Chapitre 2. Les Archers.-2

2079 Words
« Vraiment, mon ami, reprit Bertram, vous considérez maintenant la chose sous le juste point de vue. Je ne dis pas qu’en ce monde l’homme le plus sage, le plus riche ou le plus fort a le droit de tyranniser ses voisins, parce qu’il est le plus faible, le plus ignorant, le plus pauvre ; mais encore, s’il s’engage dans une pareille dispute, il faut qu’il se soumette au cours des choses : or, dans une bataille, ce sera toujours la richesse, la force, la science, qui triompheront. » « Avec votre permission cependant, répondit Dickson, le parti le plus faible, s’il réunit tous ses efforts et tous ses moyens, peut à la longue exercer contre l’auteur de ses maux une vengeance qui le dédommagera du moins de sa soumission temporaire ; et il agit bien simplement comme homme, bien sottement comme Ecossais, soit qu’il endure ces injustices avec l’insensibilité d’un idiot, soit qu’il cherche à s’en venger avant que le temps marqué par le ciel soit arrivé… Mais si je vous parle ainsi, je vous empêcherai comme j’en ai déja empêché plusieurs de vos compatriotes, d’accepter une bouchée de pain et un logement pour la nuit dans une maison où vous pourriez ne vous éveiller au matin que pour vider avec du sang une querelle nationale. » « Ne craignez rien, répliqua Bertram, il y a longtemps que nous nous connaissons, et je ne redoute pas plus de rencontrer de la haine dans votre maison que vous ne pensez à m’y voir venir dans l’intention d’aggraver encore les maux dont vous vous plaignez. » « Soit ! c’est pourquoi vous êtes, mon vieil ami, le bienvenu dans ma demeure, tout comme quand les hôtes que j’y recevais jadis n’y entraient que sur mon invitation… Quant à vous, mon jeune ami monsieur Augustin, nous prendrons autant soin de vous que si vous arriviez avec un front serein et des joues roses, comme il convient mieux aux doctes de la gaie science. « Mais pourquoi, si je puis vous faire cette question, dit Bertram, étiez-vous donc tout à l’heure si fâché contre mon jeune ami Charles ? Le jeune homme répondit avant que son père eût le temps de parler, « Mon père, mon cher monsieur, peut colorer la chose comme bon lui semblera, toujours est-il que la tête des gens fins et sages faiblit beaucoup dans ces temps de troubles. Il a vu deux ou trois loups se jeter sur trois de nos plus beaux moutons, et, parce que j’ai crié pour donner l’alarme à la garnison anglaise, il s’est mis en colère contre moi, mais dans une colère a m’assassiner, parce que j’ai arraché ces pauvres bêtes, aux dents qui allaient les dévorer. » « Voici une étrange histoire sur votre compte, mon vieil ami, dit Bertram. Etes-vous donc de connivence avec les loups pour qu’ils vous volent votre troupeau ? » « Allons, parlons d’autre chose, si vous m’aimez vraiment, répondit le cultivateur. Cependant Charles aurait pu dans son récit se rapprocher un peu davantage de la vérité s’il avait voulu ; mais parlons d’autre chose. » Le ménestrel s’apercevant que l’Ecossais était vexé et embarrassé d’une pareille anecdote, n’insista point davantage. Au moment où ils passaient le seuil de la maison de Thomas Dickson, ils entendirent deux soldats anglais qui causaient à l’intérieur. « En repos, Anthony, disait une voix, en repos ! pour l’amour du sens commun, sinon des manières communes et des usages ; Robin Hood lui-même ne se mettait jamais à table avant que le rôti fût prêt. » « Prêt ! répliqua une autre grosse voix ; c’est un rôti d’un méchant bout de viande, et encore ce coquin de Dickson ne nous aurait-il servi que petite part de sa méchante viande, si le digne sir John de Walton n’eût donné l’ordre exprès aux soldats qui occupent les avant-postes d’apporter à leurs camarades les provisions qui ne leur sont pas nécessaires pour leur propre subsistance. » « Silence, Anthony, silence, gare à toi ! répliqua le compagnon ; car si jamais j’ai entendu venir notre hôte, je l’entends à présent : cesse donc de grogner, puisque notre capitaine, comme nous le savons tous, a défendu, sous des peines sévères, toute querelle entre ses hommes et les gens du pays. « A coup sûr, répliqua Anthony, je n’ai rien fait qui puisse en occasionner une ; mais je voudrais être également certain des bonnes intentions de ce sombre Thomas Dickson à l’égard des soldats anglais, car je vais rarement me coucher dans cette maudite maison sans m’attendre à avoir la bouche aussi large ouverte qu’une huître altérée avant de me réveiller au lendemain. Le voilà qui vient cependant, ajouta Anthony en baissant de ton, et j’espère être excommunié s’il n’amène pas avec lui cet animal furieux, son fils Charles, avec deux autres étrangers dont la faim sera assez grande, j’en répondrais, pour avaler tout le souper, s’ils ne nous font pas d’autre mal. » « Fi, fi donc Anthony ! murmura le camarade ; jamais archer meilleur que toi ne porta l’uniforme vert, et cependant tu affectes d’avoir peur de deux voyageurs fatigués, et tu t’alarmes de l’invasion que leur appétit pourra faire sur le repas du soir. Nous sommes quatre ou cinq de nous ici ; nous avons nos arcs et nos flèches à notre portée, et nous ne craignons pas que notre souper nous soit ravi ou que notre part nous soit disputée par une douzaine d’Ecossais établis ou vagabonds. Comment dites-vous ? ajouta-t-il en se tournant vers Dickson, que nous dites-vous donc, quartier-maître ? Vous savez bien que, d’après des ordres précis qui nous ont été donnés, nous devons nous enquérir du genre d’occupations des hôtes que vous pouvez recevoir outre nous, qui n’habitons pas votre maison de notre plein gré ; vous êtes aussi prêt pour le souper, je parie, que le souper l’est pour vous, et je vous retarderai seulement vous et mon ami Anthony, qui commence terriblement à s’impatienter, jusqu’à ce que vous répondiez aux deux ou trois questions d’usage. » « b***e-l’arc, répondit Dickson, tu es un honnête garçon ; et quoiqu’il soit un peu dur d’avoir à conter l’histoire de ses amis, parce qu’ils viennent par hasard passer une nuit ou deux dans votre maison ; cependant je me soumettrai aux circonstances, et je ne ferai pas une inutile opposition. Vous noterez donc sur votre journal que voici, que, le quatorzième jour avant le dimanche des Rameaux, Thomas Dickson a amené dans sa maison d’Hazelside, où vous tenez garnison par ordre du gouverneur anglais sir John de Walton, deux étrangers auxquels ledit Thomas Dickson a promis des rafraîchissemens et un lit jusqu’au lendemain, s’il n’y a là rien d’illégitime. » « Mais que sont-ils ces étrangers ? » demanda Anthony un peu vivement. « Il ferait beau voir, murmura Thomas Dickson, qu’un honnête homme fût forcé de répondre à toutes les questions de tout méchant vaurien !… » Mais il changea de ton et continua. « Le plus âgé de mes hôtes se nomme Bertram, ancien ménestrel anglais, qui a mission particulière de se rendre au château de Douglas, et qui communiquera les nouvelles dont il est porteur à sir John de Walton lui-même. Je l’ai connu pendant vingt ans, et je n’ai jamais rien entendu dire sur son compte ; sinon que c’était un digne et brave homme. Le plus jeune étranger est son fils, à peine rétabli de la maladie anglaise qui a fait rage des pieds et des mains dans le West-Moreland et dans le Cumberland. » « Dis-moi, demanda b***e-l’arc, ce même Bertram n’était-il pas depuis une année environ au service de quelque noble dame de votre pays ? » « Je l’ai entendu dire, » répliqua Dickson. « En ce cas, nous courrons, je pense, peu de risque, répartit b***e-l’arc, en permettant à ce vieillard et à son fils, de continuer leur route vers le château. » « Vous êtes mon aîné en âge et en adresse, répliqua Anthony ; mais je puis vous rappeler que ce n’est pas tout-à-fait notre devoir que de laisser un jeune homme, qui a été si récemment attaqué d’une maladie contagieuse, pénétrer dans une garnison de mille hommes de tout rang ; et je doute si notre commandant n’aimerait pas mieux apprendre que Douglas-le-Noir, avec cent diables aussi noirs que lui, puisque telle est sa couleur, a pris possession de l’avant-poste d’Hazelside à coups de sabre et de hache d’armes, que de savoir qu’une personne infectée de cette maladie infernale est entrée paisiblement et par la porte grande ouverte du château. » « Il y a quelque chose dans ce que tu dis là, Anthony, répliqua son camarade ; et considérant que notre gouverneur, puisqu’il s’est chargé de la maudite besogne de défendre un château qui est regardé comme beaucoup plus périlleux qu’aucun autre d’Ecosse, est devenu un des hommes les plus jaloux et les plus circonspects qui soient au monde, nous ferions mieux ; je crois, de l’informer du fait et de prendre ses ordres pour savoir ce qu’il nous faut faire de ce jeune garçon. » « Me voilà content, dit l’archer ; et, d’abord, ce me semble, je voudrais un peu, afin de montrer que nous savons comment se pratiquent les choses en pareil cas, adresser certaines questions au jeune homme… combien de temps a duré sa maladie, par quels médecins il a été soigné, depuis quand il est guéri, et comment sa guérison peut être certifiée ? etc. « C’est vrai, confrère, dit b***e-l’arc. Tu entends, ménestrel, nous voudrions demander certaines choses à ton fils… Qu’est-il donc devenu ?… il était ici tout à l’heure ! » « Avec votre permission, messieurs, répondit Bertram, il n’a fait que passer dans cette pièce. Maître Thomas Dickson, à ma prière, aussi bien que par respect et par égard pour la santé de vos honneurs, lui a fait promptement traverser cette pièce, pensant que sa propre chambre à coucher était l’endroit qui convenait le mieux à un jeune homme relevant d’une grave maladie et après une journée de grande fatigue. » « Eh bien ! répliqua le vieil archer, quoiqu’il soit peu ordinaire de voir des hommes qui, comme nous, ne vivent que pour b****r leurs arcs et lancer leurs flèches, se mêler d’interrogatoires et d’instructions criminelles, cependant, vu la gravité des circonstances, il faut que nous adressions certaines demandes à votre fils avant de lui permettre de se rendre au château de Douglas où l’appelle, dites-vous, une mission. » « C’est plutôt moi, noble archer, dit le ménestrel, plutôt moi que ce jeune homme, qui suis chargé d’une mission. » « En ce cas, répondit b***e-l’arc, nous pouvons suffisamment faire notre devoir en vous envoyant, vous, à la pointe du jour au château, et en faisant rester votre fils au lit, car c’est, je crois, la place qui lui convient le mieux jusqu’à ce que sir John de Walton nous donne ordre de le laisser passer outre ou de le retenir. » « Et nous pouvons aussi bien, dit Anthony, puisque nous devons avoir la compagnie de cet homme à souper, lui faire connaître les règles de la garnison qui est momentanément établie dans cette ferme. » En parlant ainsi, il tira de sa poche de cuir un morceau de parchemin, et dit « Ménestrel, sais-tu lire ? » « C’est le point essentiel de ma profession, » répondit le ménestrel. « Peu m’importe à moi cependant, répliqua l’archer ; mais lis donc à haute voix ce règlement ; car, attendu que je ne comprends pas ces caractères à la simple vue, je ne perds jamais l’occasion de me les faire lire aussi souvent que possible, afin de m’en fixer le sens dans la mémoire. Songe donc qu’il te faut lire chaque ligne mot à mot, sans y changer une seule lettre ; car ce serait au péril de tes jours, sir ménestrel, que tu ne lirais pas en homme loyal. » « Je vous en donne ma parole de ménestrel, » dit Bertram. Et il se mit à lire avec une extrême lenteur, car il désirait trouver le temps de réfléchir à ce qu’il lui fallait faire pour n’être point séparé de sa maîtresse, séparation qui devait probablement lui causer beaucoup d’inquiétude et de peine. Il commença donc ainsi : « Avant-postes d’Hazelside, habitation du fermier Thomas Dickson. » Bien ! Thomas mais, est-ce que ta maison s’appelle ainsi ? »
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