Le visage de Susan se figea, les mots de Charlotte résonnant encore dans sa tête. « Julian est en voyage d’affaires », murmura-t-elle, comme pour se convaincre elle-même.
« Un voyage d’affaires ? » Charlotte plissa les yeux, sa voix trahissant à la fois surprise et frustration. « C’est vraiment regrettable… »
Susan, essayant de rester polie, proposa : « Y a-t-il quelque chose que vous voudriez lui transmettre ? Je peux vous donner son numéro si vous voulez. »
Charlotte pivota vers elle, ses yeux brillants d’une froide intensité. « Pourquoi aurais-je besoin de ton numéro ? Et toi… tu l’appelles Julian ? Toi, simple servante, tu oses l’appeler Julian comme si vous étiez proches ? Quelle audace ! »
Susan sentit une vague de malaise la submerger. « Je… »
Charlotte n’attendit pas de réponse. « Julian n’y prête peut-être pas attention, il est indulgent. Mais toi, en tant que domestique, tu devrais savoir où est ta place et agir comme il se doit. »
L’autorité dans la voix de Charlotte était telle que Susan pinça les lèvres, incapable de répliquer. Après tout, le mariage avec Julian était un secret, et cette femme qui se tenait devant elle se proclamait intime avec lui, probablement l’une de ses nombreuses conquêtes. Pourtant, contrairement aux fois précédentes où elle observait les aventures de Julian avec un détachement calculé, cette fois-ci, une étrange tristesse l’envahit.
« Tu m’écoutes ou quoi ? » Charlotte fronça les sourcils, son impatience évidente. Susan baissa instinctivement la tête, reconnaissant l’autorité écrasante de la jeune femme.
« Très bien », murmura Susan, silencieuse et humble.
Mais Charlotte n’était pas satisfaite. Ses yeux se plissèrent, et elle ordonna avec assurance : « Lève la tête. » Susan obéit sans réfléchir. La jeune héritière la dévisagea, scrutant chaque détail. « Tu es vraiment belle ! Tout ce que tu portes est de marque. Pas étonnant que tu te crois à ma hauteur. Il semble que ton rôle ne se limite pas à celui de domestique. »
« Je… je ne vous ai pas ignorée, j’étais juste… »
Charlotte secoua la tête, interrompant mentalement Susan. Elle pensait : Haha, ce n’est pas parce que tu as couché avec Julian que tu peux te comparer à moi. La famille Shaw a un statut prestigieux, et la femme de Julian doit en être digne. Tu peux être séduisante, mais n’oublie jamais ton identité de domestique. Présentable, voilà ce que tu dois être.
Susan, encore sous le choc, osa murmurer : « Toi… qui êtes-vous exactement ? »
Charlotte ricana avec un mélange de moquerie et de défi. « Pourquoi ? Veux-tu te plaindre à Julian ? Écoute-moi bien, je suis la seule et unique héritière de la Jenkins Corporation, la future épouse de Julian Shaw ! Essaie de t’adresser à lui et tu verras ce que cela donne ! »
« La seule et unique héritière de la Jenkins Corporation ? » Susan cligna des yeux, surprise. « Quelle Jenkins Corporation ? »
Charlotte fronça les sourcils avec condescendance. « La ville de Ningcheng n’a-t-elle pas assez d’entreprises Jenkins célèbres ? »
Susan resta bouche bée. « Vous… vous êtes Charlotte Jenkins ? »
Elle se souvint des nombreuses fois où Luke lui avait parlé de sa sœur adorée, la décrivant comme mignonne et naïve. Et maintenant, face à elle, Susan comprit instantanément pourquoi. Une seule image valait mille mots.
« Comment connaissez-vous mon nom ? » demanda Charlotte, un éclat de surprise dans les yeux, vite remplacé par une lueur de joie. « Julian t’a mentionnée ? »
Susan resta silencieuse, incapable de formuler une réponse. Charlotte interpréta ce silence comme un accord tacite, renforçant sa certitude qu’elle demeurait inoubliable aux yeux de Julian. L’idée que son départ à l’étranger ait irrité Julian lui donnait une satisfaction silencieuse. Elle rattraperait le temps perdu, pensa-t-elle, le jour où ils se reverraient.
Un éclat déterminé illumina ses yeux. Comme Julian n’était pas présent, elle n’avait aucune raison de rester. « Très bien, j’ai dit ce que j’avais à dire. Reprenez votre travail, mais souvenez-vous : soyez honnête et ne vous laissez pas distraire par des pensées inutiles. »
Elle se retourna et partit, laissant Susan seule avec ses pensées amères.
« Pensées inutiles ? » murmura Susan en se mordant la lèvre. « Si c’est pour être la femme de Julian, alors je le suis déjà. » Mais Charlotte proclamait qu’elle serait la future épouse de Julian… Susan sentit un pincement au cœur.
Leur mariage avait été un accident, un arrangement nécessaire pour protéger Julian. Quant aux origines de Charlotte, elle aurait été un choix parfait pour lui, sur tous les plans. Brusquement, Susan perdit toute motivation à continuer son ménage. Après un moment d’hésitation, elle prit son téléphone et appela Julian.
« Susan ? » La voix de Julian, lorsqu’elle apparut à l’écran, était pleine de surprise et d’enthousiasme. Ses doigts restèrent quelques secondes au-dessus du bouton de réponse, calculant chaque instant, réfléchissant s’il devait montrer trop d’entrain.
Susan attendit, comprenant qu’il était peut-être occupé. Après quelques instants, elle raccrocha, frustrée par le silence.
De son côté, Julian serra les dents. L’appel avait été interrompu avant qu’il ne puisse répondre. « Cette femme aurait-elle attendu plus longtemps ? Peu importe… Elle rappellera sûrement. » Mais même après de longues minutes, aucune notification ne s’afficha sur son téléphone.
Il inspira profondément. Il fallait qu’il la rappelle. « Ce n’est pas par intérêt… » se convainquit-il. « C’est parce qu’elle est trop imprudente et que je crains qu’elle ne mette la famille Shaw en difficulté. »
Sans perdre une seconde, il la rappela. Lorsqu’elle décrocha, il adopta une posture détachée et demanda d’un ton neutre : « Un problème ? Je suis un peu occupé. Sinon… »
En réalité, tout son travail était déjà terminé, et son assistant personnel avait réservé un jet privé pour son retour.
« Non, ce n’est rien d’urgent », répondit Susan rapidement.
Julian, surpris par sa réponse, prit une profonde inspiration et exigea : « Parle-moi ! »
« D’accord, » dit Susan avec empressement, « Charlotte Jenkins, de la famille Jenkins, est venue vous chercher. »
Julian fronça les sourcils. « Charlotte Jenkins ? La prochaine fois que tu la vois, ne lui ouvre même pas la porte. »
Susan hésita. « Ce n’est pas… si simple, n’est-ce pas ? »
Julian s’impatienta : « Quoi ? Tu m’as appelé juste pour me prévenir ? » Il réalisa soudain qu’il s’inquiétait pour elle après une seule journée de voyage.
« Oui… c’est tout, » répondit honnêtement Susan.
Julian éclata d’un rire sec. « Très bien ! » Et il raccrocha brusquement, laissant Susan stupéfaite. Elle réalisa, avec un mélange de frustration et d’admiration, qu’elle venait encore de le provoquer, malgré elle.