PROLOGUE

718 Words
PROLOGUE Katy Philbin descendait les marches avec prudence, mais en gloussant. Arrête ! se répétait-elle. Qu’est-ce qu’il y avait de si drôle ? Qu’est-ce qui lui prenait de glousser comme une gamine ? Elle avait dix-sept ans ! Elle aurait tellement préféré se comporter comme une adulte sérieuse et responsable. Après tout, lui, il la traitait en adulte. Il lui avait parlé comme à une adulte pendant toute la soirée et lui avait donné l’impression d’être spéciale et digne de respect. Il l’appelait même Katherine, au lieu de Katy. Ça lui plaisait vraiment beaucoup qu’il l’appelle Katherine. Elle aimait aussi les boissons d’adulte qu’il lui avait préparées toute la soirée. Il appelait ça des Mai Tais. C’était tellement sucré qu’on devinait à peine le goût de l’alcool. Et maintenant, elle ne se rappelait plus combien elle en avait bu. Etait-elle saoule ? Oh, ce serait terrible ! pensa-t-elle. Que penserait-il d’elle s’il voyait qu’elle ne tenait pas l’alcool, pas même quelques verres très sucrés avec des glaçons ? Elle était de plus en plus étourdie. Et si elle tombait dans les escaliers ? Elle baissa les yeux vers ses pieds, en se demandant pourquoi ils ne bougeaient pas comme ils le devraient. Et pourquoi faisait-il si sombre par ici ? Pour sa plus grande gêne, elle ne se rappelait plus exactement ce qu’elle faisait dans cet escalier qui ne cessait de s’allonger. — Où on va ? demanda-t-elle. Sa voix bourdonnait et trainait dans sa bouche. Au moins, elle avait réussi à ne pas glousser. — Je te l’ai déjà dit, répondit-il. Je veux te montrer quelque chose. Elle regarda de tous côtés pour le retrouver. Il devait être en bas des escaliers, mais elle ne le voyait pas. Une seule lampe crachait de la lumière dans un coin. Mais cela lui suffit pour lui rappeler où elle se trouvait. — Ah ouais, murmura-t-elle. Dans votre cave. — Ça va ? — Ouais, dit-elle en tâchant de s’en convaincre. J’arrive tout de suite. Elle obligea son pied à descendre la marche suivante. Elle l’entendit dire : — Allez, Katy. Ce que j’ai promis de te montrer se trouve juste là. Elle se rendit compte vaguement… Il m’a appelée Katy. Elle en ressentit une étrange déception, après avoir été Katherine toute la soirée. — J’arrive tout de suite, dit-elle. Sa voix était de plus en plus trainante. Et pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, elle trouvait ça très drôle. Elle l’entendit étouffer un rire. — Tu t’amuses bien, Katy ? demanda-t-il d’une voix agréable – une voix qu’elle aimait et qui la mettait en confiance depuis des années. — Ouais…, dit-elle en gloussant à nouveau. — Tant mieux. Le monde nageait autour d’elle à présent. Cramponnée à la rampe, elle s’assit sur les marches. Il parla à nouveau d’une voix moins patiente. — Dépêche-toi, gamine. Je ne vais pas rester là toute la journée. Katy s’obligea à se lever. Elle avait du mal à s’éclaircir les idées. Elle n’aimait plus tellement le ton de sa voix. Mais pouvait-elle lui en vouloir de s’impatienter ? Qu’est-ce qu’elle avait ? Pourquoi n’arrivait-elle pas à descendre ces stupides escaliers ? Il lui était de plus en plus difficile de se concentrer sur l’endroit où elle était et ce qu’elle faisait. Elle lâcha la rampe et se rassit sur la marche. Elle se demanda à nouveau combien elle avait bu de verres. Puis elle s’en souvint. Deux. Seulement deux ! Bien sûr, elle n’avait pas bu du tout depuis cette horrible nuit… Jusqu’à maintenant. Mais seulement deux verres. Pendant une seconde, elle eut du mal à respirer. Ça recommence ? Elle se dit d’un ton ferme qu’elle était idiote. Elle était en sécurité avec un homme en qui elle avait confiance depuis toujours. Et elle se ridiculisait. C’était pourtant la dernière chose qu’elle voulait – se ridiculiser devant lui, alors qu’il avait été si gentil et qu’il lui avait préparé des cocktails… Et maintenant, tout était noir, flou, brumeux. Et une étrange nausée lui tournait dans le ventre. — J’me sens pas bien, dit-elle. Il ne répondit pas. Elle ne le voyait plus. Elle ne voyait plus rien. — Je… J’dois rentrer à la maison, dit-elle. Il ne répondit toujours pas. Elle tendit la main à l’aveuglette dans le noir. — Aidez-moi… à m’lever. Aidez-moi à m’lever. Elle entendit des pas se diriger vers elle. Il va m’aider, pensa-t-elle. Alors pourquoi avait-elle cette sensation de crispation et de nausée ? — R’menez-moi à la maison, dit-elle. Sh’il v’plait. Vous v’lez bien ? Ses pas s’arrêtèrent. Elle devina sa présence juste devant elle, même si elle ne pouvait pas le voir. Mais pourquoi ne disait-il rien ? Pourquoi n’essayait-il pas de l’aider ? Ce fut alors qu’elle comprit ce qu’était cette nausée crispante qui lui tordait le ventre. La peur. Elle rassembla ses dernières miettes de volonté et se cramponna à la rampe pour se lever. Il faut que je parte, pensa-t-elle. Mais elle était incapable de prononcer les mots à voix haute. Katy reçut un formidable coup sur la nuque. Et elle ne sentit plus rien du tout.
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