Les marques

1125 Words
Le réveil d’Éléa vibra doucement sur sa table de chevet, mais elle était déjà éveillée. Depuis combien de temps restait-elle ainsi, allongée sur le dos, les yeux rivés au plafond, immobile ? Une heure ? Deux ? La nuit s’était écoulée au ralenti, troublée de rêves étranges, d’images floues où des forêts tournaient, où une paire d’yeux dorés l'observait sans relâche. Et à chaque fois qu’elle pensait sombrer dans le sommeil, elle sentait à nouveau le sol froid sous ses genoux, la peur sourde, la bête immense fondant sur elle, et l’ombre du garçon surgissant de nulle part. Elle passa lentement une main sur son front, puis sur sa clavicule. Elle sentit la marque. Elle se redressa brusquement, alluma la lampe de chevet et se leva pour aller au miroir. Sous le tissu de son pyjama, elle retroussa l’encolure et observa à nouveau le dessin sombre, comme une griffure ancienne, à peine cicatrisée. Ce n’était ni une blessure, ni un tatouage. Plutôt… un symbole. Une forme courbe qui se croisait deux fois, comme une sorte de croissant de lune déformé. Elle passa doucement son doigt dessus. La chaleur revint, comme la veille. Une sensation qui ne lui appartenait pas. Ce n’était pas un rêve. Elle avait été attaquée. Elle avait vu cette chose. Et elle avait été sauvée. Mais… pourquoi ? Et surtout, par qui ? Un visage lui revint en mémoire. Jeune. Peau légèrement hâlée. Cheveux noirs en bataille. Des yeux si étranges qu’ils semblaient impossibles. Dorés, lumineux, presque fauves. Et cette voix : > « Tu comprendras bientôt. » Elle n’avait rien compris. Rien du tout. Et cette marque qui brillait légèrement à la lumière du matin… c’était peut-être le seul indice qu’il lui avait laissé. Le petit-déjeuner se déroula dans un silence tendu. Sa mère tapait furieusement sur son clavier d’ordinateur portable posé à côté de sa tasse, à moitié maquillée, visiblement pressée. — Tu ne manges rien, Éléa ? demanda-t-elle sans vraiment lever les yeux. — J’ai pas faim. — T’as une sale tête, d’ailleurs. T’as dormi ? — Pas trop. — Mauvais rêve ? Éléa hésita. Une partie d’elle avait envie de tout raconter. L’attaque. Le garçon. La marque. Mais elle connaissait la réponse à l’avance : Tu lis trop de conneries sur Internet. Alors elle haussa simplement les épaules. — Tu devrais aller voir un médecin, reprit sa mère. Ces insomnies reviennent souvent. — C’est pas une insomnie, murmura-t-elle pour elle-même. — Quoi ? — Rien. Elle finit par se lever et attrapa son sac. — Je vais au lycée. — Prends un fruit au moins ! lança sa mère. Ou du chocolat. Le sucre, ça aide le cerveau à fonctionner. Éléa sortit sans répondre. Le froid du matin la frappa dès qu’elle mit le pied dehors. Le ciel était encore pâle, le vent piquant. Elle rabattit sa capuche sur sa tête et accéléra le pas. Sa rue était silencieuse, à l’exception du vieux chien de la voisine qui aboyait comme chaque matin. Tout semblait normal. Et pourtant… Elle avait la sensation d’être observée. Depuis le moment où elle avait quitté sa chambre. Chaque reflet dans une vitre. Chaque silhouette croisée. Tout lui semblait suspect. Irréel. Et cette marque, sous sa peau, continuait de chauffer doucement, comme un avertissement qu’elle ne comprenait pas. Quand elle arriva devant le portail du lycée, son cœur s’arrêta une fraction de seconde. Il était là. Appuyé contre un réverbère, de l’autre côté de la rue. Mains dans les poches. Calme. Droit. Et ses yeux… toujours les mêmes. Dorés. Fixés sur elle. Inoubliables. Elle resta figée. Les élèves passaient autour d’elle sans la voir, comme si elle avait disparu du décor. Elle n’entendait plus leurs voix. Elle ne sentait plus le froid. Il s’avança d’un pas. Elle fit de même, instinctivement. Mais une voiture passa entre eux. Et lorsqu’elle eut disparu… lui aussi s’était volatilisé. — Éléa ! Elle sursauta. Malika venait d’arriver, le sourire aux lèvres. — T’étais où hier soir ? Je t’ai attendue devant la grille, j’ai même envoyé un message ! — J’ai... j’ai dû rentrer par un autre chemin, répondit-elle vaguement. — T’as une tête de zombie. C’est à cause du contrôle de maths ? Parce que moi, c’est mort, je vais frauder sur Yacine. Éléa esquissa un sourire, mais son cœur battait encore trop vite. — Ouais. Le contrôle. Les cours défilèrent sans qu’elle ne parvienne à se concentrer. Les mots du prof lui semblaient flotter dans l’air, les pages de son cahier restaient blanches. À chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle revoyait les griffes, les crocs. Et lui. Toujours lui. Comme une ombre dans sa mémoire. À midi, elle s’éclipsa de la cantine. Prétexta un mal de tête. Se réfugia derrière le bâtiment A, là où personne n’allait jamais. Un endroit calme, isolé. — Tu m’as suivie ? dit-elle à haute voix. Silence. — Je sais que t’es là. Je t’ai vu ce matin. Dis-moi qui tu es. Rien. Elle inspira profondément. — J’ai besoin de réponses. Qu’est-ce que c’était, cette chose dans la forêt ? Et pourquoi j’ai ça ?! Elle ouvrit son manteau et tira sur son col. La marque brillait faiblement sous la lumière grise du ciel. Et une voix s’éleva derrière elle. — Tu n’aurais pas dû la montrer. Elle se retourna d’un bond. Il était là. À quelques mètres. Silencieux. Toujours aussi calme. — Tu... — Tu m’as appelée, non ? Tu veux des réponses. — Oui. — Alors écoute-moi bien. Ce que tu as vu cette nuit-là… ce n’était que le début. Et cette marque, c’est une preuve. Une connexion. — Connexion avec quoi ? — Avec ta vraie nature. Éléa recula d’un pas, les bras croisés contre elle. — Tu racontes n’importe quoi. — Je sais que c’est difficile à croire. Mais dis-moi : est-ce que tu te sens toujours normale depuis hier ? Est-ce que tu dors ? Est-ce que tu sens cette énergie, sous ta peau, quand tu touches cette marque ? Elle ne répondit pas. — Tu es en train de changer, Éléa. Et tu n’as plus beaucoup de temps avant que d’autres ne s’en rendent compte. — D’autres ? Il s’approcha lentement. — Ceux qui ont senti ton odeur cette nuit. Ceux qui chassent les tiens. Ceux qui veulent ton sang. — Mes "tiens" ? Je suis humaine, moi. Il la regarda avec une intensité presque douloureuse. — Tu croyais l’être. Mais tu ne l’es plus. Pas entièrement. Un silence tendu s’étira entre eux. Les feuilles frémissaient dans le vent. — Qui es-tu ? demanda-t-elle, presque à voix basse. — Je m’appelle Kaël. Et je suis là pour te protéger. — Me protéger de quoi ? Il détourna les yeux. — De ce qui arrive
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