgré son regard igné, la joliesse du trait et ses cheveux à la garçonne, d’un rouge flamboyant, son visage était de cire, et l’égérie de Castelnada avait les gestes saccadés d’un automate. Quand le feu d’artifice éclata sous les étoiles, les invités s’adonnèrent au jeu de Colin Maillard autour du bassin du Taureau d’or. Sans attendre la fin des festivités, Yukio s’éloigna des fontaines jaillissantes, abandonnant la robe panthère qui faisait de Suzie-Valentine Pothier l’idole des murmures… Or, aujourd’hui, celle que tout le monde désignait par ses initiales, SVP, avait disparu{2}. Seule comptait pour Yukio la dame de Beauté qu’il trouverait parmi les lys.
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