II

536 Words
II M. et Mme Bonnefoi n’étaient pas mariés depuis trois mois que leur ménage était déjà troublé de mauvaises humeurs et de criailleries. Bonnes gens, cependant tous deux : lui tout à fait bonasse, mais entêté et enclin à céder à ses amis par faiblesse ; elle pleine de bon sens, d’un esprit solide et bourrée de vertus domestiques. C’était misérable de voir tant d’éléments de bonheur gâchés par le destin, lequel n’est, vous le savez comme moi, qu’un pseudonyme de la sottise humaine. Monsieur avait eu les premiers torts, mais Madame abusait vraiment de l’apparente justice de sa cause pour l’accabler. Ce Bonnefoi aimait le jeu, non pas le gros jeu où l’on se ruine, mais le simple whist ou le domino à quatre, lequel n’est pas moins difficile à bien jouer. Il y avait dix ans qu’au café Minerve ses amis Lemiteux, Poussemol et Cascaret l’attendaient à neuf heures ; trois gaillards à qui une santé de fer permettait une régularité parfaite dans le vice. Quand arrivait l’heure de la fermeture, le patron réservait à ces clients de choix un petit local où se continuait la partie aussi longtemps qu’il leur plaisait. Lemiteux était veuf, Poussemol séparé de sa femme judiciairement et Cascaret célibataire. Si bien que l’Aube aux doigts d’argent surprit souvent les enragés sur un schelem ou sur un double-six culotte. Pendant les trente premiers jours de son hyménée, Bonnefoi fit faux bond à ses compagnons, qui firent des morts tout en bougonnant un peu. Au commencement du second mois, il s’en fut les rejoindre et resta, cette première fois-là, jusqu’à minuit. Il eut en rentrant une scène abominable à laquelle il répondit en déclarant qu’il n’était pas un petit garçon et n’aimait pas qu’on le menât par le bout du nez. Et il le prouva en restant le lendemain soir jusqu’à une heure, ce qui lui valut une scène plus abominable encore que la première. C’en était fait. La fatalité était déchaînée. Madame Bonnefoi n’hésitait pas à le traiter de débauché et de ruffian. Il répliquait par les épithètes flatteuses de mégère et de furie. Tous ces gros mots, toutes ces menaces, tous ces gestes ridiculement tragiques pour une partie de dix sous, des cartes graisseuses ou des dominos écornés ! Monsieur s’obstina et la situation s’aggrava. Madame Bonnefoi devenait intraitable. Au fait, je ne vous ai pas dit ce qu’aimait madame Bonnefoi. Bah ! vous le saurez tout à l’heure, si vous ne l’avez pas deviné déjà. C’était une nature généreuse à qui un mois d’éducation conjugale avait suffi pour apprécier les légitimes joies du ménage. Où en seraient venus ces époux infortunés ? Aux sévices, à l’assassinat peut-être !… Mais enfin, la lumière d’en haut, celle à qui je faisais appel en commençant ce récit, visita l’un d’eux. Une nuit, M. Bonnefoi rentra à une heure et demie, et sa femme ne lui dit rien. Il recommença le lendemain, insista le surlendemain et n’en reçut aucun reproche. Il crut qu’elle cédait et lui en fit compliment, ce qui était une fière maladresse. Elle répondit par un sourire énigmatique en lui disant : « Ne vous y fiez pas ! Une de ces nuits je me fâcherai tout de bon et je vous laisserai à la porte. » Cette hypothèse invraisemblable l’amusa beaucoup. Vous savez, comtesse, que si vous continuez à me chatouiller délicieusement la rotule du bout de votre orteil rose, je plante mes personnages là. Bon, vous retirez tout à fait votre pied maintenant ! Donnez-moi l’autre ; c’est çà ! Vous êtes une bonne petite Louloute.
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