Le visage de Luke resta impassible lorsqu’il fixa Susan droit dans les yeux. Pourtant, derrière ce masque de froideur, une nuance de dédain s’y lisait.
Susan eut l’impression d’être plongée dans une eau glaciale, son cœur se figeant sous le choc. Elle comprenait que ce regard distant venait de l’amnésie de Luke, qui ne se souvenait plus d’elle. Mais pour elle, la douleur était bien réelle, plus vive encore en cet instant précis.
Refusant de céder aux larmes qui menaçaient de couler, elle releva le menton avec une fierté blessée et rétorqua d’une voix ferme :
— Et si je décidais de ne pas présenter d’excuses ?
Luke esquissa un sourire glacé, presque moqueur.
— Je te conseille de m’écouter. Sinon, la famille Jenkins…
Il n’eut pas le temps de finir. Une voix coupante, chargée d’ironie, s’éleva derrière lui :
— La famille Jenkins ? Et qu’a-t-elle donc l’intention de faire, Monsieur le Président ?
Surpris, Luke se retourna vivement et découvrit Julian Shaw qui venait d’apparaître, figé dans une posture nonchalante, mais son regard brûlait d’une intensité farouche.
— Julian Shaw ? s’exclama-t-il, décontenancé.
Julian ne lui accorda pas la moindre attention. Ses pas l’amenèrent directement vers Susan, qu’il fixa avec une colère à peine contenue. Ses yeux sombres semblaient prêts à s’embraser.
— Idiote ! Tu n’as même pas pensé à esquiver quand on t’a éclaboussée ? rugit-il brusquement.
Susan cligna des yeux, interdite par la virulence de ses paroles. Après un instant de silence, elle balbutia timidement :
— Je… je n’ai pas eu le temps…
— Pas eu le temps ? Et riposter, tu en es incapable aussi ?! répliqua Julian avec mépris.
Sans prévenir, il saisit la tasse posée devant elle et lança son contenu brûlant sur Mandy.
La scène sidéra tout le monde. Mandy poussa un cri étouffé alors que le café dégoulinait de ses cheveux jusqu’à ses vêtements coûteux.
Un silence de stupeur régna quelques secondes avant qu’elle n’explose :
— Mes cheveux ! Mes vêtements ! Mon sac ! Tu sais combien de temps j’ai mis à préparer tout ça ?
Julian croisa les bras, impassible, puis tourna un regard appuyé vers Susan.
— Voilà comment on éclabousse quelqu’un, pour que tu t’en souviennes !
Malgré son indignation apparente, Susan sentit une chaleur étrange envahir sa poitrine. Un rire nerveux s’échappa de ses lèvres.
— Tu as raison… je comprends maintenant.
Julian grogna, son expression se radoucissant à peine devant son sourire.
— Si jamais tu te laisses encore humilier ainsi, je te tuerai moi-même.
Tout en grondant, il la saisit par le bras pour l’aider à se relever.
— Attends un peu, Julian ! Que signifie tout ça ? intervint Luke d’une voix tendue, ignorant Mandy qui s’agitait à ses côtés.
Julian éclata d’un rire glacial.
— Tu oses m’arrêter alors que tu viens de harceler ma femme ?
Il attira Susan contre lui, possessif. Habituellement, elle aurait résisté à un geste aussi intime, mais cette fois, elle se laissa faire, se lovant dans ses bras en silence.
Un poids inexplicable serra la poitrine de Luke. Son poing se crispa tandis qu’il répliquait d’un ton sec :
— Julian Shaw ou pas, tu n’as pas le droit de faire tout ce qu’il te plaît.
Julian haussa les épaules avec une arrogance provocante.
— Je fais ce que je veux. Et toi ? Tu comptes m’arrêter ?
Ses paroles insolentes allumèrent une flamme de colère dans les yeux de Luke et de Mandy.
Susan, reprenant doucement contenance, intervint :
— Je crois qu’il y a eu un malentendu. J’ai un petit ami, comme vous pouvez le constater. Je n’ai donc aucune raison de m’intéresser à M. Jenkins. Quant aux propos de Mlle Adams, je suis moi-même intriguée par ses accusations.
Julian laissa échapper un ricanement cinglant.
— Ma Susan, attirée par Luke Jenkins ? Quelle farce ! Est-ce que moi, Julian Shaw, je perdrais face à ce g****o ?
Le mot frappa Luke de plein fouet. Il lança un regard lourd de reproches vers Mandy, qui évita aussitôt ses yeux. Soupçonneux, il plissa les paupières.
Julian, implacable, ajouta :
— Retenez bien ceci : vous avez offensé ma femme. Et je ne laisserai pas passer ça.
Susan lui effleura le bras, cherchant à apaiser son emportement.
— Julian, allons-nous-en.
Il grogna, mais obéit, entraînant Susan hors du café.
Resté sur place, Luke jeta un regard pénétrant à Mandy. Pour la première fois, il douta de sa sincérité. Elle, qui paraissait si naïve, avait-elle réellement dit la vérité ?
Sous son regard pesant, Mandy perdit ses couleurs.
— Luke… cette femme… elle l’a vraiment dit ! Je… je te jure que je n’ai rien inventé !
À la surprise de tous, Luke esquissa alors un sourire chaleureux.
— Ne t’inquiète pas. Je crois en toi.
Rassurée, Mandy reprit confiance et se cramponna à lui.
— Ce Julian est fou. Comment peut-il être aussi déraisonnable ?
Luke répondit d’une voix calme :
— Inutile de provoquer davantage la famille Shaw pour une broutille. Allons changer de vêtements.
— Oui… fit Mandy, ravie, accrochant sa main à la sienne. Elle était convaincue d’avoir gagné. Luke Jenkins lui appartenait désormais entièrement.
Mais derrière son sourire rassurant, Luke songeait encore. Susan… qui est-elle vraiment ? Pourquoi la tristesse dans ses yeux éveillait-elle chez lui une confusion si profonde ? Devait-il fouiller plus loin ?
De son côté, Julian poussa brutalement Susan dans la voiture avant de prendre le volant. Le silence était lourd. Susan, hésitante, osa un coup d’œil vers lui.
— Julian… pourquoi es-tu revenu tout à l’heure ? Tu étais parti, non ?
Sa mâchoire se crispa. Il ne pouvait pas lui avouer qu’il avait changé ses plans pour elle. Avec un haussement de sourcils ironique, il répondit :
— Dois-je te faire un compte rendu de mes déplacements ? Ne va surtout pas croire que je suis revenu exprès pour toi.
Susan baissa aussitôt la tête.
— Non… bien sûr que non. Je voulais juste dire… merci.
— Pas besoin de remerciements. Contente-toi de ne pas me ridiculiser la prochaine fois, lança-t-il froidement.
Elle acquiesça doucement. Les yeux fixés sur la route qui défilait à toute allure, elle osa demander :
— Où allons-nous ?
— Chez nous, évidemment. Tu comptes rester dehors avec ces vêtements tachés de café ?
Susan pinça les lèvres et murmura avec prudence :
— Julian… tu es fâché ?
Il ricana, cruel :
— Fâché ? Et pour quelle raison ? Parce que tu as croisé ton ancien amant derrière mon dos ? Ou parce que tu n’as même pas su éviter une simple éclaboussure ? Susan, tu crois vraiment que tu as assez d’importance pour que je me mette en colère pour toi ?
Ses paroles tranchantes l’assaillirent comme des coups de poignard. D’ordinaire, elle se serait tue, écrasée par sa dureté. Mais cette fois, une certitude étrange naquit en elle : derrière cette froideur, Julian n’était pas aussi indifférent qu’il le prétendait.