La nuit était chaude, et le silence de la maison presque trop parfait. Je dors mal. Les mots de Lyam tournaient dans ma tête, comme une lueur étrange qui refusait de s'éteindre. Mon corps, quant à lui, s'était réveillé avec une soif tenace. Ma gorge était sèche, et mes jambes me brûlaient d'un besoin simple : me lever.
J'enfilai une chemise oubliée sur le dossier d'une chaise. Une grande pièce de tissu doux et léger, blanc, qui me descendait à peine en dessous des fesses. Elle n’était clairement pas faite pour moi. Peut-être appartenait-elle à Lyam. Cette pensée me donna un frisson, sans que je sache vraiment pourquoi.
Pieds nus, je quittai la chambre et descendis les marches en silence, laissant mes ailes replier dans mon dos. La maison était calme, plongée dans une lumière douce filtrée par les lanternes suspendues dans le couloir. J'atteins la cuisine, les carreaux froids sous mes orteils. J'ouvris doucement le placard, puis la cruche d'eau posée sur la table. Je bus à petites gorges.
— Tu as l'air de t'être bien installé.
Je sursautai. Sa voix venait de l'entrée de la pièce.
Je me reviens d'un coup. Lyam était là, appuyé contre le chambranle de la porte, torse nu, un pantalon sombre à peine noué à la taille. Il me fixait, son regard suspendu sur… moi.
Et je comprends immédiatement.
Je baissai les yeux vers ma tenue. La chemise couvrait à peine le haut de mes cuisses. Ma peau nue était presque phosphorescente sous la lueur douce des lanternes. Mes jambes fines, mes hanches, mes ailes repliées à demi… Tout devait me donner l'air fragile, exposé, presque… offert.
Lyam s'approche lentement.
— Tu as eu soif, c'est ça ? dit-il avec un demi-sourire.
Je hochai la tête sans trouver mes mots. Quelqu'un avait changé dans la pièce. L'air était devenu plus dense, comme chargé d'électricité. Ses pas étaient silencieux, mais je sentais leur poids résonner dans ma poitrine.
— Tu n'arrives pas à dormir ? ajoutait-il.
— Non. Il faisait… chaud. Et j'avais besoin de boire un peu.
Il n'était plus qu'à quelques pas de moi maintenant. Je pourrais sentir la chaleur de son corps. Ses cheveux légèrement noirs en bataille, ses yeux aux reflets fauves brillants dans la pénombre. Il me fixait sans agressivité, mais avec une intensité presque palpable.
Je sentais mon cœur battre dans mes tempes.
— Tu devrais éviter de te balader dans cette tenue, dit-il enfin, sa voix plus grave, plus basse.
Je clignai des yeux, confus.
— Pourquoi ? Ce n'est qu'une chemise…
Son regard glisse lentement sur moi, de mes chevilles jusqu'à mes ailes. Il s'arrête un instant sur ma gorge, puis sur mes cuisses.
— Parce que dans cette maison, tu n'es pas le seul à avoir des yeux… ou des instincts.
Il n'y avait aucune menace dans sa voix. Juste un fait brut. Une vérité nue.
Je sens mes joues s'enflammer. Et quelque chose d'inconnu me traversa, un mélange de honte douce et d'excitation étrange. Ce n'était pas de la peur. Plutôt… une tension. Une corde tendue quelque part entre ma poitrine et mon ventre.
Je fis un pas en arrière. Il ne me suit pas. Il me regardait toujours. Puis, doucement, il se détourna pour ouvrir une autre pancarte.
— Tu veux un peu de miel dans ton eau ? exigea-t-il simplement, comme si rien ne s'était passé.
Je reste figé une seconde. Puis hochait la tête.
— Oui… je crois que j'aimerais bien.
Il me sert un verre. Je le pris avec des doigts un peu tremblants, effleurant les siens. Il ne recule pas.
— Merci, soufflais-je.
Il me sourit. Mais ce sourire-là n'avait rien à voir avec les autres. Il était… problème. Comme un rêve dont on ne sait pas s'il est doux ou dangereux.
Et sans rien dire de plus, je quitte la cuisine.
Je remontai les escaliers lentement, sentant son regard encore posé sur moi. Une fois dans ma chambre, je refermai la porte et m'y adossai.
Le verre entre mes mains, je respire lentement. Je ne savais pas ce que c'était, ce que je venais de ressentir.
Mais je savais que c'était nouveau.
Et que ça ne disparaîtrait pas.
La ville était différente le jour. Plus bruyante, plus vivante, mais aussi… plus attentif.
Dès qu'Arlen et moi avons mis le pied hors de la maison, j'ai senti les salutations. Pas les regards discrets que je connaissais dans le village des fées, où l'on me contournait comme une ombre qu'on tolère à peine. Non… ici, c'était l'inverse. Tous les yeux semblaient se tourner vers moi.
« C'est lui ? »
« Un garçon-fée ? »
« Je croyais que c'était une légende… »
Les murmures me poursuivaient comme des lucioles curieuses. Je serrerai les pans de ma tunique, déjà mal à l'aise. Arlen, lui, souriait comme si de rien n'était.
— Ne fais pas attention, dit-il doucement. Ils ne t'ont jamais vu, c'est tout. Tu es unique.
— Unique, répétais-je à voix basse. Ouais, anormal.
— Hé, pas de ça. Je suis sérieux. Tu brilles différemment, c'est normal qu'ils soient fascinés.
Je ne répondis pas, préférant observer les rues. Les bâtiments étaient faits de pierre et de bois, mêlant une architecture rustique à des touches modernes. Il y avait des enfants loups qui couraient, des vendeurs ambulants, des Alphas en uniforme qui patrouillaient ou bavardaient.
Et puis… il y avait les regards insistants. Plusieurs hommes, tous robustes, à l'aura forte et charismatique, s'arrêtent à notre passage.
— Bonjour, lance l'un d'eux, un grand brun aux yeux d'ambre. Tu es le nouveau protégé de Lyam, n'est-ce pas ?
Je m'arrête, surprise. Arlen se tourne vers lui avec un sourire poli.
— Neryn, voix Vael. Il est Alpha dans la section Est. Et très curieux, visiblement.
— Curieux, oui, dit Vael en m'examinant du regard. Mais pas impoli.
Il me fit un petit signe de tête, puis s'éloigna sans attendre de réponse.
Je n'eus pas le temps de souffler que d'autres approchaient. Deux Alphas plus jeunes, l'un aux cheveux argentés, l'autre aux tresses sombres, m'adressèrent des compliments à demi-mots, des sourires charmeurs, et même un clin d'œil.
Je ne savais plus où regarder. Mon cœur battait trop vite, et j'avais chaud sans comprendre pourquoi.
Puis il arrive.
Max.
Il sortit d'une boutique d'armes, un étui sur l'épaule, vêtu d'un long manteau noir qui contrastait avec sa peau dorée et ses yeux bleu glacier. Ses cheveux blonds mi-longs tombaient en mèches souples sur ses tempes. Il avait ce genre de beauté brutale, presque irréelle, qui figeait le monde autour de lui.
Et il me vit.
— Eh bien… fit-il en s'approchent d'un pas lent. Voilà une créature que je n'aurais jamais crue croiser de mon vivant.
Je me figeai. Son regard s'ancrait dans le mien avec une intensité troublante.
— Tu es Neryn, c'est ça ?
Je hochai la tête, incapable de parler.
Il pencha légèrement la tête, son sourire s'élargissant.
— On dirait que les fées savent vraiment créer des merveilles.
Je sens mes joues s'embraser. Mes ailes frémirent malgré moi.
Arlen se racla la gorge.
— Max, c'est bon. Il vient de découvrir la ville, tu vas lui faire peur.
— Moi ? Peur ? Jamaïs. Je suis charmant, pas vrai ?
Je ne savais pas si c'était une question ou une affirmation, mais je n'avais toujours pas retrouvé ma voix.
— J'espère qu'on pourra discuter une autre fois, ajoutait-il, plus doucement. Si l'Alpha te laisse un peu de liberté.
Et il répartit, son parfum boisé flottant dans l'air comme un piège subtil.
Je me tourne lentement vers Arlen, toujours incapable de parler.
Il ria doucement.
— Eh bien, petit faon, je crois que tu viens de faire forte impression.
Je soufflelai enfin, à mi-voix :
— Qu'est-ce qu'il vient de se passer… ?
—Rien. Ou peut-être… le tout début d'une tempête.