La pièce était baignée d'une lumière tamisée, projetée par quelques lanternes suspendues au plafond. Arlen avait disposé une table basse et deux coussins dans le petit salon, non loin de la bibliothèque. L'atmosphère était paisible, mais mon cœur battait un peu trop vite. Je n'avais pas revu Lyam depuis notre première rencontre.
Quand il entre, je sens immédiatement sa présence. Il était grand, droit, silencieux. Ses cheveux noirs étaient attachés dans une file d'attente basse, et ses yeux clairs s'attardèrent brièvement sur moi. Il hocha la tête sans sourire.
— Installe-toi, dit-il simplement.
Je m'exécute en silence, m'asseyant sur l'un des coussins. Il prend place en face de moi, dos droit, les bras croisés.
— Arlen m'a dit que tu ne connais presque rien du monde hors de ta forêt. Est-ce exact ?
— Oui.
Il me détailla longuement, puis se pencha légèrement.
— Ce que tu dois comprendre avant tout, c'est que chaque espèce magique a ses lois, ses coutumes, ses forces… et ses dangers. Le monde n'est pas tendre. Ce n'est pas un conte.
Je ne répondis pas. Il ne s'attend pas à ce que je parle, de toute façon.
— Tu as déjà entendu parler des meutes ?
— Seulement le mot.
— Les loups-garous vivent en meutes. Nous sommes organisés selon une hiérarchie : alpha, bêta, oméga. Je suis l'alpha ici.
Je hochai la tête. Il poursuivit :
— Un alpha protège. Il dirige. Je décide. Mais il n'est pas infaillible. Il est lié à sa meute par l'instinct… et parfois par quelque chose de plus rare.
Il marque une pause, presque imperceptible.
— Certains d'entre nous naissent liés à un autre être. Une seule personne. Ce lien, on l'appelle « âme-sœur ».
Je relève la tête, surprise.
— Ce n'est pas fréquent. Et pas toujours entre loups. C'est… ancien. Très ancien.
Il me fixait, comme s'il cherchait à voir ma réaction. J'avais lu ce mot dans un livre, mais sans le comprendre. Chez nous, ce genre de choix n'existait pas. Les fées n'aiment pas. Elles vivent. Elles dansent. Elles naissent et disparaissent sans jamais appartenir à quelqu'un.
— Et si on ne trouve jamais cette personne ? demandai-je.
Il haussa à peine les épaules.
— Sur vit. Mais une part de nous reste en sommeil.
Un silence s'installe. Il ne cherchait pas à combler le vide. Moi non plus. Pourtant, quelque chose résonnait dans ma poitrine. Une chaleur discrète. Comme un écho sans origine.
— Et toi… tu as une âme-sœur ?
Je regrettai aussitôt la question. Mais il ne parut pas offensé. Il détourna légèrement les yeux.
— Je ne sais pas encore.
Sa voix était plus basse, presque rauque.
Il se leva.
— On en restera là pour ce soir. Tu as beaucoup à assimiler. Demain, je t'en parlerai davantage. Tu me raconteras aussi ce que tu sais, toi, sur la forêt.
Je hochai la tête.
Avant de sortir, il se revient légèrement.
— Bonne nuit, Néryn.
Et il a disparu dans le couloir.
Je reste seul, assis sur le coussin, longtemps après son départ. La chaleur des lanternes s'était atténuée, les ombres s'étaient allongées, et le silence était devenu presque lourd.
Je posai ma main sur ma poitrine, là où battait ce cœur si étrange, si fragile. Ce mot, âme-sœur, tournait dans mon esprit comme une feuille portée par le vent. Une seule personne. Un lien plus fort que la magie. Un appel que l'on porte sans savoir d'où il vient…
Chez nous, les fées, on ne parle pas d'amour. On ne parle pas d'attachement. Tout est collectif. Tout est doux et vide à la fois. Et pourtant… ce qu'il a dit, ce qu'il est, ça a éveillé quelque chose en moi. Comme si j'avais effleuré un secret interdit.
Je me lève lentement, les ailes lourdes, et regagnai ma chambre. L'obscurité y était paisible. Je m'allongeai sur les draps, regardant le plafond sans vraiment le voir.
Je pense à Lyam, à sa voix grave, à ses silences. À ses yeux qui semblaient sonder au-delà de ma peau, jusqu'à mes pensées les plus enfouies. Je pensais aussi à la forêt, à l'Arbre-Mère, aux regards fuyants, aux sourires forcés.
Et je me surprends à espérer.
Espérer comprendre ce monde. Espérer apprendre. Espérer… trouver une place.
Peut-être même, un jour, espérer être choisi.