Chapitre 9-2

2011 Words
— Je ne peux pas accepter, protesta-t-il. — Désolé, mais toi comme moi n'avons pas de temps à perdre avec des mondanités sans intérêt. Un cheval pour un cheval est une loi immuable dans cette demeure. En conclusion, cette jument t'appartient désormais ! Le garçon tourna vers elle son regard humide dans lequel se disputaient la tristesse et la reconnaissance, puis avança sa main vers la monture. Si, au départ, cette dernière renâcla bruyamment, frappant le sol plusieurs fois de son sabot, elle finit par coller son museau contre la paume ouverte, puis renifla doucement. — Je savais que vous vous entendriez bien. Tiens, voici de quoi la harnacher. À présent, mes enfants, c'est le moment de tout donner ! Vous n'aurez pas de seconde chance. Ils sont venus voler mes trésors, alors ils les auront ! Écoutez-moi bien. Je vais libérer mes chevaux. Une cinquantaine de bêtes qui surgissent au cœur d'une bataille créera une diversion suffisante pour vous permettre de quitter l'écurie. Contournez le bâtiment par la droite et dirigez-vous vers les bosquets qui longent la falaise dans le fond de la propriété. Je vous y rejoins immédiatement pour vous guider à l'extérieur des murs d'enceinte. — Votre haras, objecta Sekkaï. — Mon époux vient de mourir… Ce projet nous appartenait. Sans lui à mes côtés, il a perdu tout intérêt à mes yeux. Non ! Je ne veux plus entendre aucune contestation. En selle ! Le temps nous est compté. Alors que bruits de combat et cris résonnaient dans le domaine, un silence oppressant s'installa parmi les cavaliers. Pourtant, sans plus attendre, chacun enfourcha sa monture. Florie ouvrit grand les battants de l'écurie puis sa voix puissante, hurlant de toutes ses forces, chassa les chevaux libérés vers la cour les uns après les autres, générant une indescriptible cohue dont les jeunes profitèrent pour sortir, Merielle et Naaly pour commencer. Sur le point de quitter l'endroit, les regards de Florie et Tristan se croisèrent, puis la femme lui sourit avant d'exhorter le prince et lui à partir. Bientôt, leur hôtesse rejoignit la troupe réunie dans le fond du terrain et les devança pour leur montrer le chemin en s'enfonçant dans un épais buisson. — Par ici, suivez-moi un par un, leur cria-t-elle. Nous allons emprunter une ancienne voie de braconnier qui remonte vers la falaise. Peu rassurée, Merielle s'engagea derrière elle. Depuis son réveil, son existence semblait avoir basculé dans l'horreur : les combats devant ses yeux, la mort qui frappait les plus faibles ou les moins chanceux, comme le cheval de Tristan, la fuite avec une boule de plus en plus grosse au creux du ventre. Si ses compagnons n'avaient pas été à ses côtés, elle aurait regardé le danger fondre sur elle sans se défendre. Mais ils étaient présents, et, emportée par le flux, elle se sauvait, suivant tant bien que mal Florie dans l'enchevêtrement de branches et de ronces, sentant leur griffure sur sa peau, ses cheveux qui s'y accrochaient. Au prix d'un immense effort sur elle-même, soutenue par les encouragements de Tristan et l'énergie qu'il lui impulsait, elle supportait tout, sans crier, retenant les gémissements qui montaient dans sa gorge, et parvenait même à avancer alors que tout tendait à la faire abandonner. Sekkaï avait tenu à fermer la marche. Quand vint son tour de s'engager, un bruit attira son attention. Si la chance leur avait souri jusqu'à maintenant, la situation risquait, à présent, de s'inverser. Après avoir repris leurs esprits, les brigands s'étaient lancés à leur poursuite, torches en main. D'un coup d'œil, il estima leur nombre à sept, peut-être huit, qui se rapprochaient à toute vitesse. Sans plus attendre, il s'engouffra entre les branches, juste avant leur arrivée au buisson. Deux flèches sifflèrent à ses oreilles sans l'atteindre. Conscient de leur courte avance sur eux, comment pourrait-il les retarder ? Il pressentait que, déterminés, les bandits ne les lâcheraient pas avant de les avoir tous tués. Mais il se sentait, lui aussi, prêt à tout ! Aussitôt, il s'empara de la corde présente dans ses sacoches et se laissa glisser de sa monture. À une cinquantaine de centimètres de hauteur, il attacha le filin à un tronc et, le déroulant sur toute sa longueur, l'entortilla autour de plusieurs arbres selon une ligne droite approximative, dans le but de couper le chemin de leurs poursuivants. Invisible dans l'obscurité, ce stratagème ralentirait efficacement ces derniers et ferait gagner à la troupe de précieuses minutes. Sekkaï rattrapa son cheval et reprit sa difficile progression entre les branches entremêlées. Quand la végétation se clairsema, soulagé, il aperçut la silhouette massive de Florie. — Vous en avez mis du temps ! s'exclama-t-elle. — Où sont les autres ? — Devant. Pressons-nous pour les rejoindre ! Soyez prudent, la sente vers le haut de la falaise est très étroite et irrégulière, car plus destinée à des hommes à pied qu'à cheval. Pensez à raser la paroi. S'engageant sur la voie ascendante, Sekkaï songea à sa sœur et s'inquiéta pour elle. Merielle devait être terrorisée par la succession des événements depuis leur réveil et il espéra qu'elle ne faiblirait pas en cours de route. Pour une fois, il se réjouit de la présence de Naaly et de l'affection qui la liait à sa jumelle, certain que la jeune fille ne la laisserait pas tomber dans ces circonstances difficiles. Dans l'ombre encore profonde sur ce versant, ses yeux guettaient sans arrêt les limites irrégulières du chemin et, étrangement, une sensation de fatigue l'envahit. Pour lui aussi, les premières heures de la journée avaient été rudes et, alors qu'un petit répit semblait s'amorcer dans leur fuite, sa tension intérieure se relâchait. Cependant, il était trop tôt pour se croire tiré d'affaire. Au sommet, le temps d'être rejoint par Florie, il patienta, son regard parcourant le paysage à la recherche de ses amis. — Ils vous attendent là-bas, derrière le piton rocheux, lui annonça-t-elle. Juste à sa base part un sentier qui redescend vers la vallée. Si vous continuez sur votre droite à la grand-route, vous parviendrez au prochain village au bout d'un quart de cloche au galop. Enfin, je doute que ces brigands vous poursuivent jusque-là. — Vous ne venez pas avec nous ? — Moi, non ! J'ai quelques comptes à régler avec ces forbans. Alors que je les entends se rapprocher, mon sang s'échauffe à l'idée d'en éliminer quelques-uns en solo ! Allez, filez, j'arriverai bien à me débrouiller sans vous. Sekkaï resta un instant à la regarder, les sourcils froncés. Aussi déterminée qu'apparût cette femme, sa vaillance ne suffirait sans doute pas à contrer autant d'assaillants. L'issue de son combat ne pouvait que lui être fatale. Elle perçut son hésitation et lui sourit de façon éclatante. — Mourir n'est rien quand vous l'avez décidé. Ma plus belle revanche sera de vous avoir donné le délai nécessaire pour regagner le village. À présent, au galop ! Il hocha la tête, la salua et, résigné, lança son cheval à vive allure vers le piton baigné sous les premières lueurs du jour. Quand il y parvint, il se retourna une ultime fois, juste à temps pour voir Florie s'écrouler de sa monture. Elle s'était défendue avec ardeur, deux forbans gisaient à terre et un dernier semblait avachi sur sa selle, trois autres, malheureusement, lui avaient résisté. Son cœur se serra, mais il disposait de si peu d'avance qu'il ne devait pas s'arrêter à de telles considérations. Sauver sa sœur et ses amis devenait son unique priorité ; il contourna le rocher. — Où est Florie ? demanda Naaly, dès qu'il apparut, seul. — Elle assure nos arrières. Le froncement des sourcils de la jeune fille lui indiqua aussitôt qu'elle n'était pas dupe des conséquences que sa phrase taisait. — Repartons immédiatement, lança Sekkaï. Le groupe emprunta le chemin qui descendait, moins étroit que le premier, mais inutile de compter gagner un peu de temps ici. Bientôt, les bruits de poursuite qu'ils ne cessaient d'entendre depuis la fin de la nuit revinrent frapper leurs oreilles. La traque n'était pas encore achevée. Atteignant la grand-route, Sekkaï prit la décision qui s'imposait pour préserver sa sœur et ses compagnons. Fixant Naaly, il posa sa main sur son bras. Elle soutint son regard, sachant pertinemment ce qu'il désirait, tandis qu'il se doutait qu'elle tenterait par tous les moyens de s'y opposer, mais, également, qu'elle protégerait Merielle jusqu'au bout comme il le lui avait demandé. En conclusion, elle avait perdu d'avance. Ils n'échangèrent pas un mot et Naaly s'adressa à son amie : — Partons pendant que Sekkaï installe un piège pour les retarder. Comme Tristan ne bougeait pas, elle lui jeta un rapide coup d'œil et ajouta : — Toi aussi. Le groupe s'éloigna au galop, tandis que Sekkaï se retrouvait seul. Avait-il le droit d'avoir peur, alors que ses chances de survie s'amenuisaient au fur et à mesure que les autres disparaissaient de sa vue ? Un frisson glacé parcourut sa nuque et, observant la configuration du lieu, il choisit de se placer en retrait. L'effet de surprise demeurait son unique possibilité de les contrer, mais seulement si une bonne étoile veillait sur lui. Un instant, ses pensées se tournèrent vers ses parents, puis, définitivement, il les chassa de son esprit, se concentrant sur l'arrivée imminente de leurs poursuivants. Dès que le dernier larron accéda à la grand-route, il attaqua et, d'un coup v*****t porté à la tête, l'assomma. Le cheval effrayé partit en galopant, tandis que le cavalier glissait sur le côté, finissant sa course sur le sol, tracté par l'étrier dont son pied ne s'était pas détaché. Plus que deux ! Comptant sur la chance qui les avait préservés depuis le début, il se convainquit qu'à lui seul il parviendrait à éliminer ses deux adversaires et engagea le combat. Malheureusement, l'imprévisible arriva quand deux brigands jaillirent du petit chemin, le prenant en tenaille. Le cœur du prince rata un battement en songeant que son avenir venait de se sceller bien plus vite qu'il ne l'espérait. Mais l'un des voleurs exhorta les nouveaux arrivants à poursuivre le reste du groupe qui leur échappait encore. Immédiatement, l'esprit de Sekkaï se révolta contre l'idée que son sacrifice pourrait se révéler inutile. Cependant, accaparé par sa lutte actuelle et meurtri, il ne put que regarder ces hommes qui se lançaient, à bride abattue, sur les traces de sa sœur et de ses amis. Dans de telles conditions, ceux-ci seraient rejoints bien avant leur arrivée au village, le cheval de Merielle, une brave bête robuste, bien plus tranquille que rapide. Comment pouvait-il éviter le c*****e ? D'une façon ou d'une autre, il devait les rattraper ! Il le pouvait ! Sa monture s'avérait capable de mener un train d'enfer sur une distance plus longue que la moyenne. Si, jusqu'à présent, il n'avait rencontré que de rares occasions de tester son allure et sa résistance, c'était assurément le moment ou jamais d'exploiter celles-ci, d'autant plus que ses assauts inefficaces contre deux adversaires aguerris lui laissaient entrevoir une issue peu favorable à leur affrontement. Décidé, il rompit le combat et s'éloigna, immédiatement talonné par ses deux ennemis. Alors que poursuivi et poursuivants fonçaient à vive allure, Sekkaï changea soudainement de tactique ; freinant brutalement, il inversa sa progression et repartit de plus belle. Si, au début, les deux brigands resserrèrent les rangs pour l'empêcher de passer, son cheval en pleine charge dut leur paraître impressionnant, car ils s'écartèrent au dernier instant. À présent, sa monture lancée à fond, le prince se prit à croire qu'ils rattraperaient ses compagnons à temps. Ensuite, il aviserait, parce que, pour l'instant, à part se battre de toutes ses forces, il ne disposait d'aucun plan plus élaboré… Dans la pièce commune résonnaient des bruits familiers aux oreilles d'Aila qui, pourtant, ne réveillaient aucun souvenir dans son esprit toujours réfractaire ; la nuit écoulée n'avait rien changé, sa mémoire s'était envolée. À l'aube, la femme qui s'était occupée d'elle la veille au soir avait débarqué dans la cuisine, rallumant le feu dans la cheminée, sous une marmite. Encore un peu hébétée, Aila l'avait observée aller et venir jusqu'au moment où celle-ci se dirigea vers elle un bol à la main, alors qu'elle semblait l'avoir totalement oubliée depuis son arrivée. — Tenez, je vous ai préparé une petite tisane pour vous remettre sur pied. Soyez prudente, elle est très chaude. Ensuite, Papa nous rejoindra et nous mangerons. À petites gorgées, Aila absorba le liquide bouillant. Quelques mots surgirent dans son esprit à l'image des plantes qu'elle y reconnaissait, se surprenant d'en être capable, alors qu'elle ne se souvenait plus de rien. Peut-être en cueillait-elle pour une officine ? Cette ignorance sur elle-même aurait pu l'attrister, mais, bien au contraire, en dégustant la boisson brûlante, elle se sentit bien, presque légère, comme si cette perte de mémoire possédait sur elle un effet plus bénéfique que néfaste. Étrange… L'homme, toujours aussi maigre que le jour précédent, rentra dans la cuisine sans même lui jeter un coup d'œil et commença son petit déjeuner avec lenteur. — Venez à table avec nous. Papa s'en ira bientôt aux foins pour la journée. Avant son départ, notre fils nous aidait. Maintenant qu'il vit à Avotour, papa doit tout ramasser lui-même et ça lui prend plus de temps, surtout que ni lui ni moi ne rajeunissons.
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