Sans lui

1604 Words
La maison semblait plus grande sans lui. Plus vide. Le matin s'écoula dans un calme surprenant, et même si Arlen était toujours là, toujours aussi bavard et lumineux, Néryn ne parvenait pas à chasser ce poids léger, mais constant qui lui pesait sur la poitrine. Il mangea peu, malgré les efforts d'Arlen pour lui faire sourire. — T'as l'air d'un chiot abandonné, grogna gentiment l'oméga en posant devant lui une assiette colorée. C'est juste un départ temporaire, hein. Il va revenir, ton grand loup grognon. Néryn haoussa les épaules. Il aurait voulu être moins transparent. Mais même ses ailes semblaient tristes ce matin, répondues contre son dos comme si elles refusaient de battre sans raison valable. — Je sais. C'est juste que… Il ne termine pas sa phrase. À quoi bon ? Il ne comprenait pas entièrement ce qu'il ressentait. Il savait seulement que l'absence de Lyam créait un vide qu'il n'arrivait pas à remplir, malgré les efforts de son esprit pour penser à autre chose. — Bon, déclare Arlen, visiblement décidé à lui changer les idées, aujourd'hui, tu restes pas enfermé à broyer du noir. Je te propose deux options : on peut aller à la bibliothèque pour que tu fouilles les rayons, ou on peut te trouver une activité, genre... poterie. Ou je sais pas, couture magique. T'as envie d'essayer un truc ? Néryn sourit doucement. La bibliothèque. Ce lieu calme, rempli de savoirs inconnus et d'histoires lointaines… Il hocha la tête. — Je veux bien aller lire un peu. — Ça, je m'en doutais, Ricana Arlen. Allez, mets quelque chose de chaud. Le vent est frais aujourd’hui. La bibliothèque de la meute était située dans une aile paisible de la maison commune. Grande pièce aux murs recouverts d'étagères, tapis moelleux, fauteuils accueillants, et une lumière tamisée venant d'ampoules enchantées flottant au plafond. Dès qu'il y entre, Néryn se sent un peu plus léger. Il se perdit dans les rayons pendant un long moment, tirant des ouvrages au hasard, effleurant les reliures du bout des doigts, respirant l'odeur du vieux papier et de l'encre. Il finit par s'installer avec trois livres : l'un sur les meutes anciennes et leurs coutumes, un autre sur les différents types de créatures hybrides, et un dernier — plus fin — intitulé Le lien d'âmes, une bénédiction ou une malédiction ? Il lut pendant des heures. Arlen passa une ou deux fois lui demander s'il avait faim, ou s'il voulait un chocolat chaud. Il refusea poliment, concentré, heureux par les mots. Certains passages du dernier livre le firent rougir : il y était question de liens intimes, de connexions physiques entre les âmes-sœurs, de désirs partagés et de ce que ressentait un loup quand il trouvait « sa moitié ». Il sent son cœur s'accélérer. — Est-ce que… c'est ce que je suis pour lui ? murmura-t-il. Mais aussitôt, l'image de Lyam avec d'autres omégas lui revint. Il referma doucement le livre, songeur. Le soir tomba doucement. Arlen lui apporte un plateau avec un repas simple, mais chaud, et s'assit à côté de lui, les jambes croisées sur le tapis. — Alors, t'as découvert des choses intéressantes ? exigea-t-il avec un clin d'œil. — Un peu… mais j'ai surtout encore plus de questions, répondit Néryn en grignotant une bouchée. — C'est bon signe. Quand on commence à se poser des questions, c'est qu'on grandit. — Tu crois que je suis trop... enfantin pour lui ? Arlen le regarda longuement, puis lui ébouriffa les cheveux. — Je crois que t'es spécial, et que ça fait peur aux grands loups. Mais c'est aussi ce qui les attire. Et puis, tu sais, c'est pas grave de pas tout savoir. Le lien d'âme, ça se construit. Plus tard, de retour dans sa chambre, Néryn prit un long bain chaud. Il ferme les yeux, s'enfonça dans l'eau jusqu'au menton, et laissa ses pensées dériver. Il voulait être quelqu'un dont Lyam serait fier. Quelqu'un qui comprendrait ce monde, et saurait aussi faire vibrer le cœur de l'Alpha… sans jalousie, sans peur, mais avec sincérité. Il se coucha tôt, aimé dans ses draps, les cheveux encore humides. Son dernier regard avant de s'endormir se porte sur la lune visible à travers la fenêtre. — Reviens vite, murmura-t-il. Et son cœur, silencieusement, fit un vœu. Le matin s'était levé avec une lumière douce filtrante à travers les rideaux de la chambre. Le silence dans la maison lui paraissait encore plus pesant aujourd'hui. Après s'être étiré lentement, Néryn resta allongé quelques minutes à fixer le plafond, les pensées embrouillées. Lyam n'était toujours pas là. Il repensa à la veille, aux mots d'Arlen, aux livres qu'il avait lus, à ses propres émotions qu'il comprenait à peine. Puis, une idée germaine dans son esprit. Une envie de prendre un peu d'air. De faire quelque chose pour lui. Tout seul. Il se leva, enfila une tenue légère — un pantalon souple couleur crème, une tunique douce à col ouvert, et glissa ses pieds dans de petites bottes de cuir. Il arrangea ses cheveux devant le miroir, lissa ses ailes d'un geste instinctif, puis descendit prendre rapidement un morceau de pain et un fruit dans la cuisine. Arlen n'était pas encore réveillé. Sans laisser de mot, il sort. La fraîcheur du matin caresse son visage dès qu'il quitte les terres de la maison. Les sentiers qu'il emprunta lui étaient familiers — il avait déjà fait quelques sorties avec Arlen, mais jamais seul. Il gardait les ailes bien repliées, marchait d'un pas souple, et jetait des regards curieux sur les fleurs, les arbres, les bruits des oiseaux qui le saluaient. Arrivé à l'orée de la ville, un léger frisson d'appréhension lui parcourut l'échine. Mais il avance. Le marché était déjà animé. Des étals de fruits, d'objets artisanaux, de vêtements colorés se succédaient. Des odeurs alléchantes de pain chaud, de miel et d'épices flottaient dans l'air. Et rapidement, il attire l'attention. — Tiens… c'est pas le garçon-fée ? — Il est mignon… — Il est tout seul aujourd'hui ? Les voix étaient chuchotées, mais certaines ultérieures d'alphas qui n'essayaient même pas de dissimuler leur regard insistant. Néryn se sentait un peu trop visible, un peu fragile. Il se contenta de baisser les yeux et d'avancer, déterminé à ne pas rebrousser chemin. Il s'arrête devant un étalage de livres anciens. Le vendeur, un vieil homme souriant aux longues moustaches, l'accueillit d'un hochement de tête. — Tu cherches quelque chose de particulier, petit ? Néryn prend la tête. — Juste… quelque chose qui parle de ce monde. Des gens comme vous. — Alors tu veux un livre sur les meutes. Ou les âmes-sœurs, je parie ? Il rougit et détourna le regard. L'homme éclata de rire et lui tendit un petit livre à la couverture bleu nuit, sobre, sans titre apparent. — Celui-là, c'est mon préféré. Ça parle pas seulement d'amour, mais aussi de la peur. Et de comment on peut se perdre soi-même en aimant trop fort. Néryn le prit avec reconnaissance et glissa quelques pièces sur le comptoir. Il continue sa promenade, observant les vitrines, les enfants qui couraient, les couples qui riaient. Il aperçut un café à la terrasse calme, et décide de s'y installer. Il commanda un jus fruité, et découvrit le livre que le vieux marchand lui avait offert. Pendant qu'il lisait, quelques personnes passèrent près de lui. L'une d'elles s'arrête. — On se révoit, petite fée ? Il leva les yeux, et son cœur manqua un battement. C'était Max. Le bel alpha aux cheveux noirs et au regard mordoré. Il portait une chemise déboutonnée sur le col, laissant entrevoir sa gorge et le début de ses clavicules. Ses lèvres étaient étendues en un sourire charmeur. — Tu es seul aujourd'hui ? Je peux m'asseoir ? Néryn hésite. Mais hocha doucement la tête. Max prend place en face de lui, s'installe avec un naturel déconcertant, puis appuya son menton contre sa main en l'observateur. — Tu es encore plus mignon que dans mes souvenirs. Les joues de Néryn présentent une teinte rose instantanée. Il se tortilla un peu sur sa chaise, incapable de soutenir ce regard. — Tu… tu es souvent ici ? exigea-t-il, plus pour rompre le silence que par curiosité sincère. — Je suis du coin, oui. Et toi, t'as le droit de sortir sans ton gros loup pour garde du corps ? Néryn sentit son estomac se nouer à la mention de Lyam. Il évite de répondre. Max le comprit sans insister. Mais son regard se fit plus doux. — Je t'embête pas, hein. Si tu veux que je parte… — Non, c'est bon. Tu es gentil. Max lui sourit, plus sincèrement cette fois. — Alors je te propose un deal. La prochaine fois que tu veux sortir en ville, je t'accompagne. Je te montre mes pièces préférées. Tu verras, y'a un petit jardin suspendu où les fées pourraient danser sans être vues. Néryn sourit timidement. — Je te dirai peut-être oui. En fin d'après-midi, il rentra. Arlen l'attendait dans l'entrée, les bras croisés. — Tu aurais pu laisser un mot ! — Désolé… Mais en voyant son sourire un peu rêveur, Arlen comprit que cette sortie lui avait fait du bien. — T'as vu Max, hein ? — Peut-être… Ils rient ensemble, et Néryn monta dans sa chambre, le cœur un peu plus léger… mais aussi un peu plus confus. Max lui plaisait-il ? Ou était-ce simplement qu'il avait comblé un vide que Lyam avait laissé ? Il ne le savait pas. Pas encore. Mais ce jour-là, il comprit une chose : il était capable de faire ses propres pas, même s'il tremblait un peu.
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