Chapitre 18

1157 Words
« Julian, entre donc ! Pourquoi restes-tu planté là ? » lança Madame Shaw d’un ton ferme. Julian s’avança vers Susan, tandis que Charlotte restait immobile, pâle comme un spectre, incapable de masquer la déception et l’incrédulité qui traversaient son visage. Malgré la brièveté de leur relation passée, Charlotte avait toujours cru qu’elle se distinguait de toutes les autres femmes de Julian. Trois années de réflexion et d’ambition l’avaient conduite à revenir, convaincue qu’elle pouvait conquérir son cœur. Elle avait imaginé mille scénarios pour cette rencontre, chacun plus parfait que l’autre. Mais rien, absolument rien, ne correspondait à ce qu’elle voyait maintenant. Julian avait trouvé une femme… et il se tenait devant elle avec Susan. Le pire, dans tout cela, était qu’elle s’était vantée la veille de sa proximité avec lui. Charlotte sentit son visage brûler de honte et de frustration. Elle n’était plus la femme sûre d’elle qu’elle avait cru être ; à présent, elle se sentait la plus sauvage et la plus démunie. Si un trou s’était ouvert sous ses pieds, elle s’y serait précipitée pour disparaître. « Tu t’es bien comportée ces derniers jours », déclara Madame Shaw à Susan d’une voix neutre, presque distante. « On m’a dit que Julian se montrait très sage récemment. » « Oui, c’est exact », répondit Susan, redressant la tête et essayant de contenir sa nervosité. Madame Shaw, stricte et sévère, imposait le même respect qu’un professeur de discipline, et Susan, bien qu’habituée à l’autorité, sentit un frisson la traverser. « Pourquoi cette nervosité, petite ? » continua Madame Shaw en fronçant les sourcils. « Crois-tu que je vais te dévorer ? On peut bien sortir la fille du village, mais jamais le village de la fille ! » Susan savait que Madame Shaw n’avait jamais vraiment eu d’affection pour elle. Son milieu modeste, les difficultés liées à son frère aîné malade, tout cela la rendait éloignée d’une famille comme la sienne. Sans la prophétie d’une diseuse de bonne aventure, qui avait lié la destinée de Susan à celle de Julian, elle n’aurait jamais envisagé de l’accueillir comme belle-fille. Pourtant, depuis le mariage, Susan avait appris à tempérer ses manières extravagantes, ce qui avait gagné un semblant de tolérance de la part de Madame Shaw. Susan baissa la tête, consciente que sa reconnaissance envers cette femme plus âgée allait bien au-delà de simples convenances : elle devait sa vie à Madame Shaw, car c’était grâce à elle que son frère avait survécu. Quelques paroles dures importaient peu. Cette obéissance aggravait en revanche Charlotte. Elle observa la scène avec une frustration croissante : Susan se montrait humble, docile, et Madame Shaw semblait satisfaite de cette posture. « Charlotte, regarde ta belle-fille… Elle semble si pitoyable, comme si je la tyrannisais. Suis-je si effrayante que cela ? » demanda Madame Shaw avec un mélange de malice et de provocation. Le visage de Charlotte s’éclaira d’une lueur d’espoir. Si Madame Shaw critiquait Susan, il y avait peut-être une chance. Elle esquissa un sourire et s’approcha, adoptant un ton enjoué et faussement léger : « Ma tante, vous êtes si chaleureuse et gentille… Le mot « effrayante » n’existe pas près de vous ! » Elle parla avec aisance tandis que Madame Shaw lui témoignait une attention calculée. Puis son regard se tourna vers Susan : « Apprends de ces qualités, ma chère. » Susan inclina légèrement la tête et murmura : « Oui, tante. » L’atmosphère restait tendue et maladroite. Julian fronça les sourcils et intervint : « Maman, arrête de donner des leçons. Où est le dîner ? » « Puisque tu as faim, mangeons », répondit Madame Shaw. Puis, s’adressant à Charlotte : « Charlotte, reste donc dîner avec nous. » Charlotte baissa les yeux, feignant la timidité. « Je ne pense pas que ce soit pratique… » « Quoi ? » s’étonna Madame Shaw. « Tu te plains de la simplicité de notre vaisselle familiale ? » « Non, pas du tout. Alors… je resterai dîner avec vous, tante », répondit Charlotte avec un sourire contrit. Madame Shaw, fidèle à ses règles strictes, imposait un silence absolu pendant le repas. Susan s’assit droite, ne prenant que ce qui se trouvait directement devant elle, sans oser toucher aux plats plus éloignés. Alors qu’elle s’efforçait de manger avec précaution, une crevette décortiquée apparut dans son bol. Elle jeta un coup d’œil et vit Julian, sérieux, en train de décortiquer le reste des crevettes pour elle. Susan ouvrit la bouche pour remercier, mais la discipline de Madame Shaw l’empêcha de prononcer un mot. Charlotte, en voyant ce geste, sentit sa colère monter. Julian n’avait jamais été aussi attentionné envers elle quand ils sortaient ensemble ! « Quel genre de sort Susan a-t-elle lancé pour que Julian la traite ainsi ? » pensa-t-elle en serrant les baguettes dans ses mains, incapable d’accepter la réalité. Si Susan avait été exceptionnelle, Charlotte aurait compris. Mais elle semblait si ordinaire… Alors comment pouvait-elle être l’épouse de Julian ? À la fin du repas, Madame Shaw s’essuya le coin de la bouche, signalant que la conversation était à présent permise. Charlotte se leva pour partir. Madame Shaw ne la retint pas ; inviter quelqu’un à dîner relevait de la politesse, au-delà il n’y avait rien d’obligatoire. Charlotte lança un dernier regard profond à Julian avant de se retirer. Les événements de la soirée dépassaient son contrôle, mais une information cruciale s’était imposée à elle : Julian avait une épouse, et cette femme s’appelait Susan Shelby. Elle allait devoir enquêter, comprendre comment une femme si ordinaire avait conquis Julian. Lorsque Charlotte fut partie, Madame Shaw se tourna vers Susan : « Comment vas-tu ce mois-ci ? » Susan comprit la question implicite et, tirant légèrement sur le coin de ses vêtements, répondit avec humilité : « Rien de particulier pour l’instant, tante. » « Rien encore ? » s’étonna Madame Shaw, visiblement insatisfaite. « Vous êtes mariée depuis plus d’un an. Pourquoi n’êtes-vous pas encore enceinte ? Ne tenez-vous pas compte de l’exemple des autres femmes qui refusent d’avoir des enfants par peur de prendre du poids ? » Susan baissa à nouveau la tête, consciente que Julian n’était pas particulièrement tendre avec elle, et donc… avec qui aurait-elle un enfant ? Madame Shaw poursuivit, implacable : « Julian, toi aussi, rentre plus souvent ! Peu importe tes occupations, concentrez-vous sur l’essentiel : assurer la lignée. » Julian soupira, irrité. « Maman, n’as-tu pas fini de répéter la même chose ? » « Tu te plains parce que j’ai dit quelques mots ? » répliqua Madame Shaw, le regard perçant. Julian s’empressa de s’excuser : « Non, non… » Madame Shaw grogna avec exaspération. « Les jeunes d’aujourd’hui ont trop de distractions. Parfois ils veulent un DINK*, parfois… » Elle était sur le point de continuer sa leçon quand le téléphone de Julian se mit à sonner. Il décrocha, et son visage se fit soudain sérieux.
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