Chapitre 2

1544 Words
Chapitre 2Gertrude avait repris à son compte les méthodes du commandant Lester. C’est-à-dire qu’elle avait enregistré toute la conversation qui s’était tenue dans le bureau de Chasségnac. Les multiples fonctions de l’iPhone facilitaient les choses. Après le dîner qu’elles avaient pris ensemble à l’hôtel de Mary, elles montèrent toutes deux dans la chambre du commandant où elles purent écouter la manière dont Gertrude avait mené sa barque lors de son entretien avec Chasségnac. Lorsque l’appareil s’éteignit, Mary battit des mains : — Bravo, Gertrude, tu leur as servi exactement ce qu’il fallait ! — Et maintenant ? demanda celle-ci en rosissant de plaisir. — Maintenant, on va aller au lit. La nuit porte conseil. Gertrude se retira. Elle avait de la famille à Vannes, elle n’avait donc pas eu à se préoccuper de trouver un hôtel. Le lendemain elle arriva toute émoustillée alors que Mary prenait son petit-déjeuner face à la mer. Mary lui sourit : — Qu’est-ce qui t’arrive, Gertrude ? Une bonne nouvelle ? — Je ne sais pas… enfin, si, je crois : j’ai reçu un coup de téléphone ! — Ah… quand ça ? — Hier soir. J’étais déjà au lit et j’ai pensé que ça pouvait attendre ce matin pour te l’annoncer. — Et alors ? Ça disait quoi ? — J’ai tout enregistré ! dit fièrement Gertrude en sortant son iPhone de sa poche. — Voyons ça, dit Mary intéressée. Elle enclencha l’appareil et une voix d’homme se fit entendre : — Mademoiselle Le Quintrec ? — Elle-même… à qui ai-je l’honneur ? On entendit un petit rire nerveux, et la voix grinça : — Appelez-moi Jasper… — Jasper ? — C’est cela, oui… — Et pourquoi m’appelez-vous, Monsieur Jasper ? — J’aimerais bien vous rencontrer… — Dans quel but ? — Pour bavarder. — Vous m’appelez à minuit passé pour me dire que vous aimeriez bavarder avec moi ? — C’est ça… J’ai quelques petites choses à vous dire. — Des choses intéressantes, j’espère. — Je ne me serais pas permis de vous déranger à cette heure si elles ne l’étaient pas. — Et elles intéressent qui, ces petites choses ? Mademoiselle Le Quintrec ou le lieutenant de police Le Quintrec. — Les deux, je pense… — Vous ne pourriez pas être plus clair ? Vous m’intriguez. Nouveau petit rire grinçant : — Il ne tient qu’à vous d’être éclairée : pouvez-vous venir dès ce soir à Saint-Goustan ? — À Auray ? — Oui, Saint-Goustan est le port d’Auray. Vous voyez où c’est ? — Parfaitement. On se retrouve sur le port ? — Non. Je préfère que cette rencontre reste discrète, alors vous attendrez sous le pont de la voie express. Vous voyez où c’est ? Vous traversez le port et vous continuez tout droit jusqu’au chantier naval. Surtout venez seule, c’est une affaire qui ne souffre pas la moindre indiscrétion. — Et ensuite ? — Quelqu’un viendra vous chercher et vous mènera jusqu’à moi. — Pourquoi tant de mystère ? — J’aimerais vous exposer une certaine affaire dans laquelle vous pourriez trouver de sérieux avantages. — Et vous aussi, j’imagine. — Évidemment ! N’est-ce pas normal ? Chacun doit trouver son compte dans une bonne affaire ! — Présenté comme ça, ça paraît logique en effet. Encore faudrait-il que je sache de quel genre d’affaire il s’agit. — Je ne peux évidemment pas vous le dire au téléphone. — Quelle méfiance ! Il y eut un blanc, et le mystérieux Jasper s’impatienta : — Alors, que décidez-vous ? Gertrude objecta, méfiante : — Elle ne sentirait pas un petit peu le traquenard votre affaire ? — Le traquenard ? Le petit rire rouillé s’égrena de nouveau. — Un traquenard pour quoi ? Pour vous faucher votre sac à main ? Non, je vous le répète, j’ai une affaire importante à vous proposer et elle doit rester discrète. Alors on se rencontre, je vous fais part de mon offre et ensuite vous l’acceptez ou vous la refusez. Rien de plus simple. Il laissa passer un silence et ajouta : — Enfin, si vous avez peur… — Je ne me laisse pas facilement gagner par la peur, Monsieur Jasper. — À la bonne heure ! Soyez donc sous le pont à dix heures ce soir. — J’y serai. La communication fut coupée et Gertrude, les joues rosies par l’excitation, demanda : — Eh bien, qu’est-ce que tu en penses ? — Je pense comme toi : ça sent le traquenard. Elle eut subitement une idée : — Mais dis-moi, comment ce Jasper a-t-il obtenu ton numéro de portable ? — Je me suis moi aussi posé la question, mais pour le moment, je n’en sais rien. — Je parie que Fabien, lorsqu’il t’a adressée à Chasségnac, lui a communiqué une fiche personnelle sur laquelle figure ce numéro, supposa Mary, comme en se parlant à elle-même. — C’est probable, en effet, reconnut Gertrude. Il y a eu une fuite au commissariat. Elle regarda Mary : — Ponchon ? — Ça n’aurait rien de surprenant ! Maintenant, de là à en apporter la preuve… Tu comptes vraiment aller à ce rendez-vous ? — Et comment ! C’est là une belle occasion de savoir à qui nous avons affaire. — C’est aussi une belle occasion de se faire trouer la peau ! Je vais appeler Fortin. — Pas la peine, dit Gertrude, j’ai tout prévu ! Mary la regarda avec inquiétude : — Tu es sûre de ton coup ? Elle fixa Mary dans les yeux : — Oui, Commandant ! — Prends ton arme de service tout de même ! Gertrude secoua la tête et assura avec une belle certitude : — Je n’en aurai pas besoin. — J’admire ton assurance. — Ça peut être un traquenard pour me pousser à la faute. — Quelle faute ? — Eh bien, on me menace, je sors mon arme et je tire… Qu’est-ce qui se passe après ? — Après tu es toujours vivante. — Peut-être, mais avec des tonnes d’emmerdements. Si on veut m’éliminer, « on » s’arrangera pour qu’il y ait un blessé – oh, légèrement – par balle et la presse criera à la bavure policière. Il y aura enquête de l’IGPN et, qu’on m’innocente ou pas, je serai discréditée… Mary siffla admirativement entre ses dents : — Dis donc, tu vois loin, Lieutenant, tu vois loin et tu vois bien ! N’empêche que tu prends de gros risques. Gertrude minimisa : — Je ne crois pas, Mary. Que penses-tu qu’il me veuille, ce Jasper ? — Pour moi, c’est gros comme une maison : il va essayer de t’acheter. — M’acheter ? s’indigna Gertrude. Mary confirma : — Oui ! Tu verras, c’est une chose qui se produit assez fréquemment, surtout quand une enquête est susceptible de révéler des tractations pas tout à fait claires que des gens dits « d’influence » ne tiennent pas à voir étalées sur la place publique. Il est souvent moins onéreux, même en y mettant le paquet, d’acheter un enquêteur que de le laisser lever un lièvre de belle taille. — On te l’a déjà proposé ? — C’est arrivé, reconnut Mary. — Et alors ? Mary fixa Gertrude d’un œil glacé : — Tu me connais, Gertrude ! — Ben oui, fit la policière, troublée par cette parole et plus encore par le regard polaire qui l’accompagnait. — Alors, pourquoi poses-tu la question ? Gertrude mouchée baissa les yeux et, contrite, murmura : « Excuse-moi… » Mary haussa les épaules : — C’est bon… Mais toi, ne va surtout pas faire d’imprudences. Gertrude la rassura et partit la fleur au fusil pour – comme elle disait – « reconnaître le terrain ». Mary la regarda s’éloigner d’un air soucieux et téléphona immédiatement à Fortin : — Allô, c’est toi Jipi ? La voix rugueuse du grand fit vibrer l’écouteur : — Ben oui, qui veux-tu que ce soit ? Ah, le grand était d’humeur acrimonieuse. Comme elle ne disait rien, il précisa : « Tu fais mon numéro, donc c’est logique que ce soit moi qui te réponde ! » Elle reconnut : — Tu as raison, c’est même d’une logique irréfutable. — Qu’y a-t-il de cassé ? — Mais rien, Jipi. Pourquoi veux-tu qu’il y ait quelque chose de cassé ? — Je ne le veux surtout pas, protesta-t-il. Cependant, pour que tu m’appelles, je suppose qu’il doit y avoir des punaises dans le beurre ! Toujours ces phrases fleuries dont il avait le secret. Néanmoins le ton dont il usait trahissait le vif déplaisir qu’il éprouvait d’être tenu à l’écart d’une enquête dans laquelle son élève préférée, Gertrude Le Quintrec, allait pour la première fois se retrouver en première ligne. — Qu’est-ce qu’il se passe ? Il est arrivé quelque chose à Gertrude ? Cette fois la voix du grand trahissait son inquiétude. Elle le rassura : — Pas encore, mais ça ne tardera peut-être pas. — Explique ! Le grand savait aller droit au but. Mary l’éclaira : — Tu sais qu’elle mène une enquête toute seule comme une grande ? — Évidemment que je le sais ! — C’est à ce propos que je te téléphone. Il grommela : — Je savais bien que ce n’était pas pour t’inquiéter de ma santé ! — Pourquoi ? Tu es malade ? — Non je ne suis pas malade. — Alors, pourquoi me préoccuperai-je de ta santé ? — Ce que tu es casse-c… gronda-t-il. — Et toi, ce que tu es grossier ! Elle avait réussi à l’exaspérer. — Mais, à la fin, me diras-tu ce qui se passe ? — L’enquête que mène Gertrude prend une drôle de tournure. — Comment ça ? — On lui a filé un rendez-vous qui ressemble fâcheusement à un traquenard. — Qui ça, on ? — Un certain Jasper, c’est du moins sous ce nom qu’il s’est présenté. — Ah… Un voyou ? — Probablement ! Il lui a donné rendez-vous ce soir dans un endroit isolé. Évidemment elle est invitée à y venir seule. — Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? J’espère qu’elle ne va pas foncer tête baissée dans une combine aussi foireuse ! éclata le grand. — Je crains fort que si. Et je peux même te dire que ça avait plus l’air de la réjouir que de l’inquiéter. — Ça ne m’étonne pas d’elle, grommela Fortin. — Moi non plus, convint Mary. Il s’indigna : — Tu aurais pu la retenir ! Elle demanda vertement : — Et comment ? Dans la disposition d’esprit où elle se trouve, autant demander à une 2 CV d’arrêter un char d’assaut ! Je suis sur la touche, moi ; c’est SON enquête, et elle me l’a bien fait sentir… Elle ajouta : — Il faut reconnaître que c’est la première fois que nous avons une ouverture dans ce sac de nœuds et que si elle n’y va pas seule, le Jasper en question demeurera invisible. Pas de Jasper et elle est plantée ! — Vaut mieux se planter dans une enquête que de se faire planter un surin dans le bide, assura le grand, toujours plein de bon sens. Tout de même, tu aurais pu… — J’aurais pu quoi ? coupa Mary avec humeur. Essayer de la dissuader ? C’est ce que j’ai fait, mon vieux, mais à force de te fréquenter, elle est devenue un peu bourrique, ta copine ! — À force de me fréquenter ? — Je ne vois pas où ailleurs elle aurait pu attraper cette maladie. Là, je tente mon dernier recours, celui qui consiste à prévenir le capitaine Fortin que sa protégée risque de se trouver en danger ce soir. Dans les grandes circonstances Fortin, homme d’action, savait prendre des décisions énergiques avec une économie de mots remarquable : — J’arrive, dit-il.
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