J'ouvre les yeux la respiration légèrement haletante. Je me redresse et me rends compte que je ne suis plus dans mon lit, mais dans une forêt qui m’est totalement inconnue.
— Eryn ?
Je me retourne en sursaut. Mon regard se pose sur un jeune homme dont le visage me semble familier. Malheureusement pour moi, il m'est impossible de mettre un nom dessus. Je me lève et frotte les feuilles collées à mon pyjama, tout en continuant de le fixer.
Je prends une petite inspiration et croise les bras sur ma poitrine.
— Qui êtes-vous ?
— C'est vrai que tu ne me connais pas. Je suis le soldat Moray. Jack Moray. Je connaissais Judy Fluellen, ta grande tante, ainsi que ton grand-père paternel Colin et les frères Carter, m'explique-t-il.
Soldat Jack Moray... Le nom ne me dit absolument rien, mais quelque chose en moi m'encourage à le croire. D'autant plus qu'il est vêtu comme les soldats de l'époque, pendant les années 40. Pendant la guerre… Les soldats de l'armée britannique plus précisément. D'ailleurs, il a même un petit accent que je n’arrive pas à identifier.
Comment se fait-il qu’il soit ici ? Il devrait être très âgé depuis le temps, voire six pieds sous terre. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne devrait pas ressembler à ça.
— Comment se fait-il que vous soyez aussi jeune ? je demande.
Il rit, ses yeux d’un beau marron-vert brillant d’une lueur triste et maussade. Bon sang… Pourquoi me procure-t-il une telle impression de déjà vu ? Les bras croisés dans le dos, il fait un pas dans ma direction. Je reste parfaitement immobile, comme hypnotisée.
— Tu es dans un rêve Eryn. Je ne suis rien de plus que l'ombre d'un soldat mort au combat, si je puis dire. Un soldat qui attend de trouver la paix depuis longtemps. Et toi, Eryn, tu fais partie des personnes qui devrait pouvoir m’aider à la trouver.
Je ris nerveusement, le corps traversé d’un drôle de frisson.
— Comment suis-je supposée vous aider à « trouver la paix » comme vous le dîtes, si cela se passe dans ma tête ?
— Ce n’est pas parce que cela se passe dans ta tête que ce n’est pas réel.
— Harry Potter, je souffle surprise.
— Une de tes sagas préférées, acquiesce-t-il.
Je plisse les yeux, suspicieuse :
— Comment est-ce que vous pouvez savoir ça ?
— Parce que cela fait des années que je veille sur toi et sur ton amie Clervie. Des années que j'espère que vous vous lanciez dans une recherche sur vos ancêtres, afin de pouvoir en découvrir plus sur eux, mais aussi sur moi pour m’aider.
Ok... C'est vraiment bizarre. Je n'ai jamais entendu parler de ce jeune homme et pourtant, il est là face à moi, à me dire que Clervie et moi sommes deux des seules personnes à pouvoir l’aider. J’aimerais bien me dire que tout ceci n’est que le fruit de mon imagination, mais je n’en ai pas suffisamment pour ça. Après tout, je ne dis pas non plus que j’ai toujours cru dur comme fer aux fantômes, mais je n’ai jamais totalement été fermé à la possibilité de leur existence.
Je soupire tout en passant une main dans mes cheveux et m’assois en tailleur. D’un regard, j’invite Jack à en faire autant. Je m’humecte rapidement les lèvres tandis qu’il s’installe à mes côtés.
— En partant du principe que je vous crois, et que je ne sois pas en train de devenir complètement folle, comment voulez-vous que je vous aide à trouver cette « paix » dont vous parlez ?
— Par les recherches dans lesquelles tes amis et toi avez prévu de vous lancer. Mon histoire est étroitement liée à celle de Judy, vos grands-parents et arrière-grands-parents. Découvrir des choses sur eux revient, par extension, à en découvrir sur moi.
Je hoche la tête, les yeux baissés sur l’herbe avec laquelle je me mets à jouer pensivement.
— Si vous connaissiez nos grands-parents et arrière-grands-parents, pourquoi ne me racontez-vous pas l’histoire vous-même, afin que nous gagnions du temps ?
Il lâche un rire franc tout en s’allongeant sur l’herbe, les mains sous la tête. Je lui lance une œillade offensée.
— C’est incroyable de voir à quel point tu ressembles à ta grand-tante, dit-il un sourire au coin des lèvres. (Je secoue la tête, lève les yeux au ciel. Jack se tourne vers moi et pose une main sur mon bras, une lueur plus sérieuse dans le regard :) Le voyage que tes amis et toi avez l’attention de faire est initiatique. Il ne s’agit pas seulement d’en découvrir plus sur vos ancêtres. Il s’agit aussi d’en découvrir plus sur vous-mêmes. Et puis, disons les choses comme elles sont, je ne pourrais pas vous être d’une grande aide. Je ne sais même pas où se trouve ma sépulture.
— Votre sépulture ? je répète intriguée.
Il soupire :
— Je suis décédé des suites d’une blessure causée par un éclat d’obus, en fuyant Dunkerque avec Judy et Hannah. Elles m’ont enterré à plusieurs kilomètres de Dunkerque. Dans une forêt.
— Celle-ci ?
— Oui, mais je ne sais plus exactement où.
Je rouspète :
— Super…
Il grimace. Un silence agréable s’installe entre nous tandis qu’il se laisse retomber sur l’herbe, les mains à nouveau sous la tête.
— J’espère que vous réussirez à la localiser. Cela vous permettra de trouver une solution pour tenir la promesse de Judy.
Je m’allonge à ses côtés, mes yeux levés vers lui et les siens baissés vers moi.
— Elle m’a promis de me ramener auprès de ma famille à la fin de la guerre afin que je puisse être en paix, mais elle ne l’a jamais fait. Je ne sais pas pourquoi. Pendant une longue période après la guerre, elle m’apportait des bouquets de fleurs et puis, un jour, plus rien. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé.
— Je suis désolée… (L’ombre d’un sourire triste et sincère effleure ses lèvres.) Savez-vous si elle a eu des enfants qui, eux-mêmes, en auraient eu et qui pourraient peut-être nous aider ?
— Oui, elle en a eu. Quant au sujet des petits-enfants, je n’en ai aucune idée. Il me semble me souvenir qu’elle gardait des journaux intimes qu’elle avait tendance à cacher un peu partout où elle passait. Si tes amis et toi réussissez à en trouver, cela vous permettra d’obtenir de nombreuses réponses. Je vous aiderai au mieux dans ce sens-là.
Je hoche la tête. Une sonnerie retentit au loin me faisant légèrement sursauter. Je me redresse, les sens en alerte. Mon regard court entre les arbres afin d’essayer d’en identifier l’origine.
— Ce n’est rien, me rassure Jack. (Il se lève à son tour et s’étire.) Juste le signe que tu ne vas pas tarder à te réveiller.
Déjà ? J'ai l'impression que cela ne fait que cinq minutes que nous sommes ici. Je me relève à contrecœur.
— Comment se fait-il que vous soyez au courant pour le voyage que je m’apprête à faire avec mes amis ? je le questionne.
Il sourit :
— Comme je te l’ai dit, je veille sur vous depuis cet entre-deux où je me trouve. Entre-deux où je suis et resterai coincé tant que mon corps n’aura pas été auprès de ma famille et tant que certaines choses n’auront pas été révélées.
— Quelles choses ?
— Les mensonges, les secrets, la vérité. (Je ricane vraiment perdue.) Nous avons tous un destin, poursuit-il, un rôle à jouer, un devoir à accomplir. Le vôtre, à tes amis et toi, est de crever l’abcès de secrets qui s’est formé sur des décennies dans vos familles. Et je serai là pour vous y aider, tout comme les nombreuses personnes que vous allez rencontrer en route, y compris Hannah.
Hannah ? Veut-il parler d’Hannah Bengio, la dame chez qui il est prévu que nous résidions quelque temps ? Sans doute. Malheureusement pour moi, pas le temps de lui demander confirmation. A peine sortie de mes pensées, je me rends compte que Jack a disparu.
Je regarde tout autour de moi, paniquée.
— Jack ! je m'exclame. (Aucune réponse. Où est-il passé ? Paniquée, je réitère :) Jack !
Je continue de l'appeler mais en vain. La sonnerie finit par devenir de plus en plus bruyante, couvrant petit à petit mes appels désespérés. Je me bouche les oreilles, et dans un dernier cri, ferme les yeux.
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