Chapitre9

1068 Words
Susan leva les yeux vers Julian, la voix douce mais ferme : — Julian, je ne l’ai pas rencontré volontairement. La cliente voulait la voir, et tout ce que je savais, c’était qu’elle se prénommait Ainsley. J’ignorais totalement qu’il s’agissait de Mandy Ainsley, et encore moins qu’elle viendrait accompagnée de Luke Jenkins. Cette justification, prononcée avec prudence, parvint à apaiser un peu la tension de Julian. Ses traits demeuraient froids, mais il répondit d’un ton sec : — La prochaine fois que tu croises ces deux personnes, tu tournes les talons immédiatement. Tu comprends ? Comme s’il avait peur que ses mots soient interprétés comme une marque de jalousie, il ajouta avec un mépris étudié : — Hmph ! Avec ton tempérament volage, tu serais capable de te rapprocher d’eux sans réfléchir. Mais peu importe : la famille Shaw ne perdra jamais la face pour si peu. Susan blêmit à ces paroles. Elle se mordit discrètement la lèvre, mais n’osa pas protester. Julian, percevant sa réaction, eut un instant de regret. Ce n’était pas exactement ce qu’il avait voulu dire. Pourtant, s’excuser lui était impensable. — Je comprends, murmura-t-elle. Je resterai loin de lui. — Bien, fit-il simplement, comme s’il s’en désintéressait. Le reste du trajet jusqu’à la demeure des Shaw se déroula dans un silence pesant. Une fois changée, Susan trouva Julian installé sur le canapé du salon. Elle s’approcha avec hésitation et demanda doucement : — Julian, as-tu déjà dîné ? Et si… nous préparions quelque chose ensemble ? Ni lui ni elle n’avaient l’habitude de vivre entourés de domestiques. À l’exception des femmes de ménage qui venaient ponctuellement nettoyer, la maison restait vide. La plupart du temps, c’était donc Susan qui préparait leurs repas. Julian arqua un sourcil, l’air dédaigneux : — Ta cuisine est seulement mangeable ? Avant, Susan se serait tue. Mais cette fois, elle inspira profondément et osa répondre : — Je crois que ce sera correct. Pourquoi ne pas essayer ? Ses yeux sombres se plissèrent légèrement. La lumière du plafonnier se refléta sur ses sourcils, et malgré son expression impassible, son cœur connut une étrange agitation. Pourtant, il garda son masque indifférent. — Très bien, dit-il. Une demi-heure plus tard, le repas était prêt : quatre plats et une soupe fumante. Susan l’observait avec une légère appréhension. — Tu veux goûter ? Julian jeta un regard critique sur la table. — Qu’est-ce que c’est que ça ? Ça ne donne pas vraiment envie. Néanmoins, il attrapa une aubergine sautée à l’ail et en prit une bouchée. — Trop salée ! grommela-t-il. Et cette soupe au melon… insipide. Les côtes levées au miel, mal cuites. Franchement, ce n’est pas de la nourriture pour des humains. Mais malgré ses plaintes, il continua de manger sans relâche. Susan le regarda, interdite. Cela faisait un an qu’ils étaient mariés, et c’était la toute première fois qu’ils partageaient calmement un repas préparé de ses mains. Auparavant, elle voyait en lui une figure démoniaque qui la terrifiait. Mais à présent, il lui paraissait étrangement humain, presque… familier. Julian, après avoir avalé sa dernière bouchée, se frotta le ventre. — C’était infecte, ta cuisine. Susan remarqua alors les plats vides. Elle toussa légèrement, incapable de retenir un sourire. Il détourna le regard, grogna : — Je ne voulais pas gaspiller, voilà tout. — La frugalité est une qualité, répliqua-t-elle avec un sérieux feint. Sa réponse l’étonna. Cette femme, toujours docile, osait désormais lui répondre autrement. Julian la dévisagea discrètement, mais elle, imperturbable, se mit à rire doucement. — Je vais faire la vaisselle, dit-elle avant de se lever. En la voyant passer devant lui, il remarqua la légèreté de ses épaules qui se soulevaient doucement. Elle se moquait de lui. Il aurait dû s’emporter, mais contre toute attente, son cœur s’allégea. Une impression singulière le traversa : si elle continuait à sourire ainsi, il pourrait bien accepter d’être tourné en dérision. Quand Susan revint, ses mains encore humides, elle s’approcha timidement. — Julian, je voulais te demander… — Quoi encore ? répliqua-t-il sèchement. — Est-ce que tu attends… un ami ce soir ? Un ami ? Son visage s’assombrit immédiatement. Il se souvint de cette fois où elle avait insinué qu’elle ne s’opposerait pas à ce qu’il invite une « connaissance » pour la nuit. Une colère sourde l’envahit. — Tu t’inquiètes de ma vie nocturne, maintenant ? Tu veux peut-être qu’on t’accorde le prix de l’épouse modèle ? Susan en resta bouche bée. Elle ne comprenait pas pourquoi il se mettait en colère, mais se hâta de s’excuser. — Je… je suis désolée. — Tu t’excuses ? Tu ne comprends donc pas ? — C’est juste que je… que je voulais… — Assez ! Dis-moi clairement ce que tu veux. Soulagée de pouvoir enfin s’exprimer, Susan souffla : — J’aimerais rendre visite à mon frère ce soir. Je risque de rentrer tard, alors si tu t’ennuies, tu peux inviter ton ami. Je veux seulement m’assurer que la porte ne… Il l’interrompit, son ton chargé d’ironie : — Tu es vraiment attentionnée. — C’est normal de l’être, répondit-elle simplement. Julian la dévisagea, partagé entre l’envie de l’étrangler et une autre émotion plus difficile à cerner. Finalement, il attrapa son blazer. — Tu sors ? demanda-t-elle. — Tu ne voulais pas voir Jacob ? lança-t-il, le visage fermé. — Attends… tu viens avec moi ? s’étonna Susan. Il roula des yeux avec impatience. — Alors ? Tu viens ou pas ? — Oui ! Allons-y, répondit-elle rapidement. La maison de retraite baignait dans une lueur douce, la lune éclairant la cour de ses rayons argentés. Jacob était assis sur un banc de pierre, un ordinateur portable ouvert devant lui. Ses doigts tapaient avec agilité sur le clavier. — Monsieur Shaw, Mademoiselle Shelby, les infirmières s’inclinèrent poliment en les voyant entrer. — Merci. Reposez-vous un peu, je vais m’occuper de lui, dit Susan avec douceur. Elle avait l’habitude des lieux, et les infirmières lui sourirent avant de s’éclipser. Jacob, absorbé par son écran, ne leva pas la tête. Susan prit place près de lui, observant les lignes de caractères qui défilaient. Elle n’y comprenait rien, mais le simple fait d’être assise à ses côtés la réconfortait. Peu à peu, la fatigue l’envahit. Ses paupières se firent lourdes, et sans s’en rendre compte, elle s’assoupit doucement près de son frère, bercée par le bruit régulier des touches sous ses doigts.
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