Chapitre 10

1216 Words
Jacob pianotait avec concentration sur le clavier, ses doigts allant et venant à une vitesse qui surprit Susan. Elle resta un moment immobile, troublée par la scène inattendue. Julian, observant également, plissa légèrement les yeux. — On dirait qu’il programme quelque chose. Susan écarquilla les paupières. — Programmer ? Mon frère ? Je ne savais pas qu’il en était capable. — Ce n’est qu’une impression, répondit Julian d’un ton neutre. Cela y ressemble, mais je n’en suis pas certain. Susan acquiesça distraitement. Peu importait ce qu’il faisait réellement, ce spectacle inattendu lui réchauffait le cœur. Au moins, son frère semblait absorbé, vivant, animé par quelque chose. Elle le contempla longuement, incapable de détacher ses yeux de lui. Puis Jacob s’interrompit brusquement. Il tourna la tête vers elle et, à la surprise générale, un sourire timide étira ses lèvres. — Susan… Elle se leva d’un bond, une étincelle d’émotion jaillissant dans ses yeux. — Mon frère ! Le choc fut d’autant plus fort qu’à l’époque où son diagnostic était tombé, il ne la reconnaissait plus. Ces simples mots, prononcés avec une telle netteté, représentaient un miracle. Jacob répéta doucement : — Susan. Elle s’approcha, la gorge serrée. — Oui, c’est moi. Ton frère est là. — Susan. — Frère. Le dialogue se réduisit bientôt à cette répétition enfantine, absurde pour un observateur extérieur, mais infiniment précieuse pour Susan. Julian, spectateur silencieux, fronça un instant les sourcils, trouvant la scène étrange, presque incongrue. Pourtant, devant l’émotion visible de la jeune femme, il n’eut pas le cœur d’interrompre leur échange. Il resta donc en retrait, attendant patiemment. Après de longues minutes, Susan parvint à l’apaiser. Jacob s’assoupit, un souffle paisible aux lèvres. Alors seulement, elle se redressa, gênée, et rejoignit Julian. — Je vous ai fait attendre, murmura-t-elle. — Le plus important, c’est que tu en sois consciente. Alors, comment comptes-tu me remercier ? dit-il soudain, réduisant la distance entre eux. Son regard, adouci par la clarté argentée de la lune, prit une intensité troublante. Susan sentit ses joues s’embraser. Son cœur battait si fort qu’elle en perdit ses mots. Elle recula instinctivement. — Je… je ne sais pas… Comment veux-tu que je m’y prenne ? Il la fixa avec gravité, ses pupilles sombres semblant sonder les siennes. — Tu me remercieras plus tard. Quand j’aurai accumulé suffisamment de raisons. Sans lui laisser le temps de répliquer, il tourna les talons. — Allons rentrer. Susan resta figée un instant, le suivant des yeux. Contre toute attente, un sourire involontaire naquit sur ses lèvres. Peut-être que Julian Shaw n’était pas aussi redoutable qu’il le paraissait. De retour chez eux, Susan entra dans la chambre et croisa le vaste lit conjugal. Une nervosité soudaine la saisit. — Julian… comment allons-nous dormir, ce soir ? Il arqua un sourcil, la voix volontairement traînante : — Qu’en penses-tu ? Évidemment, ensemble. Susan devint écarlate. — Mais pas de malentendu, reprit-il aussitôt, comme pour désamorcer la situation. Nous ferons comme hier : toi d’un côté, moi de l’autre. Je tiens à préserver la pureté de mon corps, inutile de le souiller. Elle resta bouche bée. Était-il sérieux ? Était-elle donc une créature impure, indigne de lui ? L’absurdité de ses mots la laissa sans voix, mais paradoxalement, cette provocation finit par la rassurer. Elle enfila son pyjama et se glissa discrètement sous la couverture. Julian la dévisagea soudain, fronçant les sourcils. — Tu portes encore le même pyjama ? Tu ignores donc le principe de changer de vêtements ? Susan, confuse, baissa les yeux. — Je n’en ai que deux. L’autre est encore humide, je l’ai lavé ce matin et il n’a pas séché. Un silence pesant suivit. Julian la fixa, interdit. — Tu plaisantes ? Je t’ai pourtant donné une carte bancaire. L’argent qu’elle contient suffirait à t’acheter des centaines de pyjamas. Susan secoua la tête avec une innocence désarmante. — Je n’ai jamais utilisé cette carte. Mon salaire à Lanyard Construction me suffit largement pour vivre. Julian serra la mâchoire. Plus il observait, plus une évidence s’imposait : elle ne possédait presque rien. Pas de bijoux, très peu de vêtements. Même ses manteaux, il en compta à peine deux dans l’armoire. Il ouvrit le placard, passa en revue chaque pièce soigneusement pliée, puis s’exclama avec irritation : — Deux manteaux seulement ? — Oui. C’est largement suffisant, répondit-elle simplement. — Et cette marque ? Inconnue au bataillon. — Elle n’est pas connue, mais le manteau m’a coûté plusieurs centaines de dollars. C’était déjà beaucoup pour moi, avoua-t-elle, un peu gênée. L’exaspération gagna Julian. Il retira brutalement les vêtements et les jeta à la poubelle. Susan s’élança aussitôt. — Qu’est-ce que tu fais ?! — Je refuse que ma femme se présente dans des accoutrements aussi misérables. Tu veux me faire honte publiquement ? — Ce n’est pas vrai ! protesta-t-elle. Avant, je portais des habits qui valaient à peine quelques dizaines de dollars. Ceux-ci coûtent déjà bien plus cher. Julian la toisa, partagé entre l’agacement et l’amusement. Puis, sans prévenir, il sortit une carte noire et la lui tendit. — Tiens. Si tu oses encore remettre de telles guenilles, je te giflerai sur-le-champ. Susan recula légèrement, intimidée. — Mais ces vêtements… ils sont de bonne qualité… Julian perçut sa réticence et la trouva à la fois risible et agaçante. Après un silence, il reprit d’une voix grave : — N’oublie pas le dîner de famille, dans quelques jours. — J’y ai pensé. J’ai même mis un rappel sur mon téléphone, assura-t-elle en lui montrant l’écran. Il ricana, incrédule. — Tu comptais paraître devant ma mère dans ces habits ? Même si toi tu n’en as pas honte, moi, j’en aurai. Susan battit des paupières, confuse. — Mais je me suis toujours habillée ainsi… Cette naïveté déconcerta Julian. Il se souvenait avoir ignoré volontairement bien des détails sur elle, mais maintenant que la vérité lui sautait aux yeux, il ne pouvait plus faire semblant. — C’était le passé. Aujourd’hui, tu es ma femme. Ma mère attend de voir à quel point tu prends soin de moi. Si tu apparais dans cet état, elle ne croira jamais à notre entente. Demain, tu ne travailleras pas. Tu iras acheter de nouveaux vêtements. Aucun ne devra coûter moins de dix mille dollars. Tu prendras aussi des bijoux. Et je veux les reçus. Si tu dépenses moins de dix millions, prépare-toi à subir ma colère. Susan faillit s’étouffer. — Di… dix millions ?! — Tu m’as bien entendue. Les bijoux doivent refléter ma position. Si tu me ridiculises au dîner, tu le regretteras amèrement. Il lui mit la carte de force entre les mains. — D’accord… murmura-t-elle, complètement sonnée. Mais… — Pas de mais. C’est réglé, trancha-t-il. Susan le fixa alors, désemparée. — Et demain matin ? Tu viens de jeter tous mes vêtements. Je mets quoi ? Julian resta muet, pris à son propre piège. Finalement, il chargea son assistant d’une mission urgente : rapporter des habits pour Susan avant l’aube. À l’aube, tandis qu’il se préparait à partir travailler, Julian lui adressa un dernier avertissement : — Je veux que tu dépenses cette somme aujourd’hui. Alfred t’accompagnera. N’essaie pas de me duper. Susan soupira, une main sur le front. Dix millions à dépenser… en une seule journée. Rien que d’y penser lui donnait le vertige.
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