Chapitre 12-1

2024 Words
Chapitre 12 Depuis plus de deux cloches, Pardon et Hang attendaient, cachés dans la ramure d'un arbre à proximité de leur premier objectif. Petit à petit, les dernières lumières des habitations s'étaient éteintes, renforçant davantage l'obscurité environnante. Restait une lanterne en dessous d'eux, à côté d'un homme en faction. Décidément, le hasard leur facilitait la tâche jusqu'au bout. Hang se chargea de la récupérer, éliminant d'un coup sur la tête le garde, sans omettre de lui emprunter sa veste afin d'en dissimuler la lueur, le temps de se déplacer. Chacun disposait à présent de son arc et de quelques flèches entourées d'un cocon d'étoupe. — C'est le moment, annonça Pardon, celui où tous dorment du sommeil du juste. — Je la sens bien, cette petite attaque, tu verras. Rendez-vous au grand arbre, alors ? Pardon opina avant d'ajouter : — Bonne chance à toi, mon frère. — Merci. À toi, aussi, Pardon. Ils se fixèrent un instant, puis regagnèrent la passerelle ensemble. Du côté de l'armurerie, quelques échos animés parvinrent jusqu'à eux. — Tiens, j'espère qu'ils ne vont pas découvrir trop vite leur compagnon. Euh, oui, j'en ai un peu amoché un pour récupérer les arcs. Le moment d'agir est venu. À toi l'honneur, Pardon. Ce dernier alluma l'étoupe d'une flèche, puis observa l'incandescence se propager doucement. Une fois sa combustion suffisante, il l'envoya dans l'étable qui leur avait servi d'abri. Elle franchit le battant laissé ouvert et termina sa course dans la paille. Dans quelques instants, celle-ci brûlerait. Pardon tendit la lanterne à Hang. — Prends-la. Je sais où en trouver une sur mon chemin. Hang s'en saisit. Après un ultime regard, chacun partit de son côté au pas de course. En parallèle, écurie après écurie, débutant par celles au pied de la falaise, puis poursuivant par celles de la cité, ils lancèrent leurs traits ardents, attendant que les cabanes de bois s'embrasent les unes après les autres. Quand, enfin, les premières flammes devinrent visibles, chacun des compagnons se mit à hurler « au feu ». Promptement, les habitants se précipitèrent dehors, cherchant dans un premier temps à libérer les chevaux, puis à éteindre les foyers. Dans les allées noyées de fumée, tout le monde courait en tous sens, s'écartant pour laisser passer les montures effrayées qui galopaient pour s'éloigner d'un danger avant de retomber sur le suivant, puis de rebrousser chemin, encore plus affolées. Pendant ce temps, profitant de la confusion, les deux amis convergeaient vers leur ultime objectif : le grand arbre central. Quand, enfin, le Hagan tira sa dernière flèche en contrebas de la résidence du Loup, tous les hommes au sol quittèrent leur poste pour circonscrire l'incendie débutant, offrant le champ libre à Hang et Pardon. Pour commencer, ils déposèrent leurs arcs et récupérèrent leurs kendas, habilement dissimulés à proximité. Hang rejoignit immédiatement l'endroit dans lequel les prisonniers étaient enfermés et s'occupa du premier garde, distrait par les événements qui se déroulaient à ses pieds, tandis que Pardon, ralliant la même position par le côté opposé, assommait le second. Parvenu devant la porte cadenassée, celui-ci appela : — Aila ? — Aila ! renchérit Hang d'une voix forte. Quelques murmures à peine audibles résonnèrent derrière l'huis, mais, si Aila avait été présente, elle n'aurait pas hésité à tambouriner sur le bois ou à hurler pour se manifester. Donc, deux hypothèses, soit elle n'était pas en mesure de réagir et l'inquiétude naquit dans l'esprit des amis, soit elle n'était pas là, mais alors, où pouvait-elle bien se trouver ? De toute façon, ils devaient s'en assurer. Tous les deux jetèrent un regard ennuyé sur l'énorme cadenas qui fermait la prison, réalisant, à leur grand désarroi, qu'ils n'avaient envisagé qu'un simple verrou extérieur dans cette cité bien gardée. — Il n'existe aucun problème sans solution. Je descends chercher un peu de matériel et toi, tu m'attends ici et tu surveilles… la porte ! proposa Hang. Pas trop dur comme tâche ? Il s'éclipsa aussitôt, tandis que Pardon restait songeur. Lumière serait libérée, ils ne seraient donc pas venus pour rien. Cependant, si Aila avait réussi à s'échapper, pourquoi avait-elle abandonné sa jument ? Cette réaction de sa femme ne présageait rien de bon. Quitter sa famille peut-être, mais pas sa plus ancienne et fidèle alliée. Réfléchir… Reprendre leur parcours depuis le début. À quel moment avaient-ils perdu sa trace ? La voie verte s'imposa d'elle-même. Ils étaient partis du principe qu'elle ne laisserait Lumière que contrainte et forcée. Mais ils n'avaient pas songé qu'Aila, effectivement contrainte et forcée, aurait pu s'en séparer temporairement pour la récupérer plus tard… Alors, pourquoi n'était-elle pas venue la chercher ? Sauf si… Une pensée troublante se fraya un chemin dans l'esprit de Pardon et le glaça de l'intérieur. Sauf si elle avait été tuée… Aussitôt il repoussa cette idée, se raccrochant à la certitude que, si tel avait été le cas, malgré les difficultés que rencontrait leur couple, il l'aurait su. Non, elle était toujours en vie, mais avait abandonné Lumière à son triste sort. Aurait-elle pu prévoir qu'ils finiraient par la délivrer ? Si la magie avait disparu, la capacité d'Aila à percevoir au-delà des apparences, sûrement pas. Peut-être l'attitude de sa femme, si déroutante, prenait-elle son origine dans de subtiles transformations, comme une renaissance progressive de cette entité, par exemple… Il secoua la tête. Définitivement, il divaguait. La tension, la peur et la douleur qui alternaient dans son esprit parvenaient trop souvent à l'égarer. Mais, alors, quelle explication lui restait-il pour justifier son absence ? — Vous, là, descendez aider les autres, je me charge de garder la geôle ! Entendant la voix derrière lui, Pardon se figea, tout en songeant que son timbre ne lui était pas inconnu… Mais qui lui rappelait-il ? Quelle conduite devait-il adopter ? Obéir, puis revenir ensuite ? Il s'apprêtait à partir quand la personne lui ordonna : — Tournez-vous pour que je vous identifie ! Pardon obtempéra, déposant subrepticement son bâton sur la paroi de la prison. Devant lui se dressait un homme grand et élancé, portant un masque terminé par de la dentelle qui lui voilait presque la totalité du visage. Il brandissait un kenda et ce détail dérangea Pardon ; l'arme était inhabituelle parmi les voleurs, mais peut-être, effectivement, celle d'un Loup… — Tiens ! s'exclama-t-il. Je ne me souviens pas de vous avoir déjà vu ici. — Je suis arrivé hier, tenta de justifier Pardon, bien conscient que son interlocuteur, intelligent, ne se laisserait pas berner par ses explications évasives. Cependant, parler lui permettrait de gagner du temps jusqu'au retour de Hang. — Mauvaise pioche… J'ai testé tous mes gardes un par un et vous n'en faites pas partie. Alors, serait-ce à vous que je dois ce bazar dans ma cité ? Vous me paraissez un peu chétif pour en être le seul responsable. Pourtant, comme je ne vois que vous ici, je vais donc commencer par me débarrasser de… vous. À peine avait-il prononcé son dernier mot qu'il attaqua avec une vivacité qui surprit Pardon. Cependant, son habitude des engagements et sa réactivité le préservèrent de justesse. Dans son mouvement d'esquive, il récupéra son bâton, puis, armes en main, l'affrontement débuta dans l'espace étroit qui jouxtait la prison. Si le Loup semblait en maîtriser les dimensions étriquées, le kenda de Pardon ne cessait de buter sur le mur en bois, empêchant le combattant de finaliser ses enchaînements. Bientôt, sous les assauts répétés et furieux de l'homme masqué, il décida de céder du terrain pour se déplacer vers un lieu plus favorable pour lui. Malheureusement, l'énergie offensive de son adversaire le repoussa plus que prévu et, un pied sur la passerelle, tandis que celle-ci se mettait à osciller, il comprit ; son ennemi l'avait amené exactement là où il le désirait, là où la situation tournerait à son désavantage quand lui conserverait une stabilité parfaite sur la plateforme. Face à ce nouvel inconvénient, Pardon rompit le combat et s'éloigna de quelques mètres avant de se retourner. Étrangement, l'homme sembla hésiter. — Ainsi, vous battre ici vous effraie ! s'exclama Pardon. Je ne l'aurais pas cru d'un brigand de votre trempe. — Nullement, répliqua l'autre en s'élançant vers lui. Alors que les claquements de leurs kendas résonnaient dans un rythme effréné, les impulsions de leurs déplacements transmises à la passerelle modifiaient constamment leur position d'équilibre. Pardon, lui-même, s'étonna de cette mobilité à laquelle il ne s'attendait pas. Son seul avantage consista dans le fait qu'à présent ils luttaient dans les mêmes conditions précaires. De plus en plus instable, le pont de corde oscilla tant que les deux hommes rompirent le combat temporairement pour se retenir au garde-corps, puis le reprirent dès que les convulsions s'atténuèrent, mais avec plus de légèreté, pour éviter l'amplification trop rapide des mouvements de balance. Cependant, ce calme apparent ne dura pas et les échanges s'enflammèrent encore une fois. Sans faiblir, Pardon affronta la hargne de son adversaire qui tentait par tous les moyens de l'atteindre, voire de l'acculer. Alors que, à nouveau, la passerelle tanguait de plus en plus dangereusement, un long claquement résonna dans l'air. Un soubresaut agita l'ouvrage, mais Pardon ne réalisa le péril qu'en voyant le Loup rallier la plateforme de l'arbre en quelques bonds. Dans un geste désespéré, il chercha à attraper le moindre élément auquel se raccrocher, tandis que le bois et les cordages filaient de toutes parts autour et sous lui, les câbles cédant les uns après les autres dans une infernale succession de crépitements et de sifflements. Incapable de se retenir, quand les lattes se dérobèrent sous ses pieds, il plongea vers le sol à travers la ramure qui fléchit, puis craqua sous son poids. Un rictus satisfaisant s'afficha derrière la dentelle du masque pour disparaître dès qu'il se retourna. En effet, barrant sa retraite, se dressait un homme, grand, large et musclé, avec des traits typiquement hagans. — En toute franchise, je n'ai pas vraiment apprécié ce que vous venez de faire à mon ami, dit Hang, d'une voix sourde. J'espère que vous ne l'avez pas trop cassé parce que, le cas échéant, je serai vraiment très en colère. Juste pour information, et en raison de votre sourire niais qui m'a tout de suite déplu, pendant que mon compagnon vous occupait, j'ai libéré vos prisonniers. De plus, une fois que j'en aurai terminé avec vous, je finirai d'incendier votre cité et plus personne n'entendra jamais parler du Loup et de sa b***e de chiens galeux. Vous êtes probablement doué, mais, nous, à deux, vous avons surpassé. Souvenez-vous en avant de pousser votre dernier souffle… — Laisse, Hang. J'ai un compte à régler avec cet homme. Un profond soulagement traversa le Hagan qui croyait avoir vu son ami mourir sous ses yeux sans être parvenu à le sauver. Bien sûr, il savait Pardon capable de s'en sortir, mais la confirmation de ce fait le libéra d'un grand poids. Alors qu'il échangeait leur place, Pardon glissa à Hang : — Aila ? Le Hagan secoua la tête. Pardon fit jouer ses épaules, comme pour les décontracter. — Cette chute spectaculaire aurait dû me briser en petits morceaux. D'ailleurs, il s'en est fallu de peu, mais la chance m'accompagne depuis que j'ai mis un pied dans cette gorge. Le fauteur de trouble d'hier, c'était moi et je vous ai échappé une première fois. Les informations nécessaires, je les ai toutes obtenues, même celles que vous conserviez secrètes. Et ce bazar, comme vous l'appelez, c'est mon ami et moi qui avons détruit presque tout votre repaire, à deux… Disons-le, jusqu'à présent vous avez bien profité de votre bonne fortune, mais peut-être êtes-vous devenu trop gourmand. En tout cas, le moment est venu de vous arrêter et, aujourd'hui, je vais m'y employer. Ah oui, c'est bête, il vous reste si peu de place pour vous battre… Tant pis, vos coups tordus ne m'incitent plus à adopter une attitude chevaleresque. Immédiatement, Pardon engagea le combat et, de nouveau, s'éleva dans les airs le claquement du bois de leurs armes. Attaquer, parer, esquisser. Le Loup avait beau se révéler très doué, peu à peu, il cédait du terrain. Concentré, volontaire, Pardon cherchait à le repousser toujours plus loin. Ce type-là, il le savait, serait pour lui ; ses forces s'unissaient à sa détermination dans ce sens. Bientôt, un pied à moitié dans le vide, son adversaire battit des bras et se rattrapa in extremis, lui jetant un regard haineux. Puis, d'un geste vif et précis, il détacha une corde dissimulée dans l'ombre, et, prenant son élan, sauta pour rejoindre l'autre côté de la passerelle écroulée. À présent en sécurité, il s'exclama : — Vous vous êtes crus plus malin que moi ? Grosse erreur ! Le Loup ne craint personne et je reconstruirai chaque parcelle de ce que vous avez pensé détruire ! En revanche, surveillez vos arrières, car, sachez-le, je me vengerai, que ce soit aujourd'hui ou demain ! Un bâtiment s'effondra à proximité d'eux dans un grand fracas, distrayant brièvement Pardon. Immédiatement, d'un arbre voisin, retentit un cri d'alerte. Hang poussa son ami juste à temps pour lui éviter d'être transpercé par un long poignard, qui, finalement, se ficha dans le mur de la prison. Sans la moindre hésitation, Hang récupéra l'arme aussitôt et la renvoya vers leur ennemi qui, sa cible manquée, s'enfuyait, cependant, pas assez vite pour lui échapper. Sans un bruit, l'homme masqué se figea quand la lame, glissant entre les côtes, se planta profondément dans son dos, puis s'écroula sur le sol. Pour tous, aucun doute ne subsistait, le plus renommé et mystérieux de tous les brigands venait de s'éteindre définitivement.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD