IX (9)

644 Words
IX (9)Thom est attendu dans le dojo. Nessos, assis en position du lotus au centre d’un modeste tatami rouge et blanc, médite. Quelque chose en lui évoque les glorieuses maîtresses et glorieux maîtres des temps anciens, dont on peut trouver pléthore d’illustrations dans la Grande Bibliothèque de l’Académie. Des femmes, des hommes dans des positions étranges, sur une jambe, les bras croisés, les mains ouvertes, ou fermées en forme de poings ; cassant des briques, des planches de bois, des fruits, des blocs de glace ; effectuant des pompes, sur deux mains, sur une seule, avec trois doigts, parfois seulement deux, rarement un ; envoyant valser leurs genoux, leurs pieds, leurs coudes dans tous les sens, contre un ou plusieurs adversaires. Le chef des corsaires revient à lui. « Bien le bonjour, moussaillon. Tu es fin prêt pour ta première leçon de Wu Maoriar ? — Oui, j’ai lu presque toute la nuit les chapitres consacrés à… — Allons, allons. Il ne faut pas feuilleter ce bouquin comme un vulgaire catalogue, voyons. Sais-tu combien de temps il m’a fallu pour tout lire ? — Non. — Deux mois. — Bon. — Et pour comprendre ce que j’ai lu ? — Un an. — Non, cher ami. Il faut tout une vie. — Alors, commençons ! — Premier exercice : le salut. Debout. Pieds joints. Jambes serrées, sans être collées. Mains jointes, devant le sternum. Voilà. Abaisse-toi lentement à quarante-cinq degrés. Dos droit. Parfait. Ensuite, deuxième exercice : le coup de poing. Fais-moi voir ton poing. Si tu frappes avec toutes tes phalanges alignées, tu vas avoir très mal, notamment au poignet. Seules les phalanges de l’index et du majeur doivent entrer en collision avec ta cible. Le pouce verrouille ces deux doigts. Tous doivent rester solidement attachés au creux de ta main. Le dos droit, tu vas faire une série de trente coups de poing dans le vide, en marchant lentement. La main opposée au pied. Voilà. Main gauche, pied droit. Main droite, pied gauche. Sois plus souple dans tes mouvements. Détends-toi. Le corps doit être reposé au départ, puis fermement tendu juste avant l’impact. De la douceur dans la dureté, de la dureté dans la douceur. Parfait. On enchaîne avec… — ALERTE… ALERTE… ALERTE… — Pierdruob, qu’y a-t-il ? — MENACE… INVASION… MENACE… — J’arrive. Fin du cours. Tu liras attentivement le premier chapitre. — D’accord. Qui est ce « Pierdruob » ? — Un antivirus malin. Suis-moi, vite ! — Et nous sommes envahis ? — Non, pas nous. Dépêche-toi ! » Ils arrivent, après une course haletante, dans une salle tout en rondeurs, composée de toutes sortes d’objets empreints d’un style « psychédélique », alternant couleurs vives et tableaux d’artistes aussi contemporains qu’abstraits, faisant face à un écran ovale de cinq mètres de longueur, trois de largeur, une figure en son centre. « Pierdruob, j’écoute ! — Capitaine, une armée d’invasion en provenance de la Planète Obscure se dirige tout droit vers notre système solaire. — Combien de temps nous reste-t-il ? — Environ trois mois. — Trois mois… c’est peu… trop peu… » Un homme cagoulé, plutôt grand, fin, presque maigre, les mains grandes et sèches, gantées, la stature noble, l’œil droit bionique avec longue-vue intégrée, l’œil gauche bandé d’un ruban noir, portant un masque de protection tout autour de ses mâchoires, du menton au nez, d’une oreille à l’autre, tout de noir vêtu, se dirige vers Nessos. « C’est largement suffisant pour lever une armée. — Adad, je ne suis plus un Humanibis. L’Académie nous a anéantis. — Je sais, je sais… — Quel est ton conseil ? — Recruter des Maoriars. — Personne ne me suivra. — Avoir mené la Révolte des Boxeurs te couvre de gloire. — De là à plaire. Non. Impossible. — Le jeune Terrien te sera nécessaire dans ta quête. — Tu le surestimes, Adad. — Des Académiciens peuvent te soutenir. — Non. Je veux les renverser. — L’un est pourtant mort pour avoir financé une révolte. Et il se murmure qu’un autre risque très fortement de subir le même sort. — Tes sources sont fiables ? — Elles sont la fiabilité même. — Pierdruob, un aphorisme. — Les luttes linguistiques peuvent n’avoir pas de bases économiques, ou seulement très retraduites, et engager pourtant des intérêts aussi vitaux, parfois plus vitaux que les intérêts économiques (au sens restreint). — Nessos, la bataille des mots est engagée ! — Thom, Sita t’attend au garage. Rejoins-la. — Compris. — Je ne voudrais pas que ce jeune ne meure trop tôt, Adad. — Mais il ne mourra pas. Bao’ab l’a prédit. »
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