Les Cévennes. Un grand paysage de roches et de châtaignes, calme, paisible. L’atmosphère portait l’odeur du sol mouillé, des feuilles vert foncé, d’un repos sans fin. Élise avait pris des chemins serrés, puis des virages entre des petits villages figés, avant d’apercevoir une planche abîmée marquée « Laval ».
Le petit village comptait juste quelques maisons en pierre collées à la montagne, les unes tombant en morceaux, les autres bien gardées. Dès qu’elle arriva, elle identifia la maison du dessin de son paternel. Celle-ci se dressait devant elle, plus imposante et mieux f****e que sur le croquis, plantée là comme si la terre l’avait crachée elle-même.
Elle s'est garée, le cœur qui bapait plus vite que jamais, puis a avancé pas à pas. L’endroit, tranquille au point que ça serre un peu la gorge. Pas de moteur ni de voix, venue d’un écran. Juste les oiseaux qui chantaient pendant que le vent soufflait doucement.
Elle cogna contre la grande porte en bois, le bruit sourd de ses doigts se perdant dedans. Rien ne bougea pendant plusieurs secondes. Juste avant de recommencer, un craquement léger monta tandis qu’elle s’ouvrait à peine.
Un type était planté dans l’encadrement. Environ la soixantaine, cheveux poivre en brosse, figure marquée par des années de plein air. Un pantalon fatigué, une chemise élimée habillaient son corps. Son regard, froid comme du granit cévenol, la fixa sans douceur. Celui-là même. L’homme sur l'image. Âgé, plus rugueux, pourtant impossible de s’y tromper.
« Ouais ? » Il parlait d’un ton grave, comme ceux qui vivent seuls et ne font confiance à personne.
« Liam ? » a lancé Élise, hésitante dans le ton.
L’homme s’est immobilisé net. Ses yeux, déjà scrutant la route au-delà d’elle à la recherche d’un risque, ont fait volte-face vers les siens. Il l’a dévisagée avec une attention presque trop vive, examinant chaque trait de son visage. Puis tout à coup, sa mine a basculé. La froideur fut remplacée par un choc total, proche de la panique. Son visage devint blanc comme neige tandis que ses mains agrippaient le rebord du cadre de porte.
« C’est… c'est impossible », souffla-t-il, presque sans voix. Les larmes montèrent, malgré ses efforts pour les retenir. « Tu lui ressembles tellement. À Léa. »
Le prénom a brisé le calme d’un coup. Léa. Ce « L » sur l’image floué. La femme qu’on disait être sa mère.
« Léa ? » a soufflé Élise, les genoux qui tremblaient.
Liam observa encore une fois au-dehors, hésitant. Ensuite, il se décida et recula.
« Viens. Dépêche-toi. »
Elle entra dans la maison, tout juste éclairée et calme. La pièce principale était spacieuse, meublée simplement : un large plateau de bois trônait là, près d’un foyer en roc où brillaient encore des tisons. Des rayons pleins de bouquins couvraient le mur. Cette maison, esquissée jadis par son père, respirait maintenant.
Liam a fermé la porte, puis il a tiré les deux verrous massifs. Un grincement métallique a marqué leur isolement. Ensuite, il s’est retourné vers elle, bras croisés, comme s’il bloquait ce qu’il ressentait.
« Qui t'envoie ? » lança-t-il, le ton soudain sec. « La boîte ? Vasseur peut-être ? »
« Je ne suis envoyé par qui que ce soit. J’ai découvert… un carnet appartenant à mon père. Avec cette adresse dedans. Et puis votre nom aussi »
« Jean, il n’était pas ton père », lâcha-t-il d’un ton sec.
La phrase, lancée si violemment, lui a fait perdre l'équilibre. Appuyée sur le dos d’une chaise, elle peinait à tenir debout.
« Alors c’est qui ? » dit-elle, d’une voix tremblante. « Quel rôle j’ai ici ? »
Liam poussa un soupir, une expiration sans énergie, marquée par le fardeau du temps passé. Il s’affala sur un banc, lentement, en frottant ses yeux avec sa paume.
« Tu es la fille de ma sœur. De Léa. Et de Marc. » Il releva le regard, avec une souffrance brute, profonde, presque vieille. Je suis ton oncle. »
Ton oncle. Cette phrase tournait dans la tête d’Élise. Elle fixait ce type, qu’elle n’avait jamais vu, en espérant trouver un air de famille, un truc qui sonne juste. Mais non. Juste le vide de ses souvenirs manquants.
« Mais... l'incendie ? Mes parents... Édith et Jean ? »
Une grimace amère tordit les lèvres de Liam.
« L’incendie, ça ne s’est pas passé comme ils disent. C’était juste une excuse inventée. Édith et Jean, en vrai, se connaissaient bien. Ils t’ont gardée chez eux pour t’éloigner du danger. Personne ne devait savoir où tu étais. Alors ils ont fait semblant, jour après jour. Juste pour que tu survives. »
Pour te dissimuler. T'arracher au danger. Ce que disait la clé USB devenait soudain réel, d'une manière affreuse.
« Me sauver de quoi ? » chuchota-t-elle.
Liam l’observait sans rien dire, on aurait dit qu’il mesurait si elle était prête à encaisser ce qui venait après.
«De la Fondation Mnémosyne. Parce que tes vrais parents, Léa et Marc, avaient découvert la vérité sur leurs expériences. Et la Fondation les a fait disparaître pour ce protéger. »
Elle se tenait là, pile au milieu du truc. Debout dans la maison de ses vrais parents, devant un oncle sorti de nulle part. Tout ce qu’elle pensait connaître s’était brisé d’un coup. Ce qu’elle croyait être son passé venait d’éclater. Pas une seule chose était comme avant. Sa vie entière semblait fausse maintenant.
Elle regardait Liam, cette homme bourru au regard lourd, quand un craquement léger brisa le bloc de méfiance en elle. Peu à peu, une réalité affreusement claire surgissait - inacceptable, mais réelle.