Chapitre 1 - N'y va pas

1319 Words
- N’y va pas, ma petite soeur m’avertit pour la deuxième fois, les yeux rivés sur son devoir de maths. Je roule des yeux. Elle parle comme si j’allais me jeter à la gueule du loup. Elle continue : - Je suis sûre qu’il y a seulement de vieux tableaux pourris et des araignées qui te tomberont sur la tête. Elisa est clairement la plus raisonnée de nous deux même si je suis censée être la grande soeur. Elle se penche sur sa table sans me jeter un regard de plus. Je soupire. J’ai 23 balles sur mon compte et la facture d’électricité qui me fixe du coin de l’écran. Je réfléchis quelques secondes avant de répondre, un peu agacée : - Je ne vois pas comment payer les prochaines factures si je ne trouve pas un moyen rapidement. Et hors de question de vendre mes fesses sur OnlyFemme. Je murmure, presque pour moi même : - De toute façon, qu’est-ce que je perds à y aller ? Cette baraque est à l’abandon depuis des années. Je sais qu’elle est vide. Enfin… Tout le monde dit qu’elle est hantée. Et rien que d’y penser, j’en ai des frissons. La nuit, les fantômes, j’ai jamais aimé ça. Depuis gamine, je crois qu’un truc m’attend derrière chaque porte. Mais le besoin d’argent me pousse à y aller. Si je vois un vieux meuble qui traîne, je le prends. Et je le revends. Point. Mon plan est prêt. J’y vais vers minuit. Je prie pour qu’il n’y ait pas de gardien. Je fais un tour vite fait. Je prends ce que je trouve. Une vieille lampe vintage ? Parfait, ça fera l’affaire. Simple et efficace. Enfin, en théorie. Dans les films, ça se passe toujours mal. Je me souviens qu’un gamin de mon collège disait avoir vu une ombre à l’étage… Brr, je prie pour qu’il n’y ait pas de fantôme pitié. Y’a aussi la vieille folle devant l’église qui marmonne toujours « la maison respire, la maison mange ». Bah moi aussi j’aimerais bien manger à la fin du mois, ça tombe bien. Honnêtement, je n’aime pas enfreindre la loi mais je ne fais de mal à personne. Je regarde Elisa penchée sur son cahier de maths. Elle est brillante, elle mérite mieux. Moi ? Trois mois à Macdo, un bac qui sert à rien et des candidatures qui tombent dans le vide. J’ai pas de plan. Juste la peur qu’elle finisse comme moi. 23h30. Je stresse. Et si c’était une mauvaise idée ? Et si la maison était vraiment hantée ? Je regarde mon compte en banque. Papa était censé nous envoyer 200 euros ce mois-ci. C’est raté. Je soupire. - On a pas de l’eau bénite quelque part ? je crie à Elisa. Elle ne m’entend pas, elle doit sûrement être au lit déjà. Je prends mon manteau en cuir noir, posé sur le porte-manteau cassé. Allez, tu peux le faire Billie ! Je me conforte moi-même. Je sors dans la nuit, munie de mon sac de sport. J’ai ramené une vieille carte de cantine et un cutter pour forcer la porte, si jamais. Avec un peu de chance, elle doit être aussi fatiguée que moi. Après 15 minutes de marche dans le froid, j’arrive enfin devant la bâtisse. Elle est là, imposante même dans ce silence. Elle semble plus grande que dans mes souvenirs. Ca devait autrefois être une très belle maison avec ses six colonnes blanches. Le genre de villa bourgeoise avec ses volets assortis, ses grandes fenêtres et sa symétrie parfaite. Aujourd’hui ? Les volets pendent de travers. La peinture cloque. Le blanc des poteaux qui soutiennent l’édifice est sali par le temps. Le porche est couvert de feuilles mortes et le balcon central menace de s’effondrer. Le gazon n’a pas été entretenu depuis des années. Et ce silence… Pas un criquet. Pas un vent. Pas même le bruissement des branches. Le genre de silence qui colle à la peau. Je fais quelques pas en avant, peu sûre de moi. La lune éclaire juste assez pour que je puisse distinguer les formes autour de moi. C’est la pleine lune ce soir. J’ai emmené une lampe torche. Je l’allume et monte les quelques marches qui me séparent de la porte. - S’il y avait un gardien, je pense qu’il m’aurait déjà attrapé, je me racle la gorge, hésitante. C’est parti. Je fouille dans ma poche à la recherche de ma carte et de mon cutter. Je cale ma lampe sous mon bras et m’approche de la porte, cutter et carte en main. Prête à en découdre. Je jette un dernier regard autour de moi, tendue. Personne. Je pose la main sur la poignée, prête à tester ma technique de cassos… Et elle tourne. Ah. Je range ma pauvre carte et mon cutter en même temps que ma dignité. Ça m’apprendra à vouloir m’introduire dans une maison toute délabrée. La porte s’ouvre dans un grincement lent. L’intérieur est vraiment sombre. Je me retiens de partir en courant. J’ai toujours détesté l’obscurité depuis qu’Elisa m’a enfermée dans le noir une fois. On jouait à invoquer Bloody Marie dans la salle de bain en primaire. Satanée Elisa. Je prends une grande respiration et entre. - Euh… Y a quelqu’un ? je lance, comme une idiote. Je suis vraiment la blonde dans les films d’horreur, faut croire. Je m’avance lentement vers le centre de la pièce puis guide ma lampe torche autour de moi. Des meubles épais se dessinent sous des draps blancs. On dirait que le proprio comptait revenir. Yes. Jackpot. Je souris malgré moi. Est-ce qu’on va me poursuivre si je vole deux, trois trucs? Il remarquera rien, c’est sûr. Je me dirige vers l’étage. Y’a sûrement des bijoux ou des objets de valeur dans une des chambres, non? Les marches craquent sous mon poids. Le son de mes propres pas me rassure, bizarrement. Un couloir s’étire devant moi. Plusieurs portes de chaque côté. Ma lampe torche éclaire à peine. Et là… Un bruit. Un pas sur le plancher. Je m’arrête net. Ce n’était pas moi. Il y a quelqu’un. Ou… quelque chose. Je tends l’oreille, figée. Ma main tremble et la lumière de ma lampe également. Et j’entends. Des griffes sur le sol. Un frottement rapide sur le bois. Un chien ? Le propriétaire aurait laissé son chien à l’abandon ici ? Non. Impossible. Il y aurait des excréments sur le sol. Une odeur. Mais l’endroit est presque propre… Trop propre. Un gros rat ? Un racoon ? J’essaie de me persuader que ce n’est rien et avance d’un pas. Les bruits de pattes reprennent. Plus proches cette fois. Ils viennent d’une des chambres sur la droite. Et cette fois… Un grognement. Grave. Animal. Ma gorge se serre. Je recule d’un pas. Un chien de garde, vraiment ? Alors là, tu te débrouilles Billie, je me dis intérieurement. J’avais pensé à tout. Sauf à ça. Et planqué dans une des chambres ? Ca ne tient pas la route... Soudain j’entends un déclic. Le bruit d’une poignée qui tourne. Et la porte sur la droite s’ouvre. Je retiens mon souffle. Depuis quand les chiens savent ouvrir les portes ? Je ne reste pas bouche-bée longtemps : mes jambes décident de parler à ma place et je dévale les escaliers, en panique. - J’adore les animaux, mais là, non merci ! je ne peux m’empêcher de marmonner à voix haute. - N’y va pas. Les mots d’Elisa résonnent dans ma tête. Elle avait raison. Encore une fois. Je franchis les deux dernières marches. Juste avant de me retrouver projetée sur le sol. Mon souffle se bloque. Une douleur sourde me vrille le flanc. Le chien m’a bondi dessus. Le chien ? J’essaie de me retourner tant bien que mal, malgré l’intensité du choc. Et j’aperçois du coin de mes yeux… Accroupie sur moi… Une bête. Une créature. Non. Un monstre.
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