Chapitre 11-1

2010 Words
Chapitre 11 Merielle se réveilla en douceur, se sentant infiniment reconnaissante envers la nature et les hommes de n'avoir subi aucune attaque pendant son sommeil et, par conséquent, d'être toujours en vie ! Finalement, peu de choses lui suffisaient pour être heureuse ! Pendant un instant, elle savoura cette sensation de bonheur, écoutant le chant des oiseaux et se familiarisant avec le bruit de la forêt, avant d'ouvrir les yeux. Autour d'elle, elle redécouvrit la cabane miteuse qui leur avait servi d'abri, l'observant comme le plus bel objet au monde. Apparemment, Tristan, parti un moment en éclaireur, avait repéré l'endroit, puis partagé avec Sekkaï l'idée d'y dormir. Elle avait apprécié la sollicitude des deux garçons qui lui avait évité de démarrer sa nouvelle vie par une première nuit à la belle étoile et, ainsi, de passer directement du statut de petite princesse choyée à celui de fugitive désargentée. Bien sûr, elle savait que sa décision révolutionnerait son quotidien, mais changer du tout au tout en si peu de temps exigeait d'elle un effort considérable. Alors, toutes les étapes qui rendaient progressive son adaptation lui facilitaient l'existence. Poussant un soupir léger, elle se redressa et avisa que ne reposaient plus sur le sol que des couvertures désertées par leurs propriétaires. Par les fées, elle était la dernière à se réveiller ! Un instant lui suffit pour se préparer et sortir de la cabane. Naaly, assise sur une souche, fixait la forêt, droit devant elle, mais détourna son regard vers son amie en l'entendant se rapprocher. — Où sont les autres ? s'enquit la princesse. — Je ne sais pas trop. Sekkaï a affirmé qu'ils reviendraient bientôt. — Y a-t-il quelque chose à manger ? — Ah !… non. Ton frère a dû partir avec les vivres dans ses sacoches, tu devras patienter. Merielle haussa légèrement les épaules, puis observa autour d'elle. Le soir précédent, peuplée d'ombres qui grandissaient juste avant le crépuscule, la nature avait pris des allures menaçantes, alors qu'au matin elle n'apparaissait plus que sereine et inoffensive. Quand elle ouvrit la bouche pour parler, elle suspendit son intention et resta muette, comme si les quelques mots déjà prononcés avaient épuisé tous les sujets de conversation auxquels elle aurait pu songer. Soudain, un désir se réveilla. — Est-ce que tu pourrais m'apprendre ? Étonnée, Naaly la fixa. — Oui, en les attendant, tu pourrais me montrer comment me servir d'un kenda ? — Bien sûr ! Aussitôt, les deux jeunes filles, armées de leurs bâtons, s'installèrent dans un endroit un peu plus dégagé, à proximité de la cabane. Naaly partagea la première réflexion qui lui vint à l'esprit. — Dorénavant quand je te dis « Regarde », tu ne dois pas uniquement poser tes yeux sur un ennemi, tu dois en absorber la nature. Combattre s'apparente à une double compréhension : la tienne et celle de son adversaire. Alors, regarde ! Immédiatement, elle procéda à quelques enchaînements élémentaires volontairement ralentis pour permettre à la princesse de décomposer ses mouvements. Le froncement des sourcils de Merielle lui en apprit plus long que son attitude concentrée : elle ne parvenait déjà plus à suivre. Désireuse de lui expliquer précisément ses actes avec des mots, Naaly buta aussitôt sur la façon de détailler ce que son corps faisait sans réfléchir. Elle tenta une première approche. — Tu ne dois jamais considérer le kenda comme une arme banale. Non, il représente une partie de toi, comme ta main ou ta jambe, un subtil prolongement de ton organisme, en parfaite union avec ton esprit. Tel un muscle, il doit répondre immédiatement à l'ordre que tu lui envoies. Montre-moi ce que tu comprends de lui. Déterminée, Merielle s'appliqua à reproduire les gestes observés, enchaînant des mouvements particulièrement maladroits et inefficaces. Naaly éclata de rire : — Mieux vaut commencer par le commencement. Alors, si je te demande si ton kenda est un objet lourd ou léger, qu'en penses-tu ? Merielle le soupesa un instant avant de déclarer : — Pas trop lourd… En fait, ça dépend de la façon dont je le tiens. — Bien ! C'est tout à fait ça ! À présent, imagine-le comme une partie de toi, un prolongement de ta paume droite qui le soutient et dis-moi ce que tu ressens. Très appliquée, Merielle tendit sa main, le bâton posé dessus. Au début, maintenir l'équilibre lui parut aisé, mais, avec le temps qui s'écoulait, elle sentit ses muscles se fatiguer. De plus en plus contractée, elle finit par le laisser tomber. — En fait, plus lourd que je le croyais, conclut-elle. — C'est parce que tu ne sais pas le tenir. Enfin, pas encore. Seul ton bras a cherché à le retenir, le reste de ton corps n'a fait que se raidir pour s'opposer au fait que tu faiblissais. Tu as lutté contre le kenda, alors que tu aurais dû ne faire qu'un avec lui. Reprends l'exercice, mais, cette fois, avec la main gauche. Normalement, tu devrais le lâcher plus rapidement, car tu es moins forte de ce côté et, pourtant, tu vas découvrir que, si ce bâton devient un prolongement de toi, et que, pour le maintenir, ton épaule, ton dos et tes jambes associés à ton esprit y contribuent, résister te semblera plus facile. Essaie. Naaly l'observa un instant. — Oui, ça vient ! À présent, redresse-toi plus ! Tu dois être convaincue qu'aucune charge ne pèse sur toi. Tends le haut de ton crâne vers le ciel. Comprends que le rôle de ton cerveau ne se cantonne pas à ordonner, il te guide pour modifier la perception de ta propre personne. Ton arme et toi, définitivement liées, constituerez dorénavant une seule et même personne. Quand cette fusion sera parfaite, tu deviendras une combattante exceptionnelle. La princesse acquiesça, puis ferma les yeux pour se concentrer encore mieux, ne cessant de se répéter à quel point son bâton semblait léger puisqu'il était une partie d'elle. Même si, naturellement, il chuta sur le sol un peu plus tard, elle se réjouit de constater que, pendant un court instant, elle était parvenue à l'oublier totalement. — Pour progresser, tu dois t'entraîner en permanence, renforcer cette union qui intègre le kenda dans ton corps. Et, une fois ce prolongement acquis, tu seras prête. — Je vais devoir attendre aussi longtemps pour savoir me défendre ? Naaly s'esclaffa. — Non ! Cependant, tu deviendras nettement plus efficace quand tu auras atteint ce stade de maîtrise ! Tiens, voici les garçons. Le petit-déjeuner arrive ! Rejoignons-les. — Et nous repartirons tout de suite après, tu crois ? — Sûrement. Merielle inspira. Elle avait beau faire comme si tout se passait bien, elle ne se sentait toujours pas complètement rassurée. Naaly la saisit par le bras. — Ne t'inquiète pas ! Tu le vois bien, tu ne seras jamais seule. À chaque instant, l'un d'entre nous sera là pour te protéger. La princesse se serra contre son amie. — Je suis tellement heureuse de ta présence près de moi ! Assise dans un fauteuil, attendant le retour de son hôte, Lomaï repensait à sa journée d'hier, à la crainte qui lui avait tenaillé l'estomac jusqu'à son arrivée au domaine des Brand. Là, de ses yeux, elle avait constaté le c*****e, tous ces individus gisant à terre, le bourdonnement des mouches et l'odeur fétide de la mort qui planait sur la cour. Bonneau et Aubin lui avaient proposé de parcourir les cadavres et, la mort dans l'âme, elle avait accepté. Drapant sa détresse d'une apparente placidité, elle était descendue de son cheval et s'était avancée vers une personne, un peu en retrait, mais qu'elle avait reconnue. Fidèle de la forteresse d'Avotour, ce dernier prêtait régulièrement main-forte aux troupes qui pourchassaient les bandits. C'était un bel homme, âgé d'une quarantaine d'années, dont le teint hâlé montrait son habitude à vivre au grand air. Malgré son engagement certain à leurs côtés, Lomaï doutait de vraiment l'apprécier. Elle déplorait qu'une touche d'arrogance troublât ses traits, pourtant fins et agréables ; elle leur donnait une expression dure, voire légèrement cruelle par moment. — Sire Manier. — Ma reine, avait-il répondu en s'inclinant. — Ma joie de vous revoir est malheureusement entachée par la découverte de ce drame. — La mienne également, Majesté. Les Escoten étaient plus que des voisins, des amis. Leur disparition, ainsi que celles de tous leurs serviteurs ou presque, m'afflige profondément. Cette b***e d'infâmes pilleurs gagne chaque jour davantage en impudence et en assurance. Pour ma part, j'ai renforcé la sécurité autour de mon manoir, car je me refuse à envisager qu'une aussi terrible affaire puisse advenir à mon domaine… Lomaï avait retenu un soupir. Elle, comme lui, connaissait les efforts déployés pour contrer, voire empêcher ces méfaits, sans succès jusqu'à présent, un peu comme si leurs troupes se faisaient chaque fois prendre de vitesse. — Un jour ou un autre, nous finirons bien par les rattraper et, j'en suis convaincue, ce moment-là approche. Chaque attaque supplémentaire nous en apprend un peu plus sur eux, sans compter les erreurs qu'ils multiplieront en raison de leur trop grande confiance. S'il est regrettable de devoir en passer par là, rassurons-nous en nous disant que ces douloureuses étapes déboucheront sur leur disparition définitive. Manier avait hoché la tête, puis ajouté : — Permettez-moi, ma reine, de m'étonner de votre présence en ces lieux… Lomaï l'avait observé, hésitant sur le degré de sincérité qu'elle pouvait lui témoigner. — Sur le chemin vers Lancre, j'ai croisé un cavalier qui rapportait cette information vers Avotour. J'ai songé à rendre un dernier hommage à ce couple que j'appréciais… Elle avait laissé son regard errer un instant sur l'endroit qui avait servi de champ de bataille. — Combien de morts avez-vous dénombrés ? — Les comptes ne sont pas définitivement arrêtés. Cependant, à quelques-uns près, nous les estimons à une bonne vingtaine parmi les assaillants et deux fois plus chez les gens de la maison. Bien qu'âprement défendu, le domaine a fini par tomber entre les mains de leurs ennemis qui se sont emparés de tous les étalons avant de repartir. Le corps de Brand a été retrouvé là-bas, devant l'écurie vidée de ses habituels occupants, à présent. Il a sûrement protégé ses si précieux chevaux au prix de sa vie. Celui de Florie, étrangement, a été localisé en dehors de la propriété, à quelques kilomètres vers le sud. Nous n'aurions jamais songé à la rechercher aussi loin si l'une des rescapées ne nous avait informés de l'existence d'une sortie discrète par le fond du terrain. Elle a probablement voulu s'échapper pour, malheureusement, échouer. Nous avons ramené leurs dépouilles à l'intérieur du manoir, souhaitez-vous prolonger votre hommage jusqu'à eux ? Lomaï avait acquiescé et suivi l'homme vers la demeure. Émue, elle avait pénétré dans la pénombre du lieu, ses yeux s'habituant peu à peu à l'obscurité. Une chandelle à la main, Manier l'avait invitée à gagner la salle à manger. Sur la grande table en chêne, à présent, reposaient deux corps dont elle s'était approchée à pas lents. Brand, dont la carrure paraissait encore plus impressionnante que dans ses souvenirs, présentait de multiples blessures, plus ou moins profondes, mais la cause réelle de sa mort s'affichait sans conteste ; une flèche avait transpercé son cœur, abandonnant une large auréole carmin sur sa chemise blanche. Puis la souveraine avait frémi quand son regard, parcourant la silhouette de Florie, s'était attardé sur la plaie béante qui découpait sa gorge en deux parties. Aussitôt, son esprit inquiet y avait superposé la vision de l'un de ses enfants dans le même état et, vaguement étourdie par la douleur, Lomaï avait agrippé la table. Si Manier avait perçu sa faiblesse passagère, il était resté discret. Alors qu'ils ressortaient du manoir, Manier avait repris la parole : — Disposez-vous d'un endroit pour coucher vos hommes cette nuit ou préférez-vous poursuivre votre route jusqu'à Lancre ? Comme la reine avait tardé à répondre, il avait ajouté : — Le crépuscule tombera dans moins d'une cloche, juste le temps de terminer le travail ici, puis d'accéder à mon domaine avant l'obscurité. J'espère que vous voudrez bien pardonner l'audace qui est la mienne de vous y offrir l'hospitalité pour vous et vos gens. Comme Lomaï paraissait hésiter encore, il avait précisé : — En tant que plus proche voisin, les rescapés du manoir ont trouvé refuge dans mon domicile et vous pourrez avoir tout loisir de les questionner pour en savoir plus. — Que vous ont-ils déjà dit ? avait-elle demandé brusquement. — L'attaque s'était produite au milieu de la nuit avec des bandits en nette supériorité numérique, à trois, voire quatre contre un. Ce déséquilibre des forces a suffi à faire basculer la situation en la défaveur des Brand. — Auraient-ils parlé d'invités ? avait-elle poursuivi. Lomaï avait cru décelé un éclair d'intérêt dans les yeux de Manier qui avait aussitôt disparu. Réticente, elle avait décidé de ne pas lui livrer les raisons de sa présence sans vraiment s'interroger sur sa volonté de la lui dissimuler. Bien que… annoncer que ses enfants avaient désobéi à leur père autant qu'à elle paraîtrait diminuer un peu plus la crédibilité de Sérain et la sienne. De plus, elle ne souhaitait pas s'épancher sur ce sujet trop sensible. — Des invités ? s'était-il étonné. Je ne leur ai pas posé la question, mais, si vous préférez rallier Lancre, je pourrai vous faire parvenir leur réponse.
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