Docteur Laurent Vasseur

1030 Words
La fondation Mnemosyne occupait un bâtiment en verre et métal, une forme moderne qui semblait défier la pesanteur au milieu du 16e arrondissement. Dès qu’elle passa les portes coulissantes, Élise se retrouva dans un calme absolu, presque trop net, très différent de l’ambiance vivante de son studio. Ici, tout était contrôlé : l’air circulait lentement, sans variation. Rien d’autre que des odeurs propres, froides, jamais usées. « Madame Corbin ? Le Docteur Vasseur vous attend. » L’accompagnatrice, polie comme une robot, la mena dans des couloirs tout blancs. Des écrans montraient sans fin des images de connexions nerveuses, aussi bien que des courbes flatteuses. Ici, chaque détail visait à rassurer, à poser un calme numérique. Pourtant pour Élise, chacun de ses pas sonnait plutôt comme une approche lente vers le terrier du prédateur. Laurent Vasseur est arrivé avec un sourire, dans une pièce presque vide. Des cadres chics pendaient au mur, rien d’autre qu’un objet coloré qui bougeait doucement - une sculpture légère faite pour danser avec l’air froid venu de la climatisation. « Élise ! Ça fait plaisir de te croiser à nouveau. Tu as beaucoup changé… » dît t'il en prenant sa main, sans trop appuyer. La quarantaine derrière, l’œil vif mais doux, un costard ajusté comme il faut. On aurait dit quelqu’un qui dirige sans crier. « Docteur Vasseur. Je vous remercie de m'avoir accordé ce rendez-vous. — Laurent, entrez donc. Je connais votre mère depuis toujours. » Il pointa du doigt un siège en cuir usé. « Alors, vous vous intéressez à nos travaux ? Je suis ravi. L'art et la science ont tant à se dire. » Elle prit place, tentant de ne pas avoir l’air tendue. « Oui. J’ai en tête un projet autour de la mémoire - leurs marques, leurs trous aussi. Ce que vous faites… c’est drôlement captivant. » Il hocha la tête, les mains croisées sous le menton. « La mémoire, c’est comme une terre libre en chacun de nous, Élise – un lieu secret qu’on tente d’explorer pour guérir ce qui fait mal. » Il inclina légèrement le visage, les yeux soudain plus profonds, plus proches. « Et sinon, comment se porte votre mère ? » La question, toute simple, a déclenché un signal d’alerte dans l’esprit d’Élise. Mieux vaut rester méfiante envers tout le monde. « Elle a de bons et de mauvais jours. Cette maladie… c’est dur à vivre. — Je le sais. » Sa voix prit un air plus doux, presque triste. « Édith a tant souffert, après cet incendie. Nous avons tout tenté pour l'aider, votre père et moi. Pour vous aider, vous aussi. » L’incendie. Ce terme l’a frappée net. La voix dans la clé USB mentionnait ses véritables parents « sacrifier ». Vasseur, à sa manière, décrivait un feu ravageur. Elle devait jouer le jeu. « Je... j'ai du mal à me souvenir de cet incendie, en fait. C'est comme un trou noir. » — « C’est plutôt une chance, tu sais. Il fit un signe calme. Parce que pour une gamine, ce choc-là… c’était trop lourd. Ton esprit d’enfant a choisi d’oublier cette nuit affreuse. Ce qui est normal : le cerveau le fait parfois. Déjà avant, on étudiait comment la mémoire se réorganise après un choc v*****t. On a réussi à réparer des patients… pour qu’ils retrouvent des morceaux de leur passé sans paniquer. » Réparer. Ce terme sonnait bizarrement, un peu comme un déguisement pour « récrée ». « Vous voulez dire... effacer les mauvais souvenirs ? — Ah non, pas « effacer ». Jamais. » Il rit doucement, pareil face à un gamin avec une idée folle. « On aide juste le cerveau à tout remettre en place. Pour que ça fasse moins mal dans la tête. C'est une thérapie, pas un lavage de cerveau, t’inquiète. » Mais elle n’était pas dupe. Quand il insistait pour la tranquilliser, elle doutait encore davantage. Tout chez lui semblait calculé, sans faille. Chaque réponse sonnait comme apprise par cœur. « Et mes parents... mes vrais parents ? » Ce mot sortit tout seul, poussé par une sorte de bravade. Un silence. Bref. Le sourcil de Vasseur a tremblé un instant, puis est revenu net. Ses yeux, pour la toute première fois, l’ont détaillée, comme s’il la jaugeait. « Édith et Jean, c’est eux tes parents, Élise. Ils t’ont donné leur amour, ils t’ont fait grandir. Après tout, le reste… Franchement, ça compte vraiment ? » Il s'est redressé, comme pour dire : on en a fini ici. « Fais gaffe aux ombres du passé, ma chère. Et aussi aux idées farfelues qui traînent partout en ligne. La réalité ? La réalité, elle est plus souvent simple - mais plus lourde à porter. » Il lui offrit sa main. « Ce fut un plaisir. Si jamais tu as d'autres questions, n'hésite pas. Et surtout, prends soin de ta mère. Elle a besoin de toi. » Devant l’entrée, il ajouta presque distraitement : « Au fait, ton travail de restauration est si minutieux. Récemment, tu ne serais pas tombé par hasard sur une chose bizarre dans un tableau ? Quelque chose de cacher ? » La question, même si elle semblait normale, lui donna froid dans le dos. À ce moment-là, elle repensa à la clé USB cassée en petits morceaux. « Non, pas de surprise. Rien que des traces de poussière avec un reste de peinture ancienne » Le sourire de Vasseur tient bon. « C’est un peu triste, finalement. Ce genre d’endroit peut avoir une drôle de magie, par moments. À plus tard, Élise. » Dehors, sur le bitume, elle marque une pause pour respirer, le cœur qui battait fort. L’échange ? Un affrontement poli où elle avait cédé. Rien de ce qu’il disait ne filtrait. En plus, il plantait l’incertitude. Sa dernière phrase, en particulier, n’était pas neutre. Plutôt un signal. Il était au courant. Elle avait découvert quelque chose, c’est sûr. Du coup, il tenait à ce qu’elle comprenne qu’il était informé. La trouille est devenue nette, précise. Laurent Vasseur, l’ami proche de ces parents, ce brillant docteur, racontait des faussetés. Du coup, elle n’avait personne d’autre vers qui ce tourné.
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